Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 1. Féval Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Féval Paul
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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versa le tabac sur la nappe et déroula le cornet, afin de lire mieux.

      On eût dit que les lignes tracées sur ce chiffon de papier avaient un mystérieux pouvoir, tant l'émotion de l'Américain était visible.

      – Quinze cent mille francs! répétait-il en caressant le cornet du regard; ça vaut la peine, au moins!..

      L'Endormeur se pencha en avant pour voir ce mystérieux papier qui semblait jeter son camarade en de si profondes rêveries.

      C'était tout simplement un rôle de contributions pour l'année 1816, signé par M. le percepteur du canton de la Gacilly.

      Blaise se renversa sur le dossier de son siége. A tout hasard, il avait espéré mieux.

      L'Américain, cependant, lisait lentement et à demi-voix:

      «René-Charles-Julien le Tixier, vicomte de Penhoël, propriétaire, pour sa maison de Penhoël et retenue, trois cent cinquante francs; pour sa métairie de la Lande-Triste, soixante et quatorze francs; pour sa chanvrière du Port-Corbeau et dépendances, cent cinquante francs; pour sa métairie du Pré-Neuf, ensemble les taillis de Fontaine, cent francs.»

      – Ça t'amuse?.. interrompit l'Endormeur.

      «Pour la maison dite de l'Aîné, poursuivit Robert, qui s'absorbait de plus en plus dans sa lecture, et les moulins des Houssayes, sous le haut pays, cent vingt-cinq francs. Pour le petit Penhoël avec la futaie de Quintaine…»

      Blaise bâilla; puis il se prit à siffler un air de chanson à boire.

      Robert interrompit sa lecture et se mit à contempler le papier avec de grands yeux fixes.

      – Dire que j'avais l'idée! murmura-t-il en appuyant un doigt sur son front, et que cela me tombe justement sous la main!

      – Le fait est que c'est un coup du ciel! répliqua Blaise; nous avons sept francs et je ne sais plus combien de centimes; si nous achetions le château de Penhoël, les moulins des Broussailles, la ferme de n'importe quoi et la futaie de pretantaine?..

      Robert le regarda fixement et secoua la tête d'un air sérieux.

      – Je ne ris pas, dit-il.

      – Parbleu! je crois bien!..

      – J'ai une idée.

      Blaise fit la grimace.

      – Écoute, reprit l'Américain en rapprochant son siége et d'un ton si positif que le gros blond perdit son sourire moqueur, nous n'avons pas de quoi poursuivre notre voyage… nous n'avons pas de quoi rebrousser chemin… Il faut nous établir ici.

      – Je ne demanderais pas mieux, commença Blaise.

      – Ne m'interromps pas… Paris est bon pour les folies, et les voyages conviennent aux jeunes gens. Mais te voilà qui arrives à la maturité, ami Blaise… et moi, je suis plus vieux que mon âge.

      – D'où il faut conclure, murmura l'Endormeur, qu'il y aurait pour nous avantage à devenir des provinciaux paisibles et payant de notables contributions… Je suis de ton avis.

      – Moi, je te dis de me laisser poursuivre… Nous sommes venus en Bretagne sur sa réputation de bonne foi antique et de patriarcale loyauté… De loin, j'avoue que je la regardais comme une terre promise… j'ai perdu là-dessus quelques illusions… Mais, en somme, si nous n'avons rien gagné, c'est que nous n'avons rien risqué… J'attendais une occasion… je cherchais… nous étions trop riches… Aujourd'hui nous sommes dans cette excellente situation qui gagna toutes les grandes batailles: il nous faut vaincre ou mourir!

      Il éleva l'extrait du rôle des contributions au-dessus de sa tête.

      – Voilà le prix de la victoire! s'écria-t-il avec un véritable enthousiasme; le total est de cinq mille francs, ce qui, d'après ton propre calcul, donne quarante mille livres de rente, soit cinq cent mille écus de capital!.. Eh bien, au pis aller, quand il ne nous en reviendrait que la moitié!..

