Ou encore, c’était comme des montagnes russes, quand ça descend et remonte aussi sec.
Je me rappelle de quelques secondes d’étonnement grandissant,
et à cet instant précis son regard accidentel.
Un regard accidentel qui, comme le bord d’un foulard entraîné par le vent, flottant dans l’air, s’accrocherait soudain à quelque chose. Une fine épine de fleur. Une petite écharde sur la surface lisse du bois. Un crochet de fer dépassant d’un mur.
– –
Bien sûr, rien ne s’est vu de l’extérieur.
«Dans notre spectacle, ne se lassait jamais de rappeler le type en turquoise (et la fratrie colorée hochait la tête), il ne s’agit que d’énergie. Du début jusqu’à la fin. Et pourquoi?
– Parce que sans énergie – c’est comme ça…»
Les gars se sont composé des visages douloureux, exactement comme les masques de tragédie grecque. L’un après l’autre, ils se sont brisés en deux, les bras ballants, le haut du crâne pendant à leurs pieds. Quelle tristesse! L’impuissance personnifiée. Le désespoir triomphant.
«Mais avec l’énergie – c’est comme ça!»
Les gars ont sauté – à peu près à trois mètres de haut, m’a-t-il semblé – chacun réalisant une pirouette en l’air. Ils étaient si revigorés que chacun paraissait avoir reçu une balle contenant du gaz hilarant; puis les battes roses au slogan rasta se sont remises à s’agiter en l’air. Ce slogan, je dois dire, m’a plu dès le début: il m’a paru familier. Les questions d’énergie (à plus forte raison d’énergie positive) m’ont donné bien du travail dans la vie, mais avec le temps j’ai fini par me considérer comme une experte dans ce domaine. En effet, j’aurais pu faire commerce de générateurs d’énergie positive. Même si mes débuts n’aient pas été très prometteurs et que vers dix-neuf ans je ne suscitais aucun espoir. Il était difficile de trouver personnage plus abattu que moi. Miss dépression gothique, voilà ce que j’étais. La princesse de la soupe à la grimace. Autrement dit, exactement ce que les membres du boysband de danse militaire venaient de représenter. Sans énergie c’est comme ci, avec de l’énergie c’est comme ça. On connaît la chanson.
Mais on reprendra ça plus tard. Je ne cours nulle part.
Le collectif bigarré a remercié le public, trois de ses membres ont accouru avec des seaux rouges le long des spectateurs, ramassant le fruit de leur labeur de rue (» mais même si vous n’avez pas d’argent, les amis, ne partez pas comme ça! Un sourire, un baiser, un bon mot sont aussi les bienvenus!»). Les seaux faisaient un sacré fracas. Les mains tremblantes, j’y ai versé toutes les pièces que j’avais sur moi. Je me sentais comme si, telle un transformateur, j’avais laissé passer à travers moi des millions de volts, comme si quelque chose de fort avait circulé entre nous. Ou comme si j’avais fait cent pompes. J’ai regardé les spectateurs. Ceux-ci avaient l’air de sortir d’un sauna; affichant des sourires béats, ils semblaient être sur leur petit nuage. Mais tout de même, j’ai eu l’impression qu’ils restaient dans les limites de la normalité. Sans que cela passe par des états modifiés de conscience.
Pendant le spectacle j’ai croisé son regard à quelques reprises – le regard de l’homme qui s’est accroché ou a buté sur quelque chose, mais n’a pas réussi à comprendre ce que c’était. C’est ce qui me semblait, mais j’ai décidé de ne pas me faire de films. Garde les pieds sur terre. Le voyou en turquoise, il lui faut garder un contact visuel avec l’auditoire. C’est un artiste. Tout est conforme aux dires de John, comme si ça sortait d’un livre. Vous êtes cent dans les premiers rangs, et encore autant derrière. Quant au tourbillon d’air et de lumière, c’était juste une empathie. Ou bien un météorite t’a atteint en pleine tête.
Le bon sens scolaire est une chose excellente et utile, on nous le délivre en même temps qu’une règle dans les classes préparatoires. On ne peut pas s’en passer. Sans ça on se perdrait dans ce monde, on se dissoudrait dans les flux d’énergie multicolores, et il se pourrait bien que cette terre que quelqu’un a inventée pour nous cesse d’exister. Reprends-moi, si je me trompe.
– –
Je peux me permettre des accès de sentimentalité; la steppe a fait partie de ma vie. Quoi qu’il en soit, je peux compter sur les doigts d’une main les choses qui m’ont faite ce que je suis. L’une d’elles était la steppe; l’expédition avec toutes ses pierres, ses ossements, ses pièces de monnaies en bronze, ses figures en terre cuite, ses perles en turquoise. D’abord la Crimée, Kertch, ensuite le site « Vestnik» près d’Anapa. Et aussi la nécropole d’Hermonassa.
Là encore, un hasard. Je suis allée pour la première fois à une expédition archéologique quand j’étais en neuvième classe; c’était une sorte de camp d’éducation d’été. D’éducation, ou plutôt de rééducation, comme on aimait plaisanter. Dans les faits, un type de loisir pour enfants, à la mer, mais avec un régime semblable à celui d’une colonie pénitentiaire. Le camp était au beau milieu de la steppe; il fallait une heure à pied pour atteindre le village le plus proche. Réveil à cinq heures du matin (quatre heures pour les responsables de la cuisine); toilette avec l’eau du réservoir, si froide que les mâchoires se contractent, petit-déjeuner dans la cantine du camp, transpercée par mille vents (au menu, des biscuits secs et de la bouillie d’avoine gluante servie dans une petite timbale en métal). Il caille, tu t’enveloppes dans deux pulls. Le soleil cramoisi monte de derrière la colline. Le ciel est rouge, les nuages se déplacent à grande allure. Il faut manger vite aussi, sinon toutes les bonnes pelles seront parties; tu en auras une tordue ou émoussée. Il y en a certains qui cachent les pelles près des tentes dès le soir venu. Et puis, il est important de ne pas oublier quelque chose à mettre sur les épaules, sur la tête et une crème contre les brûlures du soleil. Pas question de boire: de jour, dans une telle fournaise, tout ce qu’on a ingurgité part en sueur. Idéal pour avoir une déshydratation. Et plus vite que ça!
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