Pour l’instant, il ne voyait rien de particulier, sauf que certains de ces signes brillaient dans les rayons de soleil plus que les autres. Ils se détachaient de la feuille de papier et volaient dans l’air à quelques millimètres de la surface. Cela pourtant n’inquiétait pas Paul, qui avait l’habitude d’accepter l’inexplicable comme une normalité, en attribuant le «non-savoir» à son jeune âge.
Il n’avait que douze ans, et pensait que certainement les adultes devaient avoir une explication, mais qu’étant si occupés tout le temps, ils ne pouvaient pas lui fournir la réponse…
«Ce n’est pas grave, se disait-il, quand je grandirai, toutes les choses me seront accessibles et compréhensibles, et pour le moment je ne peux que les observer, c’est déjà très passionnant!» et il continuait de regarder les signes mathématiques survoler sa feuille de papier.
– Ce gamin, décidément, a fait des progrès! Je lui ai appris l’art de la lévitation antigravitationnelle, pour qu’il la pratique! Il est vraiment très doué, je voudrais l’observer davantage. Je vais lui rajouter des tâches à faire. Je vais lui apprendre à sauter les étapes de l’apprentissage!
Le coéquipier s’était étendu sur le dossier de son fauteuil avec un grand sourire.
– Il n’a que douze ans.
– Et alors! À cet âge le cerveau est très mobile! Il accepte beaucoup plus de choses sans réticence, sans méfiance. C’est justement lui, qui pourrait apprendre plus vite que les autres!
– Et l’évolution du cerveau dans le temps? Quoi, cela ne vaut rien? Les gens qui lisent des livres, qui font des travaux spirituels, eux, selon toi, ils ne sont pas plus évolués, que le gamin de douze ans?
– Mais si, mais si, mais ils doivent traverser des grandes épreuves, des désillusions, des chocs de la vie, pour qu’ils ouvrent leurs voix intérieures à la compréhension supérieure. Les gamins le font sans souffrance, sans avoir à passer par tous ces états d’âme, ils sont plus rapides.
– D’accord, mais leur bagage intellectuel ne peut pas être suffisant pour évoluer dans les matières complexes.
– Pas sûr, ils acceptent l’inexplicable, ils sont moins figés dans leurs consciences, ils ont les pensées plus pures, et les âmes plus intactes.
– Alors, tu comptes plus sur les gamins?
– Pas forcément, mais sur les gamins aussi. Ils arriveront tous en même temps, tu verras! Cela sera très passionnant, un peu comique peut-être…
– Tu prédis l’avenir?
– Non, je le vois!
– Paul, tu as tout le temps la tête en l’air! Peux-tu te concentrer une minute sur ce qu’on fait en classe?! Tes notes baissent de plus en plus! Il faut que je voie ta mère!
– Pour ça, bon courage, Madame! Même moi, je ne la vois pas plus de cinq minutes pendant le brossage des dents!
– Paul! Un peu de tenue!
La classe éclata de rire.
Paul était au septième ciel, car celui qui réussissait à énerver la prof passait pour un héros pendant toute la journée et tous les copains lui serraient la main! Mais la prof, elle-même, avait un autre point de vue sur cette affaire. Elle était devenue toute rouge, tellement rouge, qu’elle faisait peur, pouvant exploser à tout moment.
Elle commença à crier de plus en plus fort, ce qui rajoutait de la joie dans les derniers rangs. Elle tremblait en crachant des mots tout courts, étouffée par sa colère.
– Vous êtes pénibles! Vous êtes pénibles!
C’est tout ce qui lui était passé par la tête. Les enfants s’agitaient de plus en plus. Voir leur prof perdre les pédales au point de ne plus pouvoir parler, c’était une véritable jouissance. Ils se sentaient de plus en plus puissants face à son désarroi. L’agitation était à son comble. Paul était aux anges, sans se soucier de ce qu’il allait lui arriver après. À ce moment précis, il était le Héros.
