Le jardinier de la Pompadour. Eugene Demolder. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Eugene Demolder
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066087005
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pâle en sa rondeur d'hostie, l'eau se pailleta d'argent. Ebloui, Jasmin regarda les spirales opalines que le vent poussait contre les buissons.

      Il adorait la rosée; il aimait à surprendre ses diamants près d'une cétoine verte, au cœur des «cuisses de Nymphe». Ce matin elle le fit songer aux mois déjà passés. Vraiment cette année le printemps avait opéré le miracle des roses. La Fête-Dieu en était restée inoubliable: les rues avaient été jonchées de pétales, les reposoirs enguirlandés de branches fleuries et la petite église avait ressemblé à un temple de l'Amour.

      Aujourd'hui on payait cette débauche. Jasmin jeta un regard à ses rosiers épuisés par un trop fougueux renouveau: l'été était mort et ils ne portaient pas de fleurs «remontantes». A l'idée de cette privation Buguet regretta presque le cadeau fait à Martine; bien qu'il aimât fort la soubrette, il la maudit un brin et sentit que peut-être au fond de son âme il préférait à sa blonde joliesse la chair multicolore des bouquets.

      Doucement, avec un soupir, il gravit à droite de la maison un petit escalier de pierres qui conduisait à une terrasse où s'alignaient les fuschias, les basilics odorants, les orangers de savetier. Au long de plates-bandes bordées de thym, les œillets d'Inde répandaient leur âpre parfum. Au fond de la terrasse, le premier rayon aviva les roses trémières comme s'il les eût peintes avec un pinceau d'or.

      Jasmin sortit un arrosoir, en plongea le ventre dans un tonneau enfoncé au coin d'un parterre. Il distribua l'eau à des flox préparés pour la Saint-Auguste, tombant ce jour-là.

      —Mère, cria-t-il en promenant sur les plantes les jets fins d'un juste arrosage, les flox blancs sont à vendre! Trois sols!

      —C'est pas donné, mon garçon!

      Jasmin devait aller chez l'oncle Gillot pour savoir quand on commençait les vendanges.

      —Bonne idée, mon fieu! dit la Buguet. Embrasse bien mon frère pour moi.

       Hé! Porte-lui notre dernier melon.

      Buguet rentra, mit sa culotte noire à boucles d'argent, une chemise de toile bise avec un col rabattu, un gilet de pékin à pochettes et son habit brun en droguet: puis, ayant noué ses cheveux par derrière en catogan, il posa sur son front le tricorne des dimanches.

      Il partit, emportant sur l'épaule, au bout d'un bâton, le gros fruit jaune que la mère avait mis dans un panier fermé «pour attraper les curieux».

      Et il suivit le bord de la Seine, heureux de la belle journée.

      Passant à Saint-Assises, Jasmin aperçut dans le parc d'une gentilhommière le vieux jardinier qui ratissait l'allée.

      —Bonjour, monsieur Leturcq!

      —Ah! Jasmin! Entre donc!

      —Vous êtes bien civil, monsieur Leturcq! Buguet ôta son chapeau et déposa le panier près de la grille.

      —Viens que je te montre une plante nouvelle, continua M. Leturcq. Elle arrive d'Italie et fleurit ici pour la première fois.

      Jasmin eut un battement de cœur en pénétrant dans la petite serre. Un dévot n'est pas plus ému sous le porche d'une église. Cet amoureux des fleurs eût cherché l'eau bénite au fond des arrosoirs et se fût signé. Il tint son feutre sous le bras respectueusement.

      —Vois, dit M. Leturcq avec un geste rond et une mine satisfaite.

      Jasmin s'arrêta devant deux tubéreuses. Blanches sur leurs longues tiges vertes et rougissant, comme honteuses de la volupté qui s'émanait de leurs corolles, capiteuses elles s'offraient au milieu d'un groupe de bromélias bigarrés qui semblaient épris des nouvelles venues.

      —Caresse! C'est doux, dit M. Leturcq. Jasmin obéit; sa main trembla.

      —Et celle-ci? continua le vieux jardinier. C'était la Gordon des Anglais (ainsi appelait-on alors le gardénia!), tout aristocratique et élégante.

