De toutes ses pensées incompréhensibles, il avait commencé à avoir un horrible mal de tête. La voiture, semblait-il, roulait par elle-même et, heureusement, il était seul sur ce bout d’autoroute.
Peu à peu Bill revint à lui, le mal de tête s’estompait et laissait la place à une appréciation de la situation. Il s’était rendu compte qu’il roulait à deux cent vingt-cinq à l’heure, et, grâce à Dieu, il n’y avait pas beaucoup de virages, et, s’il ne ralentissait pas, ce serait son dernier voyage…
Il commença à appuyer sur la pédale du frein, le bruit diminuait derrière les vitres, le volant tremblait de moins en moins, et les images commençaient à apparaître à gauche et à droite de la voiture. La voiture ralentissait jusqu’à quatre-vingts à l’heure. «Une Force me protège!», se dit-il en arrivant aux portes des Studios.
Le calme qui régnait dans les environs des Studios le surprit. Il se demanda: «Qu’est-ce qu’il se passe?» Normalement à son arrivée des dizaines de gens lui sautaient dessus, l’arrachaient de la voiture et lui exigeaient des réponses immédiates à des milliers des questions. Personne.
Comme si l’Univers avait entendu sa demande, et le monde entier le laissait en paix. Tout de même, il voulait savoir à quoi était dû ce changement, car il ne croyait pas du tout au fait que l’Univers puisse avoir des oreilles pour l’entendre, et, d’autant plus, réagir en si brefs délais.
Bill rentra dans le bâtiment: sa secrétaire était en place, comme toujours. Lui jetant un rapide «bonjour», Bill passa dans son bureau. Sur sa table, comme d’habitude, régnait un grand désordre, car Bill empêchait tout le monde de s’approcher de ses papiers et les ranger, et comme il n’avait pas non plus le temps pour s’en prendre à cette montagne, elle ne cessait de croître. Tout était comme toujours, sauf que le téléphone ne sonnait plus comme un fou, et la secrétaire ne rentrait pas toutes les deux secondes pour lui introduire des clients indésirables.
Bill décida d’attendre et de voir ce qui allait se passer. Il ne se passait rien. Ce qu’il trouvait agréable au départ, commençait à l’ennuyer légèrement: «Personne n’a plus besoin de lui?» Il ne pouvait pas être viré, car les Studios étaient les siens. Ils ne pouvaient pas être fermés, car c’était un jour de travail, et personne ne pouvait donner l’ordre à sa place. Quoi donc? Une révolte? Un mini-coup d’État? Cela devenait très curieux. Il sortit dans le couloir. Personne. Il rentra dans le bureau de la secrétaire. Elle, semblait-il, ne le voyait plus.
– Bonjour, commença Bill, hésitant.
– On s’est déjà salué, Bill! Vous ne vous en rappelez pas? Son ton très calme et quotidien lui paressait bizarre.
– Il s’est passé quelque chose?
– Ici? Non, tout va bien, l’équipe est partie pour les repérages, Bill.
La lourdeur tomba de ses épaules: «Apparemment, tout va bien!», mais quelque chose dans l’air continuait d’être, quand même, très étrange.
– Vous allez bien? Il ne savait pas par quoi commencer.
– Oui, je vous en prie.
– Mais de quel diable vous me répondez de cette façon! commença à s’énerver Bill. Dites-moi enfin, qu’est-ce qu’il se passe?!!! Il tournait autour d’elle comme un vautour.
La secrétaire avait l’air impassible et répondait très calmement:
– On a décidé de vous offrir des vacances, Bill. On s’est réuni et on a décidé de continuer le film sans vous, car votre état de santé nous inquiète beaucoup. Donc vous devez vous reposer. Voilà, les billets pour Paris, Séoul et l’Italie, dans un premier temps, après, si vous décidiez de changer votre itinéraire, vous pouvez le faire à tout moment, je suis là pour assurer le succès de l’opération… pardon, de votre voyage! Bonne route, Bill! Vos hôtels sont tous réservés, vous trouverez tout dans ce dossier, vous n’avez qu’à faire vos bagages! Et bon retour, Bill!
