Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 1. Féval Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Féval Paul
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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viens de Paris, comme je vous l'ai dit, répliqua Robert; et même de beaucoup plus loin… Le but de mon voyage est de visiter un gentilhomme de vos environs que je ne connais pas du tout personnellement, et au sujet duquel je serais bien aise de prendre langue à l'avance.

      Cette phrase, malgré sa simplicité apparente, était de celles qui sonnent toujours mal aux oreilles bretonnes. En ce temps-là, comme avant et depuis, il y avait force dissidences politiques dans la province; or, partout où la guerre civile a passé, le questionneur curieux prend volontiers physionomie d'espion.

      Le petit œil gris du père Géraud se baissa, tandis qu'il murmurait son prudent:

      – Ah! ah!..

      – Les détails que je demande, reprit l'Américain, sont en définitive peu de chose, car je sais d'avance que la famille de Penhoël est riche et respectable…

      – Oh! oh!.. fit le bonhomme avec une certaine emphase; il s'agit des Penhoël?..

      – Un message que j'ai pour le vicomte, et qui m'a fait prendre par Redon au lieu d'aller tout droit à Nantes… Y a-t-il loin d'ici à Penhoël?

      – Un bon bout de chemin, répliqua le père Géraud.

      – Et… le vicomte est-il aussi galant homme qu'on le dit?

      Le maître du Mouton couronné fut un instant avant de répondre.

      – Pour ça, répliqua-t-il enfin, Penhoël a toujours été l'honneur du pays depuis que le monde est monde! Monsieur est un bon chrétien, madame est une sainte… Mais il y en a qui disent que le nom de Penhoël serait mieux porté encore si l'aîné n'avait pas quitté le pays pour aller le bon Dieu sait où…

      – Ah! dit l'Américain, comme s'il eût été initié déjà en partie aux secrets de cette famille dont un chiffon de papier lui avait révélé l'existence par hasard, on parle encore de l'aîné?

      – On en parlera toujours, répliqua l'aubergiste avec lenteur et d'un accent de tristesse.

      – Et cependant, reprit Robert, il y a longtemps déjà qu'il est parti!..

      – Voilà bientôt quinze ans… Mais qu'importent les années quand on a laissé un bon souvenir au fond de tous les cœurs?

      Robert croisa ses mains sur ses genoux et hocha la tête d'un air attendri.

      – Pauvre cher Penhoël!.. murmura-t-il.

      Le bonhomme Géraud, qui s'était incliné tout pensif, se redressa vivement et jeta sur Robert un regard étonné.

      Sa surprise n'était pas plus grande que celle de Blaise, qui suivait cette scène avec la curiosité d'un amateur de spectacle, savourant les péripéties imprévues d'une première représentation.

      Il connaissait le but de Robert, et, depuis l'arrivée de l'aubergiste, il devinait peu à peu la route que son compagnon voulait prendre; mais comme il eût été incapable lui-même de suivre sans broncher cette voie difficile et périlleuse, chaque pas fait en avant lui était un sujet d'admiration.

      Robert grandissait à ses yeux et prenait pour lui, depuis quelques minutes, des proportions héroïques.

      Il attendait, dissimulant de son mieux sa surprise et gardant l'air indifférent qui convenait à son rôle.

      – Ce sont de bonnes paroles que vous venez de prononcer, M. Géraud, poursuivait cependant Robert; je ne peux pas vous dire combien elles m'ont réjoui l'âme!.. Ah! si le pauvre Penhoël était seulement là pour les entendre!..

      L'honnête figure de l'aubergiste devenait toute pâle d'émotion.

      – De quel Penhoël parlez-vous donc, monsieur?.. murmura-t-il d'une voix tremblante.

      – De celui qui est bien loin de la Bretagne, à cette heure.

      – De l'aîné? reprit le père Géraud, dont la voix trembla davantage; de M. Louis?.. il n'est donc pas mort?..

      L'Américain eut un gros rire joyeux et franc.