      Le petit vin du Nantais n'abonde pas en principes alcooliques, mais nos deux voyageurs en avaient bu une quantité considérable. Blaise était rouge comme une cerise, et le sang se montrait sous la peau basanée de Robert lui-même.

      Blaise se prit à rire à la conclusion du discours de son frère en aventures; mais, sous ce rire, qui n'était plus de la franche moquerie, perçait déjà un vague et secret espoir.

      Nous l'avons dit, Robert, quoique bien jeune, avait fait ses preuves.

      – Je me contenterais du pis aller, dit Blaise.

      – Le hasard est le plus fort de tous les dieux! reprit Robert et je vois un augure dans ce chiffon qui me tombe du ciel… Veux-tu partager l'aubaine?

      L'Endormeur hésita un instant, car il restait en lui une bonne dose d'incrédulité.

      – Décide-toi, poursuivit Robert; à la rigueur, je puis me passer de ta compagnie… et, franchement, s'il n'était pas pénible… et dangereux… d'abandonner un bon camarade tel que toi, j'aimerais à tenter seul l'aventure…

      Blaise, à son tour, rapprocha son siége.

      – Voyons ton idée? dit-il en mettant définitivement de côté son sourire.

      – Acceptes-tu?

      – Quand tu m'auras expliqué…

      – C'est à prendre ou à laisser… Acceptes-tu?

      – J'accepte.

      – Touche là! dit l'Américain dont le regard inquiet prit tout à coup une fixité résolue; et gare à celui qui renoncera!

      Il se leva et alla ouvrir la porte de la chambre pour voir si par hasard quelque oreille curieuse n'était point aux écoutes. Il n'y avait personne dans le corridor.

      En revenant vers le foyer, il s'arrêta devant le lit où reposait sa compagne de voyage, et en écarta les rideaux doucement.

      Le jour qui pénétra par cette ouverture éclaira une charmante figure de jeune femme.

      C'était un visage d'une régularité parfaite, mais dont les traits, fatigués déjà et pâlis, avaient comme un voile de froideur morne. Peut-être était-ce l'effet de la souffrance ou du sommeil. Lola dormait profondément. Son front et sa joue se cachaient à moitié sous les boucles prodigues d'une chevelure noire en désordre.

      Lola s'était jetée tout habillée sur le lit. Elle y gardait la pose que son extrême fatigue lui avait conseillée au moment de l'arrivée. Sa tête s'appuyait sur son bras; tout son corps s'affaissait en un abandon avide de repos. L'étoffe usée de sa robe dessinait ses formes exquises et jeunes, comme ces indiscrètes draperies que le statuaire colle sur le nu.

      Robert avait raison: elle était bien belle!

      Il la contempla un instant dans son sommeil de plomb; puis il laissa retomber les rideaux de serge.

      Un sourire satisfait errait autour de sa lèvre bombée.

      L'Endormeur attendait; ses yeux disaient une curiosité impatiente.

      Robert reprit sa place auprès du feu, et emplit les deux verres jusqu'aux bords.

      II

      UNE REDINGOTE A DEUX

      Robert s'était recueilli un instant.

      – Suis-moi bien, dit-il d'un ton très-froid et en sablant son vin de Nantes à petites gorgées. Il y a ici un jeune homme fort riche et de bonne maison qui voyage avec son domestique.

      – Où ça? demanda Blaise dont le regard fit ingénument le tour de la chambre.

      – Ne te donne pas la peine de chercher, répliqua l'Américain. Le jeune homme riche et son domestique, c'est toi et c'est moi.

      – Ah!.. fit l'Endormeur dont la bouche large resta entr'ouverte.

      – Nous n'avons qu'un habit, poursuivit Robert en forme d'explication; et il faut pouvoir se présenter si l'on veut faire quelque chose…

      – C'est