Elle lui tendit le paquet avec les réservations et les cartes bancaires et, comme avant, avec un grand calme, elle se remit à regarder l’écran de son ordinateur.
– Au revoir, répondit Bill, quittant le bureau de sa secrétaire dans un total abasourdissement.
Un moment il voulut revenir, crier, s’imposer, s’indigner de cette décision collective derrière son dos, mais un léger ruisseau de plaisir apparut dans son ventre. Il revenait encore et encore et devint enfin bien fort et saisissable. Bill était prêt à sauter de joie: «Il était libre! Libre comme il ne l’avait jamais été auparavant! Jamais! Comme si, l’Univers, comme un immense génie, avait comblé son plus grand rêve, lui donnant la liberté au moment où il la souhaitait plus que tout au monde!
Sortant de son bureau, Bill prit sur la table et jeta dans sa poche le bout de papier avec l’e-mail imprimé, et se dirigea vers sa voiture. La journée était belle, calme, ensoleillée, comme presque tous les jours dans cette région, rien ne lui promettait de grands événements. Mais le petit ruisseau dans son ventre lui rappelait que quelque chose s’était passé quand même entre-temps. Pour l’instant il ne voulait plus y penser. Ce ruisseau lui était suffisant pour sentir un léger sentiment se répandre dans son corps.
Revenant à la maison, Bill décida, quand même, de regarder l’heure du départ: «C’était pour ce soir!» Tous les ponts à la désertion étaient coupés, maintenant ou jamais. «Mais comment elle avait deviné le trajet de mes destinations?», se demanda-t-il, jetant les chemises en soie dans la valise.
«Et pourquoi Séoul? On n’a jamais parlé de Séoul? Paris non plus? Oui, les sites touristiques de l’Europe et de l’Asie… l’Italie aussi… bon, c’est peut-être une simple coïncidence. Je commence à perdre les pédales en voyant des signes partout! Il faut partir au plus vite, avant que quelque chose ne me retienne ici!» Il jeta son dernier regard sur les fleurs, les prit dans la main, et sortit dehors sans la moindre hésitation.
Christine roulait dans le TGV en direction du Sud-Ouest. La question que lui avait posée Bill, la tourmentait: «Elle savait déjà qu’elle le verrait bientôt et qu’il l’emmènerait sur les îles de Noureev, mais elle ne savait pas quand et comment ils se rencontreraient.»
«Mais on aurait pu prendre le rendez-vous hier! Il me le demandait…» Cette idée de passer au réel lui faisait légèrement peur, mais juste un peu, Christine ne doutait plus de l’existence de Bill.
Mais elle ne savait rien sur Bill, ni qui est-il, ni où habite-t-il, ni quelle langue parle-t-il! Elle ne savait rien! Et ce «rien» retardait sa décision sur le rendez-vous. «Ce n’est pas pour demain, se disait-elle, et c’est déjà bien! J’ai encore un peu de temps devant moi. Et il faut que je demande pas mal de choses à ma mère, sur tout ce que m’a demandé Bill. Mais comment je raconterai à ma mère, qui est Bill, et comment il m’a raconté tout ça?! Oh, encore une énigme…», réfléchissait Christine en regardant les paysages filants.
«C’est si agréable de parler avec lui, de l’entendre, de sentir sa constante présence, mais comprendre tout ça, c’est un véritable casse-tête! Pour ma mère il faut que j’invente une explication un petit peu plus crédible… Sinon, elle va s’inquiéter pour rien. Ce n’est pas de sa faute si elle est née avant que toutes ces méthodes commencent à apparaître, et que je fais partie des gens qui comprennent déjà un petit bout. D’accord, je suis encore très loin de la vraie compréhension… rien que le fait que j’hésite avec Bill… mais si j’avais réussi à me débarrasser de cette fatigante hésitation, et si je commençais à voir les choses avec les yeux d’un enfant qui accepte tout, même l’incompréhensible et l’inimaginable? Les enfants ont plus de chance que nous dans tous ces apprentissages! Ils ont moins