—Vous vous plaigniez de la chaleur sur la Lune! dit Ossipoff en intervenant dans la conversation; sachez que sur Vénus, pendant l'été, le soleil tourne autour du Pôle, en s'élevant en spirale et en envoyant une quantité de lumière presque deux fois plus grande que celle qu'il envoie à la Terre.
—Quant à l'hiver, dit à son tour Fricoulet, le froid doit être comparable à celui qui règne sur la Lune pendant la nuit de trois cent cinquante-quatre heures, car le soleil n'approche pas du tout de l'horizon et reste considérablement au-dessous.
—Les régions équatoriales ne sont pas plus favorisées que les pays polaires, elles ont, chaque année, deux étés pendant lesquels le soleil monte au zénith et déverse sur elle des rayons certainement plus ardents que ceux sous lesquels rôtissent nos contrées équatoriales terrestres...
—Eh bien! demanda Fricoulet, avez-vous compris?
—Je ne sais si j'ai compris, répliqua d'un ton accablé l'infortuné Yankee, totalement abasourdi; tout ce que je sais, c'est qu'il fait ici une chaleur étouffante!
Il avait enlevé sa casquette de voyage et s'épongeait le front tout ruisselant de sueur.
Fricoulet répliqua:
—Il fait en effet très chaud ici.
Puis à Gontran.
—Mais qu'as-tu donc? tu es rouge comme un homard!
—Je succombe, murmura le jeune comte en enlevant son vêtement.
—C'est le Soleil, sans doute, dit Ossipoff; plus nous allons et plus nous nous rapprochons de lui; extérieurement, les parois du véhicule doivent être brûlantes.
—En effet, murmura M. de Flammermont, ce doit être le Soleil; la distance qui nous sépare de lui diminue sensiblement.
—Oh! sensiblement, répliqua le vieillard... deux millions de lieues sur trente-sept... c'est peu...
Farenheit soufflait comme un bœuf.
—By God! grommela-t-il, ce ne doit pas être tenable sur votre planète du diable!
—Rassurez-vous, mon cher sir Jonathan, répondit Ossipoff en souriant; cette planète du diable—ainsi que vous l'appelez, sans doute parce qu'il y fait aussi chaud qu'en enfer, cette planète a, pour la protéger de l'ardeur solaire, une enveloppe fort épaisse de nuages, en sorte que la température n'y doit guère être plus élevée que sur Terre... c'est fort heureux pour ses habitants, mais fort déplaisant pour nos astronomes qui n'ont pu apercevoir la géographie vénusienne qu'à travers les déchirures de ce voile nuageux...
—Aussi n'a-t-on sur Vénus que des données imparfaites, crut devoir ajouter Gontran d'un ton important.
Cependant Fricoulet ne pouvait tenir en place, il allait et venait à travers la chambrette, enlevant, l'une après l'autre, toutes les pièces de son vêtement, si bien qu'il arriva à n'être plus vêtu que de sa chemise et de son caleçon.
—Cette chaleur est intolérable! s'écria-t-il soudain, en proie à une souffrance véritable.
—Que voulez-vous y faire? demanda le vieillard d'un ton sec, en venant avec nous, vous saviez à quoi vous vous exposiez... vous n'aviez qu'à rester avec Telingâ...
—N'y aurait-il donc aucun moyen de s'abriter des rayons solaires? demanda Gontran, peiné de l'aspect misérable de son ami.
—Une idée, fit l'Américain, si on mouillait toutes nos couvertures de voyage, on les étendrait contre les parois, et par l'évaporation...
—Oui, balbutia Fricoulet absolument hors d'haleine, on pourrait tenter cela...
Il se baissa pour ramasser une des couvertures qui avait glissé sur le plancher; mais aussitôt il poussa un cri de douleur et se releva tout pâle, les yeux hagards.
—Qu'arrive-t-il donc? demandèrent les voyageurs en se précipitant vers lui.
—Il y a, répondit Fricoulet, que le plancher est brûlant.
—Brûlant! ce n'est pas possible, exclamèrent-ils tous à la fois.
—Faites-en l'expérience, répondit un peu aigrement l'ingénieur.
L'Américain se courba et approcha sa main.
—By God! grommela-t-il, M. Fricoulet a raison.
Comme il achevait ces mots, une secousse assez violente se produisit sous leurs pieds, et tous ils tombèrent assis sur le divan circulaire.
—Sacrebleu! gronda Fricoulet, que se passe-t-il là-dessous?
—Il se passe, répondit Ossipoff, que les galets qui soutiennent le plancher viennent de gripper.
La pâleur de Fricoulet augmenta.
—Oh! oh! fit-il à voix basse, voilà qui est grave...
—Grave! s'exclama Gontran... et pourquoi cela?...
—Mais parce que...
Il s'arrêta et murmura:
—À quoi bon les épouvanter?
Puis, à Ossipoff:
—À quelle distance sommes-nous encore du point neutre? demanda-t-il.
Le vieillard réfléchit quelques secondes et répliqua avec assurance:
—À un millier de kilomètres.
—Combien mettrons-nous de temps à franchir cette distance?
—Deux heures environ.
Le visage de l'ingénieur s'assombrit.
—Nous ne pourrons jamais tenir jusque-là, grommela-t-il.
Tous le regardaient avec inquiétude.
—Mais enfin, demanda Gontran, que penses-tu?... voyons, parle; nous sommes des hommes, après tout, et s'il faut mourir... eh bien! nous mourrons... quant à moi, je préfère savoir à quoi m'en tenir... et je suppose que ces messieurs sont de mon avis.
—Certainement, dirent-ils.
—Avant que de vous répondre, fit alors Fricoulet, laissez-moi m'assurer...
Il prit dans la boîte à instruments une paire de pinces, s'en fut dans un coin de la logette et, saisissant un anneau, le tira à lui de toutes ses forces, ce qui souleva un carré du plancher monté sur charnières comme une porte.
Au même instant, un jet de flammes fusa jusqu'au sommet du dôme métallique.
L'ingénieur laissa retomber le panneau.
—Voilà ce que je craignais, dit-il d'une voix rauque.
—Qu'est-ce que cela? demandèrent-ils en proie à la stupeur la plus profonde.
—Vous le voyez bien, riposta Fricoulet; c'est le feu...
—Le feu!
—Eh! oui; nous sommes sur un incendie provoqué par le grippage du pivot et du plancher; voilà l'explication de la chaleur intolérable qui règne ici... vous avez demandé à être fixés... vous l'êtes maintenant.
La raison donnée par l'ingénieur était la seule plausible pour expliquer