Le jardinier de la Pompadour. Eugene Demolder. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Eugene Demolder
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066087005
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le guignon!

      —Qui?

      —Vincent!

      Des gars huèrent Ligouy, qui était le souffre-douleur du village:

      —Va-t'en, enfant de truie!

      On lui jeta des pierres. Une l'atteignit au front. Le sang coula. Ligouy porta la main à sa blessure, l'essuya au haillon de chemise qui couvrait sa poitrine et partit.

      —T'en voilà débarrassée, Martine!

      Le son rauque d'une corne annonça la reprise de la cueillette. On entendit dans les clos des appels aigres de vieilles. Le clocher de Saint-Port tinta.

      —Ah! oui! Ligouy souffle le guignon! T'as bien raison, Martine, dit une fillette, qui sortait des grottes en rajustant à la hâte son fichu et en remettant son bonnet droit.

      D'autres suivaient, les jupons fripés, avec leurs amoureux qui avaient l'air penaud.

      Martine revint triste à la vigne des Gillot. Elle y revit Tiennette.

      —Qu'est-ce qui te tourmente? lui dit la gamine. L'amoureuse sanglota.

      —Jasmin est parti!

      —Il reviendra, nigaude!

      —Non point!

      —Mais pourquoi?

      Essuyant ses larmes, Martine raconta l'indifférence de son amoureux depuis le matin, sa distraction pendant le repas, son air maussade.

      —Il ne m'aime plus, gémit-elle. Il est pris par une autre!

      —Quelle autre? Je les connais toutes au village et si Jasmin avait suivi les cottes d'une quelconque, je le saurais.

      —Que veux-tu! Il a été toute la journée plus froid qu'un glaçon. Ah! il n'eut qu'un moment de joie, c'est quand je lui parlai de Mme d'Étioles.

      —Oô!!

      —Alors il fut plus gai qu'un rossignol. Il eût, ma foi, dansé sans violon au bord de l'eau.

      Tiennette, tout émue, s'écria:

      —Pardi! C'est cela! Il en tient pour ta maîtresse! As-tu remarqué sa façon malhonnête de m'appeler «harpie» tout à l'heure?

      —Jasmin épris de ma maîtresse! Ah! tu me fais rire, répliqua Martine incrédule.

      —A ton aise! Prends garde de rire comme saint Médard! Pas plus tard qu'hier, je me suis aperçue que Jasmin avait l'âme à l'envers et sa mère me disait que c'est depuis le jour de la chasse qu'il a martel en tête! Il y vit Mme d'Étioles?

      —Elle est tombée dans ses bras.

      —Dans ses bras!

      —Il l'a déposée sur l'herbe.

      —Ah! Martine, songe à ce que Chatouillard nous disait pendant le repas, que Jasmin fut si ahuri en voyant Mme d'Étioles!

      Les deux filles se regardèrent au fond des yeux; la grande fronça les sourcils, son visage se voila d'une tristesse subite et elle mit la main sur son cœur: la petite à la mine fûtée avait insinué à sa compagne du soupçon, de la douleur.

      Martine quitta la vigne avant la vesprée; elle devait regagner Étioles dans la charrette de son parrain.

      Dès qu'elle arriva à Boissise, elle entra chez le jardinier. Jasmin s'aperçut qu'elle avait le cœur gros:

      —Tu viens me dire au revoir? murmura-t-il.

      Il prit la villageoise à la taille, l'embrassa. Puis il ferma les yeux et tressaillit: Martine avait déboutonné son corsage dans la hâte du retour, et de son linge chauffé par le soleil et par sa chair montait un parfum. Ah! ce parfum! Buguet en eut le vertige! C'était celui qu'il avait senti en relevant Mme d'Étioles.

      —Cela te paraît si bon? murmura l'amoureuse.

      —Ah! oui!

      La voix de Jasmin tremblait.

      —Encore, dit-il.

      Il appuya les lèvres sur la nuque de la soubrette qui se pâma, prête défaillir.

      —Tu sens le paradis, murmura le jardinier.

      —Oh! Jasmin! oh! Jasmin!

      La mère Buguet apparut.

      —Martine, balbutia Jasmin, tout rouge, je vais te chercher des figues que je t'ai promises.

      Le panier fut prêt en un instant. La fillette, son bonnet un peu de travers sur le front, l'emporta à son bras nu.

      —Au revoir! Au revoir! dit-elle en montant dans la carriole de Rémy

       Gosset.

      Déjà les vendangeurs revenaient. En avant, Gourbillon avait peine à se tenir.

      Les autres suivaient, rompus, mais joyeux. Les vendangeurs, selon la coutume, avaient écrasé des grappes noires sur la figure des vendangeuses.

      Des filles crièrent:

      —Bon voyage, Martine!

      Les garçons reprirent:

      —Tu n'emmènes donc pas Buguet? Affûte-toi pour nous faire aller à la noce!

      Martine était ravie. Elle partait, cahotée au trot de la bique à Gosset. Le parrain, ayant vidé beaucoup de chopines, essuyait de temps en temps ses paupières lourdes.

      La fillette songeait aux baisers de Jasmin. Elle les sentait encore, dans sa nuque. Ils lui donnaient des frissons qui se renouvelaient. C'était comme des brûlures légères.

      —Il m'aime, se dit-elle.

      Elle sourit:

      —Tiennette a beau dire!

      Comme le soir tombait, un doute se réveilla pourtant au cœur de Martine:

      —Tu sens le paradis, avait dit Jasmin.

      Etait-ce sa peau, ses cheveux, une odeur émanant d'elle qui avait ému son promis au point qu'il se crût au ciel? A la dérobée, la soubrette se pencha vers l'ouverture de son fichu. Grand Dieu! Ce parfum, c'était celui de sa maîtresse, le même qu'à Sénart! Avant de partir, Martine en avait secoué la dernière goutte entre ses seins!

      Elle pâlit.

      —Ce n'est pas moi qu'il a embrassée, se dit-elle.

      La fillette arriva pleine de mélancolie à Étioles. Il était plus de dix heures. Un valet à demi vêtu, traînant ses chausses par les allées, vint ouvrir.

      —Eh bien, dit-il, c'est ton parrain qui te ramène! Où est-il resté, ton cousin de vendanges?

      Dans sa chambrette, Martine se sentit toute abandonnée. Le valet disait juste! Elle n'avait plus d'amoureux! Pourtant Jasmin l'aimait depuis si longtemps! Ne lui avait-il pas donné, dès qu'elle les désirait, ses choses les plus précieuses, une fois sa tourterelle, puis un morceau de corail en forme de dent, et toujours une part de ses gâteaux? Quand elle était malade, il interrompait vingt fois son travail pour la voir et lui prodiguait des caresses sur le front, des poignées de mains qui guérissaient mieux Martine que les potions de sa marraine. En été Buguet menait son amoureuse en barque et cueillait dans les estuaires de la Seine de petites parnassies blanches qu'il jetait autour d'elle; alors il la regardait en ramant lentement: il semblait à la fillette que son promis l'enlevait très loin, à l'horizon bleu, pour lui apprendre des choses nouvelles et douces. Et un jour n'avait-il pas fait jurer Martine de ne prêter l'oreille à aucun propos galant? C'était dans la grange de Gosset, au moment de la moisson; les yeux de Jasmin brillaient étrangement dans son visage hâlé; les amoureux étaient seuls. Martine crut qu'il allait la prendre: elle ne se serait point défendue.

      —Ah! oui il m'aime et un pareil amour ne s'en va pas ainsi!

      La