Aventures extraordinaires d'un savant russe: Les planètes géantes et les comètes. H. de Graffigny. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: H. de Graffigny
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066084745
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nous avons parcourue depuis hier?

      L'Américain secoua négativement la tête.

      —Deux mille cinq cents kilomètres; pas un de plus, pas un de moins; en quarante-huit heures, c'est assez gentil. Voilà qui laisse bien loin en arrière vos fameux railroad!... qu'en pensez-vous?

      Farenheit répondit par un grognement; toutes les fois qu'il était obligé de convenir d'une infériorité des États-Unis, son amour-propre national ressentait une souffrance aiguë.

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      Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis le retour des Terriens à la Ville-Lumière: Ossipoff s'était plongé dans une suite d'études astronomiques, que lui facilitaient les merveilleux instruments d'optique réunis dans l'observatoire martien; Fricoulet suivait de près les travaux des indigènes, prenant des notes, enregistrant chaque jour, avec un surprise croissante, les progrès réalisés sur la planète, par l'art de la mécanique; Séléna et Gontran, livrés à eux-mêmes, passaient des heures entières à parler de l'avenir, à bâtir des châteaux en Espagne pour loger leur amour; et à cette occupation, les heures paraissaient fuir avec une vertigineuse rapidité: le soir arrivait qu'ils ne s'étaient point dit le quart de ce qu'ils avaient à se dire en se levant.

      image LA RÉGION DES EAUX MARTIENS

      Quand on s'aime, la conversation n'est qu'un continuel recommencement.

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      Seul, Jonathan Farenheit ne savait à quoi employer ses journées et, à défaut d'autres occupations, il passait son temps à maugréer contre Mars et les explorateurs de planètes.

      Ce retour vers la cinquième avenue, auquel il aspirait depuis si longtemps, devenait de plus en plus problématique et une fureur épouvantable s'emparait de lui à la pensée que, depuis le 31 août dernier, jour de la liquidation semestrielle, les actionnaires de la Moon's diamantal Company le considéraient comme un voleur.

      Si ses regards eussent été des revolvers, Mickhaïl Ossipoff fût mort depuis longtemps, car, toutes les fois que l'Américain se rencontrait avec le savant, sa haine lui jaillissait par les yeux.

      Mais heureusement pour le vieillard, le regard humain est inoffensif et Ossipoff continuait paisiblement ses études.

      Restaient Fricoulet et Gontran, avec lesquels Farenheit eût pu s'entendre pour concerter un retour vers la Terre; mais le premier était presque tout le temps par monts et par vaux, à l'affût de quelque étrange application scientifique et il était peu facile de lui mettre la main dessus; en outre, au point de vue astronomique, l'Américain n'avait qu'une confiance limitée dans l'ingénieur.

      Il n'y avait donc plus que M. de Flammermont, sur lequel sir Jonathan pût compter: celui-là était un savant véritable, et il offrait, sur ses autres compagnons, cet incomparable avantage d'avoir un intérêt direct à rejoindre sa planète natale.

      Mais, avec celui-là non plus, il n'était guère commode d'avoir une conversation secrète: il ne lâchait pas d'une semelle Mlle Ossipoff et, sitôt qu'il s'éloignait un peu, tout de suite elle accourait lui prendre le bras pour continuer le duo interrompu, toujours le même et toujours plein de charme pour eux.

      Un soir, cependant, que Séléna appelée brusquement par M. Ossipoff avait quitté Gontran, l'Américain, aux aguets, tomba sur sa proie.

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      —Monsieur de Flammermont, dit-il à voix basse, j'aurais quelques mots à vous dire.

      Surpris du ton tragique de Farenheit, le jeune homme s'écria:

      —Eh! parlez, mon cher sir Jonathan, de quoi s'agit-il?

      —Pas si haut, je vous prie, monsieur de Flammermont, fit l'autre en posant la main sur le bras du jeune comte, et tirons à l'écart, s'il vous plaît; nul ne doit entendre ce que j'ai à vous confier.

      —Savez-vous que vous m'inquiétez véritablement, répliqua Gontran en suivant cependant, avec docilité, son compagnon.

      Celui-ci enfin, s'arrêta et, plantant ses regards dans ceux du jeune homme, il demanda, de ce même ton tragique que prit don Diégue à demander à Rodrigue s'il avait du cœur:

      image C'était une sorte de cigare métallique, long d'environ trente mètres.

      —Monsieur le comte de Flammermont, quelle valeur a votre parole quand vous la donnez?

      Gontran fixa sur l'Américain un regard stupéfait.

      —Est-ce que vous parlez sérieusement? demanda-t-il, doutant encore qu'il eût bien entendu.

      —Ai-je donc l'air de plaisanter? répliqua Farenheit.

      Les sourcils du jeune comte se froncèrent.

      —C'est que, dit-il lentement, votre question constitue, par elle-même, une insulte grave.

      —N'y voyez point autre chose que ce que j'ai voulu y mettre, riposta l'Américain, et répondez-moi par un oui ou par un non...

      —Si nous étions sur terre, gronda M. de Flammermont, je ne vous répondrais que par l'envoi d'une paire d'amis...

      —Chargés de demander réparation ou rétractation, n'est-ce pas?... heureusement nous ne sommes pas sur terre, car le moyen dont vous parlez n'a jamais servi à élucider aucune question.

      —Enfin, me direz-vous au moins où vous voulez en venir?

      —À savoir, tout simplement, si vous vous rappelez certaine phrase prononcée par vous, dans un élan de reconnaissance, lorsque, croyant votre fiancée à jamais perdue, vous l'avez retrouvée, sur l'Île Neigeuse, saine et sauve par mes soins.

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      —Je me souviens, sir Jonathan, que vous m'avez rendu le plus grand service qu'un homme puisse rendre à un autre et que ma reconnaissance sera éternelle.

      —Je sais,... je sais... répliqua Farenheit, mais nous autres, fils du Nouveau-Monde, nous sommes gens pratiques et, comme vous m'avez promis que votre reconnaissance se traduirait par autre chose que par des paroles...

      —Moi! s'écria le jeune homme surpris.

      —«Sir Jonathan, m'avez-vous dit, vous avez sauvé la vie de ma fiancée et vous venez de sauver la mienne; c'est moi qui me chargerai d'acquitter la dette de reconnaissance de M. Ossipoff en même temps que la mienne...» vous rappelez-vous ces paroles?

      Gontran prit la main de l'Américain et, la serrant avec énergie:

      —Si je me les rappelle! s'écria-t-il,... elles sont gravées dans mon cœur.

      —Vous souvenez-vous aussi que je vous répondis: «Si vous croyez me devoir un peu de reconnaissance, vous pourrez vous acquitter en me rendant, le plus tôt possible, à mon pays natal.»

      Le visage de M. de Flammermont s'assombrit, car il prévoyait la suite, et il garda le silence.

      —Ce à quoi, poursuivit Farenheit, vous répondîtes: «Je ferai tout ce qui dépendra de moi.»

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      Le jeune homme inclina, à plusieurs reprises, la tête de haut en bas.

      —Oui,... oui... je me souviens maintenant.

      L'Américain poussa un profond soupir, en même temps, les traits