– Tu vas avoir une heure de colle!!! Non!!! Trois heures de colle!!! Tu vas dormir sur les planches!!!
Peu à peu elle s’épuisait, en baissant le volume de sa voix, et ses dernières paroles elle les prononça tout doucement:
– Va chez le directeur! Immédiatement!
Paul se sentait soulagé, car il ne pouvait plus observer cette scène insensée par le niveau de sa violence et sa stupidité. Le sentiment de pitié, que provoquait sa prof, lui montait à la gorge. Il sortit dans le couloir, où un air rafraîchissant, emmené par une légère brise de la fenêtre ouverte, lui caressa le visage. Dehors les arbres se couvraient de feuillage, on sentait fort l’odeur du tilleul en fleur, le printemps arrivait inévitablement.
Bill avait terminé sa journée, très étonné de tout ce que lui était arrivé: il était très calme, raisonnable, soucieux de bien faire vis-à-vis de ses collaborateurs… Cela ne lui était jamais arrivé auparavant. Contre toutes ses craintes et prévisions, il avait accepté très facilement le scénario qui lui posait tant de problèmes, et le film avait été lancé dans les délais prévus. Le scénariste ne cessait pas de remercier Bill, mais Bill n’avait rien à lui répondre, car il ne savait pas lui-même, pourquoi il avait réagi comme ça! Mais, néanmoins, la journée sans conflit lui avait beaucoup plu, et il s’était décidé de continuer de la même manière.
Bill se dit: «Si cette journée, je la reproduisais au détail près demain, elle sera aussi bien, demain aussi!» En arrivant chez lui, il se mit à se rappeler dans les moindres détails tout ce que lui était arrivé et commençait à le noter dans un cahier. C’était des choses complètement nouvelles pour Bill, il n’avait jamais rien noté ni écrit dans sa vie, tout avait été fait par ses assistants, par ses scénaristes et par ses producteurs auparavant, mais jamais par lui-même! Cette façon de passer une soirée, derrière la table à écrire, n’était pas du tout dans ses habitudes. Il était pourtant un excellent observateur et il avait pu noter tous ses états d’esprit pendant la journée de travail.
Le lendemain, Bill se réveilla dans l’intention de reproduire la nouvelle journée dans tous les détails qu’il avait réussi à noter la veille. Il se releva énergiquement, se rhabilla, prit son café et, juste avant de franchir la porte de son domicile, il s’arrêta dans la porte entrouverte. Quelque chose lui manquait, mais il ne se souvenait pas de quoi il s’agissait… Déjà dans sa voiture, il remarquait que le soleil était caché par un léger brouillard, mais les pensées quotidiennes de son nouveau film l’envahissaient et il avait oublié son programme de recommencer la journée de la veille.
Toute la journée fut une catastrophe en continuité: une des actrices se désista, l’équipe était énervée, le scénariste continuait à s’entêter sur la fin du film, bref, un véritable cauchemar se déversait sur la tête de Bill ce jour-ci. Il était désespéré! Il revint dans sa villa, sans vouloir répondre aux nombreux appels, avec un horrible mal de tête, et il s’enferma dans sa chambre en demandant de l’aide, qui sait à qui.
Doucement, il sentait l’harmonie s’installer dans son âme, les maux de tête l’ont laissé, et, d’un coup, il put entendre une légère voix intérieure, qui lui disait: «Va chercher ton bonheur et ton bien-être là-bas, sur les îles…» «Quelles îles?» Bill n’était pas prêt à quitter ses Studios juste au démarrage de son nouveau film! Mais la voix insistait: «… sur les îles, sur les îles, tu trouveras ce que tu cherches…» Bill, très étonné de cette apparition, avait laissé tomber la compréhension de sa contradiction intérieure, et s’endormit, pensant qu’il avait trop travaillé ces jours-ci et que cette