      —Sont-elles belles! murmura Buguet. Vous devez être fier de les montrer, monsieur Leturcq.

      —Dame! On a son amour-propre! Malheureusement les connaisseurs sont rares.

      Jasmin reprit sa route, émerveillé. Ces tubéreuses! Sa cervelle en était troublée. Il lui semblait qu'il venait d'assister au déshabillé d'une princesse au jour de ses noces, dans un de ces contes qu'il lisait aux veillées. Et il était l'époux! Il avait touché la chair blanche: sa main en restait parfumée!

      Il reconnut aussi que l'odeur des tubéreuses était pareille à celle du flacon que Martine lui avait donné un jour en disant:

      —Tiens, c'est de Mme d'Étioles!

      Et il songea à Mme d'Étioles. Il se la figura pareille à la fille d'un lord qu'il avait vue au parc de Vaux-Pralin quand il s'y trouvait en corvée. Cette anglaise était pâle comme la gordon et, ainsi que cette fleur, vêtue de mousseline blanche.

      Jasmin côtoyait le fleuve. Une poule d'eau s'envolant des roseaux le tira de sa songerie. Il prit dans sa pochette la grosse montre d'argent qu'il tenait de son père. Le petit forgeron du cadran frappa huit coups sur son enclume. Jasmin, rassuré, continua lentement sa route.

      Mais une femme vint l'accoster: Nicole Sansonet, la pêcheuse d'anguilles—une gaillarde qui n'eut point peur des chevau-légers en son temps et qui, frisant la quarantaine, regardait encore les garçons avec une flamme au fond de l'œil. Sa cornette couvrait une figure rougeaude, son tablier à bavette dissimulait mal de grasses rondeurs. Elle portait sur le dos une hotte pleine de poissons; une gourde battait ses fesses.

      —Belle journée, Jasmin, dit-elle. Il faut en profiter. Elles vont se faire rares, mon gas!

      Ils cheminent côte à côte. Tout à coup la commère regarde son compagnon en face:

      —A propos, toi, t'es pas encore marié? T'es dans l'âge pourtant! On l'avait annoncé, ton mariage! On croyait que ce serait aux prunes! Et puis, pan! V'la Martine à Étioles! Alors, c'est-y pour les vendanges ou la Noël?

      Jasmin rit et Nicole continue:

      —C'est qu'elle est avenante, la mâtine! A ta place, je n'aimerais guère la voir entourée de ces freluquets d'Étioles! La vertu d'une femme ça glisse comme l'anguille, et quand c'est parti, c'est parti! Ouvre l'œil, Jasmin, c'est Nicole qui te le dit.

      Buguet était arrivé. Il remercia la pêcheuse pour ses conseils et se dirigea vers la tannerie de l'oncle Gillot.

      Elle s'érigeait devant la Seine. Culottée par le tannin, le sang, les chiures de frelons, elle distribuait ses trois séchoirs et le logis du maître le long d'une cour brune et puante. Au milieu, une charrette pleine de peaux de bœufs était arrêtée.

      Jasmin entra. Ses parents lui firent bon accueil. La tante Gillot prit le melon, le flaira sous la queue. Le jardinier s'informa de l'état des vignes.

      —Eh! si septembre est chaud (chose probable, vu que le beau temps a pris avec la lune!) on pourra vendanger tôt!

      —Bonne affaire, répliqua Jasmin. En attendant je vais passer la journée ici et voir s'il n'y a rien à tailler dans l'enclos.

      —J'ai mieux pour toi, mon neveu, dit la mère Gillot. Eustache Chatouillard, notre voisin, a promis de venir me prendre dans sa carriole pour aller à Sénart, où le Roi chasse en forêt. Mais il faut que j'aide mon homme à mettre les peaux dessaigner dans la rivière. Va à Sénart à ma place!

      Jasmin hésita.

      —C'est des choses qu'on voit une fois dans sa vie, insista Gillot.

      Eustache arriva sur ces entrefaites. Il poussa des exclamations en apprenant que la mère Gillot était empêchée. Mais il enleva Jasmin.

      —Je suis certain que le Roi vient, affirma-t-il. Je le tiens de grenadiers à cheval qui raccommodaient la route.

      Comme Jasmin s'étonnait que des soldats