Aventures extraordinaires d'un savant russe: Le Soleil et les petites planètes. H. de Graffigny. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: H. de Graffigny
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066084165
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      L'ingénieur eut beau se pencher par dessus le bordage, il ne distingua rien; le disque de Vénus, fondu dans une sorte de brouillard, ne laissait encore rien apercevoir des détails de sa surface, surtout à l'œil nu.

      —On est bien sûr de l'existence d'une atmosphère, n'est-ce pas? demanda-t-il.

      —Parbleu! riposta le vieux savant, il y a beau jour, non seulement que l'on en a des preuves irrécusables, mais encore que l'on en connaît la hauteur, la densité, la composition... déjà, vous pouvez remarquer combien paraissent tronquées, arrondies, les extrémités des cornes du croissant vénusien...

      Il eut un petit ricanement méprisant et ajouta:

      —Bien que vous ne sachiez pas grand chose en astronomie, vous devez savoir cependant que cet épointement est dû seulement à la présence d'une atmosphère;... d'autre part, des astronomes ont reconnu, en étudiant Vénus spectroscopiquement, des raies d'absorption dues à une atmosphère contenant de la vapeur d'eau et analogue à l'atmosphère terrestre, mais plus dense...

      —Ces astronomes ne seraient-ils pas Tacchini et Vogel? fit l'ingénieur.

      Le vieux savant ne put retenir une exclamation de surprise:

      —Comment savez-vous cela? murmura-t-il.

      —En écoutant M. de Flammermont, qui me parlait tout à l'heure de Vénus, répondit imperturbablement Fricoulet.

      Ossipoff eut un hochement de tête qui signifiait clairement «Gontran! en voilà un qui sait bien des choses»; puis il poursuivit:

      —Il a dû vous dire aussi que, lors du passage de la planète devant le Soleil, tous les observateurs terrestres ont remarqué l'atmosphère de ce monde, semblable à une auréole lumineuse l'entourant extérieurement?

      —Il m'a dit aussi, s'empressa d'ajouter Fricoulet, qu'à la suite de mesures très précises, on a calculé que cette atmosphère ne mesure pas moins de 194 kilomètres de hauteur, c'est-à-dire, qu'elle est deux fois plus haute et plus dense que l'atmosphère terrestre.

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      —Vous voyez donc bien, monsieur l'ingénieur, répliqua le savant, que vous auriez tort de vous inquiéter; allez, vous respirerez sur Vénus, aussi bien que sur Terre;... l'air sera peut-être plus riche en oxygène... mais cela n'est pas un inconvénient.

      —Au contraire...

      Sur ce mot, Fricoulet tourna les talons, laissant Ossipoff s'écarquiller les yeux pour chercher à surprendre quelques heures plus tôt les mystères du monde vénusien, et il alla prendre place, dans le fond de la nacelle, aux côtés de Gontran.

      Combien de temps dormit-il? De longues heures sans doute, car lorsqu'il s'éveilla, secoué par une main énergique, il aperçut, à sa grande stupéfaction, Mickhaïl Ossipoff debout devant lui, débarrassé de son habit de scaphandre.

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      Tout de suite, il eut conscience du chemin qu'avait parcouru l'appareil, durant son sommeil.

      En un tour de main, il enleva le casque de sélénium et s'écria:

      —Nous sommes déjà dans l'atmosphère de Vénus.

      —Ne vous en déplaise, oui, monsieur l'ingénieur, répondit railleusement le vieillard... en quinze heures, on parcourt bien des centaines de mille lieues...

      —Quinze heures! exclama Fricoulet, j'ai dormi quinze heures!...

      Et, un peu confus, il ajouta:

      —C'est le Soleil, sans doute...

      Puis, se penchant vers M. de Flammermont, il appliqua son parleur sur la soupape de son casque:

      —Allons! cria-t-il d'une voix tonnante... debout... nous arrivons!

      Le jeune homme, réveillé en sursaut, fit un tel bond, que Farenheit se redressa, lui aussi, tiré brusquement de son sommeil.

      Rien ne peut peindre l'ahurissement des deux dormeurs en voyant leurs compagnons de voyage débarrassés des scaphandres qui les emprisonnaient.

      Sans qu'il fût besoin de le leur dire, ils se déharnachèrent rapidement, avides de respirer librement de l'air véritable.

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      Et leurs narines se dilataient, leurs bouches s'ouvraient pour aspirer en plus grande quantité cette atmosphère froide et vivifiante qui pénétrait dans leurs poumons et faisait couler, dans leur être, une vie nouvelle.

      —On se croirait sur Terre, murmura Gontran en proie à une félicité sans mélange.

      Farenheit, lui, humait l'air avec avidité, répétant à tout moment:

      —De l'air! du vrai air! de l'air d'Amérique!

      Le vieux savant avait déballé ses instruments et les avait suspendus aux filins du parachute.

      —Que dit le thermomètre? demanda Fricoulet.

      —Il marque 30 degrés centigrades et le baromètre 780 millimètres.

      L'ingénieur se frotta les mains.

      —Nous ne devons plus être éloignés que d'une vingtaine de kilomètres, n'est-ce pas? fit-il.

      —C'est-à-dire, quelques heures de voyage à peine, répondit Ossipoff.

      Cependant, Farenheit avait ramassé sa couverture de voyage et l'avait jetée sur ses épaules, à la façon d'un plaid.

      —Brrr, grommela t-il, savez-vous bien qu'il ne fait pas chaud, on grillait tout à l'heure, on gèle maintenant, il n'en faut pas plus pour attraper des fluxions de poitrine...

      —C'est un avant-coureur de la température qui nous attend dans Vénus, répliqua Gontran, en imitant l'exemple de l'Américain.

      —C'est une preuve de la densité de l'atmosphère qui forme, entre la planète et le Soleil, un écran dont l'épaisseur la protège de l'ardeur des rayons solaires.

      Ossipoff avait repris sa place au bordage et, sa lunette à la main, examinait avec impatience le monde nouveau qui se profilait dans l'espace.

      —Vous vous perdrez les yeux, à ce métier-là, mon cher monsieur, dit Fricoulet en haussant les épaules.

      Comme il achevait ces mots, et sans que rien eût fait prévoir un si brusque changement de temps, les brumes se déchirèrent, les nuages grisâtres s'enfuirent dans toutes les directions et, aux yeux émerveillés du Terrien, Vénus apparut, radieusement éclairée par le Soleil.

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      —Enfin! murmura Ossipoff.

      Par un curieux phénomène de perspective que les aéronautes de notre monde n'ont pu décrire, ne s'étant jamais élancés dans l'espace à d'aussi vertigineuses hauteurs, la planète étendait, sous les pieds des voyageurs, son panorama immense dont l'horizon semblait se relever jusqu'à hauteur de l'œil, formant ainsi un gigantesque entonnoir prêt à recevoir ceux qui arrivaient à lui du fond de l'espace.

      —Une chose qui m'étonne, dit soudain Fricoulet, c'est que nous ne soyons pas plus près du sol, une distance d'au moins quinze kilomètres nous en sépare, ce que je trouve anormal, étant donnée l'attraction de ce globe presque aussi gros que la Terre.

      Ossipoff, qui avait entendu l'observation de l'ingénieur, se retourna et lui dit:

      —Vous comptez sans doute pour rien l'action du parachute qui joue le rôle d'un frein extrêmement puissant et