Elle aimait son petit appartement, car c’était son refuge où elle pouvait faire tout ce qu’elle souhaitait, sans devoir rendre de comptes à personne. Après son travail, qu’elle n’aimait pas trop, elle se rendait dans son oasis d’imaginations, de rêves, d’un monde qu’elle avait construit par elle-même.
Ce jour-là, pendant le trajet du retour, elle se souvint de l’histoire qui lui était passée par la tête la veille, pendant la promenade. Chaque soir, quand elle traversait cette place pour changer de bus, elle retrouvait soudainement les fils de ses pensées de la journée passée. Comme si cet endroit conservait toutes les données et les réactivait chaque fois qu’elle s’y retrouvait.
Cette fois-ci il se passa la même chose. Elle se souvint brus-quement de la conversation d’hier. «C’est étrange, pourquoi d’un coup je sors cette idée des îles? Cela fait si longtemps que je n’ai pas été là-bas… Et qui veut m’emmener là-bas, pourquoi? Peut-être que c’est moi qui veux revenir dans des endroits où je me sentais heureuse? Mais qu’est-ce qu’il se passe maintenant sur ces îles, je n’en ai aucune idée maintenant… Et Noureev, cela fait déjà presque vingt ans qu’il est mort. Qui vit maintenant sur cette île? Elle n’est pas, tout de même, restée déserte toutes ces années? Je n’en ai aucune idée… Tout cela est ci loin de moi maintenant. Et maman ne travaille plus avec ces gens-là. Est-ce qu’ils sont toujours vivants? En tout cas, si l’occasion s’était présentée d’un coup, je n’aurais pas hésité un seul instant pour aller voir ce qui se passe sur ces îles maintenant!»
«Tu sais pourquoi nous sommes invités sur ses îles?», demanda la voix charmante d’hier.
«Non, c’est peut-être mes souvenirs, qui me parlent…», répondit Christine.
«Tu as été sur ces îles?! Comment?! Quand? À quoi elles ressemblent?», s’enthousiasmait la voix.
Christine se prêta à nouveau à ce jeu de dialogue mental, elle répondait dans sa tête à la voix intérieure: «Cela fait bientôt vingt ans, que j’y suis allée avec ma mère et son ami de l’époque, un Italien. J’avais onze ans, je me souviens de cet endroit magnifique, plein de magie… Je reviendrais volontiers là-bas, mais je ne sais pas comment… vous en savez plus?»
«Je m’appelle Bill, et toi?»
«Moi, je suis Christine! Contente de faire votre connaissance! Vous connaissez ces îles, puisque vous m’en parlez?»
«Non, je n’en connais rien, mais j’ai reçu un e-mail très étrange, qui me parle de ces îles… C’est vous, qui me l’avez envoyé?»
«Non, non, je n’ai envoyé aucun e-mail à personne, je n’y pense pas depuis très longtemps! Je ne sais pas qui ça pourrait être… C’est curieux, que vous m’en parliez maintenant… j’ai tant de souvenirs de cet endroit! Drôle de coïncidence!»
«En plus, une voix intérieure m’a parlé de ces îles! Pardon, je vous raconte mes histoires, mais je sais qu’à vous, je peux me confier…» La voix devenait plus basse et plus épaisse.
«Continuez, continuez, cela m’intéresse beaucoup!» Christine avait retenu son souffle.
«Enfin une âme-sœur!», répondit la voix, réfléchissant.
À ce moment le téléphone sonna dans l’appartement de Bill. Il répondit peu volontiers. La voix dans le téléphone était énervée: «Combien de temps on va t’attendre? On va rester ici pendant des heures? Tu es devenu bizarre ces derniers temps, Bill! Cela ne peut pas durer longtemps comme ça! Prends des vacances, si tu es si fatigué! Va sur les îles! À toute!… Biip, biip, biip…» La voix avait raccroché de l’autre coté.
«Va sur les îles… Va sur les îles… Va sur les îles…», grommelait la voix, comme un écho dans les oreilles de Bill.