      – Pas que je sache, répliqua-t-il.

      – Et vous le connaissez?

      – Mon digne M. Géraud, repartit Robert en clignant de l'œil, pourquoi toutes ces questions?.. Depuis deux minutes, vous avez deviné que je vais au château de la part du pauvre Louis de Penhoël.

      Blaise se mit à tisonner le feu pour dissimuler son enthousiasme.

      Une larme roula sur la joue du père Géraud.

      III

      L'ABSENT

      Robert dit l'Américain, M. de Blois, était un de ces fils du hasard qui naissent on ne sait où et ne tiennent à rien sur la terre. Était-il Français d'origine ou étranger? Personne n'aurait pu le dire. Son accent était celui des Parisiens de Paris; mais Paris, tout grand qu'il est, ne peut accepter la paternité des aventuriers innombrables qui s'y arrangent une patrie. Ils viennent là, de près, de loin, de partout, attirés par un irrésistible instinct. Puis, de ce centre héroïque où le talent et l'audace sont dans l'atmosphère, où les expédients se respirent, où chacun peut devenir valet de comédie rien qu'à laisser ses pores absorber le vent d'intrigue, on s'élance, armé de toutes pièces, à la conquête de l'innocente province.

      Car pour briller à Paris même, il faut être de première force.

      Robert de Blois avait son mérite, mais il n'était point pourtant un de ces étincelants sujets qui éblouissent de temps en temps la capitale, et qui portent au bagne de grosses épaulettes avec des titres de duc. Il y a des degrés dans la profession. Robert ne pouvait guère prétendre qu'à la bonne bourgeoisie dans la hiérarchie aigrefine.

      Ce n'est pas qu'il fût dépourvu de qualités très-éminentes; seulement il n'était pas complet.

      Pour faire en quelque mot son bilan moral, il avait, à son actif, une sécheresse de cœur extrêmement désirable, un grand tact et beaucoup de cette adresse crochue qui sait harponner un secret au fond de l'âme la mieux close. Il avait, en outre, du sang-froid, de l'esprit et de l'élégance. A son passif, il faut placer en première ligne une irrésolution native qui ne se guérissait qu'en face des situations extrêmes. Robert était excellent pour entamer une guerre désespérée; au moment où il fallait choisir entre la mort ou la victoire, la faim lui donnait du génie.

      Mais dès qu'il avait quelque chose à perdre, son audace se changeait en mollesse. Il s'arrêtait à moitié chemin par une trop grande frayeur de se voir enlever le bénéfice déjà conquis.

      Retombait-il tout en bas de sa misère, il redevenait homme. Son esprit subtil s'aiguisait, ses idées bouillonnaient de nouveau dans sa tête, et gare aux écus mal gardés!

      En somme, c'était un aventurier d'ordre évidemment secondaire, mais dangereux outre mesure, et capable d'atteindre, à ses heures, l'habileté suprême du genre.

      Il avait déjà dix ans de service, ayant pris de l'emploi dans quelque pendable troupe dès le commencement de sa quinzième année.

      Depuis lors, Dieu sait qu'il avait travaillé tantôt soldat, tantôt capitaine, tantôt pauvre, tantôt riche, exploitant parfois l'intrigue de haute comédie, parfois descendant aux tours de l'escroquerie vulgaire, et risquant sa liberté pour quelques francs.

      Il se formait, cependant, et prenait des idées rassises. Son but était de voler assez pour jouer à l'honnête homme dans un bon château lui appartenant, avec une femme aimable et bien apparentée.

      Car Robert détestait le petit monde.

      Blaise et lui s'étaient accolés ensemble à Paris, par suite de relations communes avec un recéleur du nom de Bibandier qui, peu de temps auparavant, était allé au bagne de Brest expier son obligeance. Blaise était un coquin à la douzaine, moins endurci que Robert peut-être, moins peureux de nature, mais n'ayant pas non plus ce courage factice et à l'épreuve que l'Américain s'était donné par la force seule de sa volonté.

      Ils