Le jardinier de la Pompadour. Eugene Demolder. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Eugene Demolder
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066087005
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comme si la reine des fleurs fût apparue, le jardinier cria:

      —Mordi, la belle femme!

      Mais une gerbe était là, dans la voiture, à côté de la dame. Jasmin proféra, la gorge serrée:

      —Mes fleurs!

      Il avait reconnu les nériums cueillis aux lueurs de l'aurore devant sa maisonnette et il dit, tremblant:

      —Mme d'Étioles.

      Alors, pris de vertige, il descendit de l'arbre et s'éloigna, suivi d'Eustache, qui s'étonnait de l'émotion de son ami.

      —Mme d'Étioles, répéta encore Buguet.

      Eustache prit un air malin:

      —J'ai entendu parler d'elle; on dit que c'est un morceau de roi.

      Il insista, hochant la tête:

      —Un morceau de roi!

      Arrivé à proximité de Lieusaint, Eustache quitta Jasmin en lui promettant de venir le reprendre une heure plus tard.

      —Merci, dit le jardinier, j'ai le temps de retourner à pied, ça me fera du bien.

      —A ton aise!

      Jasmin se dirige du côté de Lieusaint. Dans la route maintenant solitaire, il marche, abasourdi, s'arrêtant pour passer la main sur son front.

      Alors c'est cette femme merveilleuse que Martine approche à toute heure!

      Jasmin eût dû deviner que sa promise était au service d'une beauté pareille. Depuis quelque temps, elle devenait plus piquante, plus jolie: le reflet de Mme d'Étioles, sans doute!

      Jasmin pense à ces choses. Mais il entend quelques petits cris, un bruit de chevaux emballés. Il se retourne.

      Le phaëton d'azur! Mme d'Étioles! Chassée par les officiers de la Châteauroux, elle s'est enfuie, défaille de dépit, lâche les rênes; déjà le négrillon met sous le nez de sa maîtresse un flacon de cristal; le grand parasol roule au milieu de la route.

      Jasmin se précipite, arrête les chevaux. Il saute sur le marche-pied de la voiture et recueille la dame. Elle est évanouie.

      Jasmin la soulève, et avec beaucoup de peine, à cause des grands paniers, la porte au pied d'un arbre.

      Affolé il crie:

      —Mon Dieu, aidez-moi!

      Le négrillon s'agite comme un singe en délire.

      —Elle est morte! hurle Jasmin.

      Il court vers une source qu'il a rencontrée sous bois et revient avec son chapeau qui ruisselle. Il y trempe le bout des doigts, et, comme il le ferait pour ses amaryllis pâmés, secoue quelques gouttes d'eau sur le visage blêmissant où la bouche fardée paraît une blessure.

      La dame ouvre les yeux: Jasmin croit renaître lui-même à la vie. Elle murmure:

      —Où suis-je?… Que faites-vous là?

      Jasmin est à genoux. Le négrillon rajuste une dentelle. Mme d'Étioles, pâle, fronce le sourcil, sa bouche se crispe avec douleur. Elle dit, perdue au fond d'un rêve:

      —Je me souviens.

      Ses petites mains empoignent l'herbe à côté d'elle:

      —Et je me souviendrai.

      Puis elle s'adresse au négrillon:

      —Mon miroir!

      Elle y jette un regard:

      —Quel désarroi!

      Elle tapote ses boucles, caresse ses sourcils et, se parlant elle-même, avec un sourire de mépris:

      —Dieu, que j'ai été femme!

      Jasmin n'a cessé de contempler les yeux de Mme d'Étioles: ils lui paraissent tantôt noirs, tantôt bleus. Sous des cheveux où de vagues blondeurs cendrées luttent avec la poudre, le visage ovale de Mme d'Étioles montre une peau fine où les mouches de velours se jouent comme des volucelles autour d'une rose blanche.

      Mme d'Étioles dépose son miroir, tend une main au négrillon, l'autre à

       Jasmin:

      —Relevez-moi!

      Jasmin hésite. Il n'ose toucher aux doigts frêles.

      —Voyons! dit nerveusement Mme d'Étioles.

      Le jardinier prend la main tendue, ferme les yeux, tant le cœur lui défaille.

      Mme d'Étioles est debout.

      —Qui êtes-vous? demande-t-elle à Jasmin.

      Il murmure, la gorge serrée:

      —Jasmin Buguet.

      La grande dame dit au négrillon:

      —Donne un écu à cet homme.

      Buguet réprime un mouvement de révolte:

      —Merci! Oh! non! Madame!

      Mme d'Étioles s'aperçoit de la bonne mine du jeune garçon:

      —Vous regardez mes fleurs? dit-elle d'un air aimable.

      Jasmin baisse les paupières:

      —Elles viennent de mon jardin.

      —De votre jardin?

      —Je suis jardinier, c'est Martine Bécot qui me les demanda hier.

      —Martine! Je ne savais point.

      Mme d'Étioles sourit:

      —Vous aurez ma pratique. Jasmin!

      Elle remonta dans son phaëton et, ayant retrouvé toute sa grâce, prit les guides et partit.

      Jasmin la suivit du regard. Elle disparut d'un coup, par un chemin de traverse.

      Le jardinier s'en alla en songeant à nouveau.

      La femme qu'il avait tenue dans ses bras, et dont il se sentit un instant aussi parfumé que s'il avait porté une brassée de fraxinelles, c'était Mme d'Étioles! Ces mots chantèrent à son oreille: Mme d'Étioles! Un sentiment suave descendit dans ses veines, un sentiment triste un peu et profond, tel qu'il n'en avait encore ressenti. Il lui sembla que son âme se fondait. La plaine et le bois lui parurent mélancoliques comme la fin d'une fête.

      Poussé par une force irrésistible, Jasmin retourna près de l'arbre sous le tronc duquel Mme d'Étioles s'était reposée. Il s'assit. Un rien de parfum flottait encore. Le jardinier ferma les yeux: il revit la grande dame, avec ses œillades aux reflets de scabieuse et d'or, avec ses lèvres qui brillaient comme des cerises, son front hautain comme une étoile, ses doigts fuselés. Quand il releva les paupières, il aperçut, dans l'herbe, la place où Mme d'Étioles avait crispé sa main. Il se pencha et baisa le gazon ravagé. Puis il se releva brusquement, comme s'il se fût brûlé les lèvres, et murmura:

      —Je deviens fou.

      Au loin la chasse partait du côté de Quincy, les chiens lançaient leurs abois, au son métallique desquels se mêlaient les appels des cors. Le vent qui s'était levé effaçait sur la route blanche la trace des carrosses et le pas des chevaux. Buguet marcha dans le bois désert, regarda le soleil disparaître et le ciel doucement violet. Pour regagner son village, il s'engagea dans la plaine qui descendait vers la Seine. Et bientôt, parmi les mille flammes automnales des colchiques, il traversa les grands prés et les champs au clair de lune.

       Table des matières

      Quelques semaines plus tard Jasmin prenant son calendrier vit que l'automne