Ils en étaient là de leur conversation, lorsque soudain Fricoulet, qui avait tiré son chronomètre, s'écria:
—Comment diable! se fait-il que nous ne descendions pas plus vite que cela... nous devrions être arrivés depuis longtemps.
—Et il semble que nous ne bougions pas, ajouta Farenheit.
—Pardon, répliqua Gontran, nous bougeons, au contraire; mais pas dans le sens perpendiculaire, dans le sens horizontal.
Il étendit son bras vers l'avant et déclara:
—Nous filons bon train de ce côté.
L'écran nuageux, qui s'était un moment entr'ouvert, venait de se refermer, et les voyageurs se trouvaient plongés de nouveau dans la masse épaisse de l'atmosphère.
Après avoir contrôlé l'affirmation du jeune comte et constaté, en effet, qu'emporté par un courant d'air formidable, l'appareil filait avec une vitesse prodigieuse, le vieux savant s'écria:
—Mais il ne faut pas nous laisser dévier... il nous faut descendre... descendre au plus vite... où que ce soit... mais descendre, sinon...
Il eut un geste tragique.
—Le parachute est trop léger, fit Jonathan Farenheit.
—Ou l'atmosphère trop dense, riposta l'ingénieur.
—Mais que faire? grommela l'Américain.
—Nous alourdir est impossible, murmura Ossipoff.
Ils se regardaient tous, anxieux, ne sachant quelle résolution prendre.
—Coupons les filins qui nous retiennent au parachute, dit tout à coup l'Américain, et laissons-nous tomber à la grâce de Dieu.
Fricoulet haussa les épaules.
—C'est de la folie, murmura-t-il.
—Il y a, dans la vie, des moments où les folies sont les seules choses que l'on puisse faire raisonnablement, grommela Farenheit.
—Mais cette folie vient de me suggérer une idée, dit à son tour M. de Flammermont.
Ossipoff lui prit les mains:
—Ah! mon cher ami, parlez... parlez vite.
—Je pense que si l'on diminuait la force de résistance du parachute nous tomberions plus rapidement...
—Facile à dire, grommela l'Américain humilié du peu de succès de sa proposition, mais à exécuter...
—Si l'on diminuait la surface du parachute, proposa le vieux savant.
—Génial! s'écria l'ingénieur.
Il fouilla dans la boîte à outils, y prit une pince en acier qu'il passa dans sa ceinture et cria:
—Laissez-moi faire, cela me regarde.
D'un bond, il avait sauté sur le bordage et empoignant à deux mains l'un des cordages de sélénium qui reliait la logette au parachute, il s'élevait à la force des bras.
Mais la pesanteur, presque nulle sur la Lune, avait repris son empire, et il semblait au jeune homme qu'il fût devenu lourd comme du plomb.
—Fricoulet! appela M. de Flammermont, Fricoulet!
Mais lui ne répondait pas et continuait à grimper, lentement, il est vrai, et, malgré son énergie, il crut plusieurs fois qu'il allait défaillir.
Enfin ses mains atteignirent les bords du plateau métallique et s'y cramponnèrent désespérément, mais, harassé par cette ascension de dix mètres le long de ce câble gros à peine comme le petit doigt, c'est en vain qu'il tentait de se soulever par ce jeu des muscles, qu'en terme de gymnastique, on nomme un rétablissement, il ne pouvait y parvenir.
Le découragement allait s'emparer de lui lorsque son pied, rencontrant une patte d'oie,—on nomme ainsi la suture de deux filins,—s'y arc-bouta et lui permit de se hisser enfin sur le parachute.
Le plus fort était fait, et après avoir soufflé quelques instants, le courageux ingénieur, s'aidant des genoux et des mains, se traîna sur la surface polie du parachute, arrachant, de distance en distance, avec sa pince, les écrous qui reliaient l'une à l'autre les plaques de sélénium.
—Descendez! descendez! cria soudain Ossipoff, nous tombons!
Fricoulet arracha encore quelques plaques qu'il lança dans l'espace, puis, tranquillement, il remit la pince à sa ceinture et, se laissant glisser le long d'un câble, rejoignit ses compagnons qui l'attendaient avec anxiété.
Ils tombaient, en effet, avec une vertigineuse rapidité, passant au travers des couches nuageuses comme une flèche.
Soudain, une épouvantable détonation retentit, semblable au bruit de dix coups de foudre éclatant simultanément; une lumière intense, aveuglante sembla embraser l'espace, jetant sur le parachute comme des lueurs d'incendie, en même temps que les vents, subitement déchaînés, s'emparaient de l'appareil et l'entraînaient, dans un épouvantable tourbillon, vers le sol.
—Un orage, cria à pleine voix Mickhaïl Ossipoff pour rassurer ses compagnons.
—La mer! la mer! cria à son tour Gontran qui, à demi-penché hors de la nacelle, cherchait à percer les nuages en feu.
Sous l'effort du vent, le voile qui cachait le sol venait de se déchirer, et à un kilomètre au-dessous de l'appareil, s'étendait, à perte de vue, une nappe d'eau élevant, avec un bruit horrible, des vagues monstrueuses couronnées d'aigrettes électriques.
Le parachute, tournoyant sur lui-même, tombait comme une pierre.
—Des bateaux!... j'aperçois des bateaux! hurla Farenheit pour se faire entendre malgré les sifflements de la tempête.
—Nous en serons quittes pour prendre un bain sérieux, riposta Fricoulet, ces bateaux nous sauveront.
Ce furent les dernières paroles prononcées.
La nacelle venait de glisser dans le creux d'une vague; une montagne d'eau s'abattit sur elle, la chavirant, la roulant comme une simple épave.
Puis, entraînée par le poids du parachute qui, lui aussi, s'était abattu dans la mer, elle coula à pic, entraînant, dans les profondeurs mystérieuses de l'Océan vénusien, Ossipoff et ses hardis compagnons.
CHAPITRE V
PLONGEON DANS L'OCÉAN VÉNUSIEN
Cette tête était celle de Jonathan Farenheit.
Tout en coulant à pic, l'Américain avait conservé son sang-froid; il n'en était pas, d'ailleurs, à son premier