– Quoi, lui aussi?! C’est un complot!!! cria Bill, et sa propre voix ricochait d’un mur à l’autre.
Bill se rassit sur son divan, devant le vase des fleurs fanées et essaya de se concentrer à nouveau sur sa conversation intérieure, mais la voix ne revenait plus. Il attendait, attendait, il regardait les fleurs, les rayons sur les pétales tombés, mais la communication était interrompue. Bill ne s’étonnait plus de rien! Il était tellement heureux! Il avait retrouvé une âme-sœur, si gentille, si confiante, mais où?! À l’intérieur de lui-même!
«Qu’il essaye de le dire à quelqu’un! Drôle de risée qu’il risque de provoquer! Non, il ne le dira à personne, il le gardera comme son plus grand secret! Ses mystères, cachés sur les îles de Noureev… c’est si romantique…»
Christine était déçue d’avoir perdu brusquement ce dialogue à l’intérieur de sa tête. Elle voulait en savoir plus! Elle était tellement intriguée de cette subite confession d’un homme, dont elle savait déjà le nom: «Bill! C’est drôle! Comme une cloche! Bill! Bill! Bill!», son nom retentissait dans sa tête.
«Biiiil! elle l’appelait désespérément. Biiiil!!!»
Mais il ne répondait plus. Elle ressentit d’agréables frissons dans tout son corps, comme si un homme bien aimé la caressait tendrement. Encore et encore… Elle resta immobile quelque temps, en s’adonnant à ses sensations, enveloppée tout entière dans les rayons du soleil couchant derrière les arbres. Les aromates des fleurs se répandaient sur toute la rue, quelques gros nuages traversaient le ciel avec vitesse, laissant tomber les gouttes très fines et transparentes, dans lesquelles les rayons du soleil se répartissaient en mille petits traits scintillants. Christine était heureuse.
Paul se retrouva devant la porte du directeur. Il ne voulait pas aller là-bas, de l’autre coté de cette porte! Il était prêt à tout pour essayer d’échapper à ce stupide, de son point de vue, échange d’opinions. De toute façon, rien ne l’obligerait à aimer et respecter cette horrible prof, rien ne l’obligerait à aimer les maths non plus. Décidément, tout cela était complètement inutile!
Et le pauvre directeur, rien que d’y penser, il lui faisait de la peine! Le directeur était un homme paisible, un peu dodu, avec une légère calvitie de la cinquantaine. Il portait des vêtements estivaux, déjà dès le début du printemps, et il semblait qu’il suffisait de lui rajouter un chapeau en paille pour qu’il devienne un berger parfait! Il détestait les conflits et grondait les enfants, seulement, quand il ne pouvait pas y échapper. Les profs connaissaient ses faiblesses, et, avec un goût sadique exemplaire, ils lui fournissaient les élèves «à éduquer». C’était leur petit jeu interne.
Paul n’aimait pas participer à cette «mise à mort» du pauvre directeur qui voulait cacher sa faiblesse devant les élèves. Puisque, quand il devait lever sa voix, il devenait tout rouge, tant d’efforts il employait pour cela, ses cheveux montaient, tous électrisés, son corps tremblait et, dans l’ensemble, il donnait une impression assez pitoyable.
Paul attendit assez longtemps avant de frapper. «Pitié, pitié, qu’il ne soit pas là!», balbutiait Paul devant la porte. Une dame de service, en robe à rayures roses, passait dans le couloir. Elle le regarda longuement. Paul se sentait obligé de frapper. Rien. Pas de réponse. Il réessaya. Rien à nouveau.
«Hum… intéressant… Il doit être sorti… je suis sauvé-é-é-é!», s’écria Paul dans sa tête. Derrière lui quelqu’un toussa. Paul se fana d’un coup, tout déçu. Il retourna la tête et vit devant lui son directeur… mais… il était tout transparent!
– Waouh!!! s’écria Paul à haute voix.
Et puis il ne savait plus quoi dire… Il regardait