Aussi, obéissant à la même idée, se juchèrent-ils tous sur le divan circulaire.
—Que faire? demanda Ossipoff.
—By God! s'écria l'Américain, y a-t-il autre chose à faire qu'à éteindre le feu?
—Si vous avez un moyen de refroidir ce métal, dit Fricoulet d'un ton rageur, je suis prêt à l'employer.
—Arrosons-le, suggéra Gontran.
Tous se précipitèrent vers les outres pleines d'eau suspendues aux parois et en versèrent le contenu sur le plancher.
Mais, au contact du métal brûlant, cette eau se transforma en vapeurs bouillonnantes; l'atmosphère du véhicule devint d'une opacité complète, si bien que les voyageurs ne s'apercevaient plus et que le bruissement de la vapeur les empêchaient de s'entendre.
—Séparons-nous de la sphère! s'écria Farenheit affolé, en se précipitant vers les leviers que commandaient les écrous d'attache.
Ossipoff et Fricoulet se jetèrent sur lui.
—Malheureux! hurla le vieillard, vous êtes fou!
—La mort tout de suite plutôt que ce supplice infernal! gronda le Yankee en faisant d'inimaginables efforts pour se dégager de l'étreinte de ses deux compagnons.
Fricoulet avait tiré son revolver.
—Si vous ne demeurez en repos, sir Jonathan, dit-il avec un calme effrayant, je vous fais sauter la cervelle.
—Qu'importe! rugit l'Américain qui perdait la tête, je souffre trop.
Soudain, Gontran eut une inspiration.
—Et Sharp? demanda-t-il, renoncez-vous donc à votre vengeance?
Ces mots produisirent dans l'attitude de l'Américain une transformation complète.
De lui-même, il abandonna les leviers et s'en fut dans un coin où, grondant de souffrance, il demeura immobile.
—Dix heures, dit Ossipoff; je vous demande dix heures; alors, nous pourrons abandonner la sphère sans aucun danger, car nous aurons pénétré dans la zone d'attraction de Vénus.
Ce furent dix heures terribles, épouvantables, pendant lesquelles les voyageurs firent preuve d'un courage admirable et d'une énergie surhumaine; ils ne cessèrent d'arroser le plancher que le frottement continuel du pivot avait rendu complètement rouge et qui leur renvoyait une chaleur torride.
Ossipoff, lui, ne quittait son chronomètre que pour mesurer, à l'aide du micromètre, l'arc sous-tendu de Vénus.
Enfin, il cria d'une voix rauque:
—Dans dix minutes nous arrivons au point neutre, préparons-nous.
Il était temps; le thermomètre marquait 42° centigrades et les voyageurs haletaient.
Néanmoins, l'approche de la délivrance leur donna de nouvelles forces; déjà ils avaient amarré solidement, le long des parois, tout ce qu'ils désiraient conserver à bord; en un tour de main ils eurent revêtu leurs scaphandres.
C'étaient des espèces de vêtement en étoffe élastique comme du caoutchouc, dans lesquels les membres entiers et le torse se trouvaient emprisonnés hermétiquement; l'étoffe elle-même était soutenue par un réseau de ressorts métalliques d'une finesse extrême et d'une élasticité remarquable, de manière à résister à l'expansion des gaz contenus dans les tissus vivants des voyageurs.
La tête était protégée par une sorte de casque en sélénium, de forme ovoïdale et ressemblant aux respirols dont Ossipoff et ses compagnons avaient déjà fait usage pour explorer l'hémisphère visible de la Lune.
Dans une sorte de récipient pratiqué à l'intérieur du casque, ils emmagasinèrent à la hâte quelques tablettes d'oxygène solidifié; l'air vicié, ainsi que les produits de la combustion pulmonaire devaient être évacués par une soupape placée au sommet de la tête.
—Êtes-vous prêts? demanda Ossipoff.
Tous répondirent affirmativement, tenant à la main le casque dans lequel leur tête devait s'emprisonner.
—Enlevons les écrous, commanda-t-il.
Chacun d'eux pesa aussitôt sur le levier correspondant à l'un des quatre écrous, et la logette ne se trouva plus retenue à l'appareil que par le pivot central.
—Suivez à la lettre mes recommandations, dit alors le vieillard; dans quelques instants, aussitôt que nous aurons pénétré dans la zone d'attraction de Vénus, et comme nous l'avons fait quand nous sommes arrivés dans la Lune, nous nous retournerons pour avoir les pieds là où nous avons la tête actuellement... imitez exactement tous mes mouvements et tenez-vous solidement aux attaches disposées tout autour de la coupole sur le fond de laquelle nous allons nous trouver debout.
Il se tut et vissa rapidement la collerette de son appareil, pendant que ses compagnons en faisaient autant de leur côté. Puis, quand ils les vit résolus et fermement attachés aux saisines, il courut au volant qui commandait l'écrou central et le saisit énergiquement d'une main, tandis qu'il levait l'autre bras dans un geste qui signifiait:
—Attention!
CHAPITRE IV
TROIS MILLIONS DE LIEUES EN PARACHUTE
Ils n'eurent que le temps de se retenir à une saisine; avec une secousse terrible, la sphère sortit de son alvéole et les voyageurs se trouvèrent pris dans une sorte de tourbillon qui les empêcha d'avoir conscience de la révolution qui s'opérait dans l'appareil; instinctivement, ils avaient fermé les yeux et demeuraient cramponnés aux cordes avec toute l'énergie du désespoir, le cœur angoissé par la perspective de l'épouvantable mort qui les attendait.
Quand ils reprirent possession d'eux-mêmes, ils se trouvèrent accroupis dans le dôme arrondi de la logette qui, maintenant, formait plancher sous leurs pieds; au-dessus de leurs têtes, retenu par ses douze câbles de sélénium, l'immense parachute étendait sa surface métallique.
Mickhaïl Ossipoff se tourna vers Gontran et appliqua son «parleur» sur la soupape d'échappement de son casque; ces «parleurs» avaient été légèrement modifiés pour parer aux incommodités reconnues, lors de l'excursion dans l'hémisphère visible lunaire.
Au lieu d'être tout droits, comme primitivement, ils étaient fortement coudés; une extrémité s'appliquait à une petite soupape percée dans le casque, juste devant la bouche; l'autre extrémité s'ajustait à la soupape d'échappement