«… Bon, intervint Kim, les chances sont tellement infimes mais, de toute façon, même si on se plante, on aura fait le plus beau voyage de notre vie, on s’amusera et peut-être, qui sait, on découvrira tout de même ses mystères… Moi, je suis partant! Et, toi, Paul, qu’est-ce que tu en penses?»
«Reste à convaincre votre Bill, moi, je marche!», souffla Paul.
«Moi, je m’engage de convaincre mon boss… Tiens, Paul, tu vas lui écrire une petite lettre dans laquelle tu lui révèles ton plus grand secret, et moi, je vais la lui transmettre… Et, pour qu’il y croie davantage, on lui dira qu’il est le descendant des tsars russes, il est tellement vaniteux, que cela devrait marcher! Hein? On le fait?»
«Pour le tsar je ne sais pas, fais comme tu le sens, tu le connais mieux que moi, ton boss… Écris-lui de ma part, d’accord! Déjà, c’est une sacrée aventure! Salut! À plus!» Paul coupa l’ordinateur.
Bill sortit de sa maison et, au lieu de se diriger vers ses Studios, il prit la direction du quartier commercial et s’arrêta devant un magasin de fleurs. «Puisque je ne peux pas t’envoyer des fleurs, ma chère nouvelle amie, je les poserai là, où je peux converser avec toi, où je me sens le plus proche de toi!» Il rentra dans le magasin, plein d’arômes de toutes sortes: les parfums sucrés des roses, les parfums aigres-doux des plantes tropicales, l’odeur de la terre dans les pots et une fine senteur des herbes de la campagne l’ont frappé dans le visage.
– Des tulipes, des roses, des magnolias, des lys et quelques feuilles de bambou! télégraphia Bill à la vendeuse.
– C’est pour la maison ou pour offrir? demanda-t-elle d’une voix indifférente.
– Pour la maison, non… pour offrir… enfin, non, pour offrir à la maison!
– Il faut que vous vous décidiez enfin! Elle ne comprenait pas et elle ne pouvait pas comprendre que Bill ne le savait pas lui-même! Mais il voulait faire ce geste, à qui? Il ne le savait pas…
Quand il sortit du magasin, il se sentit à nouveau léger, sans devoir se justifier à personne, il était à nouveau heureux dans ses sensations d’aventure débutante. Avec qui? Il s’en moquait complètement! Il portait les fleurs à celle qui comprenait son âme et cela était suffisant pour l’instant!
À la maison, Bill posa soigneusement toutes les affaires. Il passa du temps à laver le vase, à couper passionnément les bouts des tiges, et puis il les plaça dans un grand bouquet décoratif comme un bon spécialiste japonais. Il était rentré dans un tel état de méditation, qu’il n’entendait plus les appels incessants de ses collègues du travail. Il était bien ailleurs.
«Pourvu que ça marche cette fois-ci! Je voudrais continuer à parler avec elle!», pensait-il en fixant les fleurs. Il était onze heures du matin, les Studios se déchaînaient derrière l’appareil téléphonique. Il ne les entendait pas.
«Christine, réponds! S’il te plaît! Je suis prêt à t’entendre! Je t’en prie!»
«Je suis là… j’ai eu le temps de rentrer chez moi, tu étais où?» Il entendait de la joie, mal cachée, dans la voix de Christine.
«Oh! Tu es là! Je suis allé te chercher des fleurs, beaucoup de fleurs, tu aimes les fleurs?»
«Je les adore!»
«Tu m’as manqué, j’avais peur de ne plus te retrouver en revenant… Mais dis-moi, pourquoi, quand je te demande de me parler de toi, tu disparais?»
«Mais c’est toi qui as disparu brusquement, j’allais te raconter mes voyages sur les îles…»
«Oui, oui, on en était là! Je t’écoute!»
«Ma mère avait à l’époque un ami italien, il travaillait avec Noureev pour ses spectacles grandioses, et elle m’emmenait partout où elle allait. Un été on est passé sur les îles. Elles ne sont pas très grandes, ces îles, d’une matière rocheuse, probablement d’origine volcanique. Elles sont trois: une grande, deux kilomètres de longueur, et deux, toutes petites, comme des satellites. Des pièces du décor dans la surface de la mer. Ces îles, je me souviens bien, elles étaient remplies de mystères. Noureev ne voulait pas en parler en ma présence, et ma mère m’expliquait que j’étais encore petite pour tout savoir. Apparemment, elle savait beaucoup de choses, mais je ne lui ai jamais demandé de me raconter plus… il faut que je lui pose quelques questions, si cela vous intéresse tellement! Voulez-vous?»
«Oui, oui et comment! Mais où habite maintenant votre mère?»
«Elle habite dans le sud-ouest de la France. Je pourrais aller la voir!»
«Puis-je vous accompagner?»
«Mais vous m’accompagnez déjà partout, où que je sois! Vous n’avez pas besoin de me demander, vous êtes le bienvenu!» Christine se mit à rire.
«Oui, je n’ai pas osé de…»
«De quoi…»
«De vous demander plus…, j’ai tellement peur de vous perdre! Non, laissons pour l’instant tout à sa place! Allez voir votre mère, je vous suivrai…»
«Mais quoi, au juste, avez-vous voulu me demander tout à l’heure? Pas tout de même…»
«Non, bien plus que ça! Mais j’ai peur que nous ne soyons pas encore prêts…»
«Je vous écoute…»
«Je veux vous accompagner, mais… là-bas, en vrai… en moi, en personne, en tant qu’homme réel… en chair et en os… je suis pas mal! D’après ce qu’on dit…», il rit légèrement.
«Je n’ai pas pensé à cela… je dois réfléchir encore… laissez-moi un peu plus du temps… je vous embrasse, à bientôt! Venez me voir quand vous voulez…» et elle disparut. Il ne l’entendait plus… plus rien…
Bill se releva de son divan en furie, en criant seul dans son salon:
– Elle m’embrasse! Je vais l’accompagner! Mais qu’est-ce que je dis! Elle n’est pas réelle! C’est mon imagination qui parle! Comment je peux m’accompagner moi-même, mon imaginaire, qui est déjà en moi! Non! Non! Ce n’est pas possible!… Pourtant, elle me semblait si proche…
Il sortit en courant de son appartement et sauta dans sa voiture de sport. Une fois sur le free-way, il ne s’était pas rendu compte, que le tableau montrait déjà les deux cents… les deux cent vingt… deux cent vingt-cinq à l’heure… Juste que le volant tremblait dans ses mains et le vent hurlait derrière les vitres. Il ne voulait plus penser à rien, il ne voulait plus savoir si elle était réelle, ou bien non! Dans les deux cas, les deux possibilités l’effrayaient.
«Si elle n’était pas réelle, si elle n’était que le produit de son imagination, alors, il ne la verrait jamais! Mais son désir de la voir était si réel, si fort, si saisissable, qu’il ne pouvait plus imaginer un seul instant que ce serait impossible… Mais… si, par hasard… elle…» Il ne laissait pas rentrer cette idée dans son conscient… mais, de plus en plus, gardait la porte entrouverte…
«Si elle est réelle… cela veut dire qu’il communique avec un être humain à l’autre bout de la planète uniquement par la force de sa pensée!!! Cela dépassait complètement tout ce qu’il savait jusqu’à là! À un fort sentiment de bonheur, issu de cette belle présence dans sa vie, se rajoutait, alors, un sentiment nouveau, auquel, il ne savait pas, s’il devait être content ou non… Il brûlait d’impatience et de peur de découvrir «Qui elle est?! Où elle est? Pourrait-il la voir un jour?»
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