Le chemin qui descend. Ardel Henri. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Ardel Henri
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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nous ne parlons plus!

      – Convenu! fit-il inclinant la tête.

      Et la course fantastique recommença. Le soleil s'était voilé sous les nuées plus épaisses que, sans relâche, les rafales apportaient du large. La mer était toute grise, maintenant, soulevée en crêtes écumantes.

      Claude, ressaisie par la griserie de la vitesse, contemplait, les yeux songeurs, la fuite éperdue des landes assombries, la mer menaçante, les pauvres villages écrasés sous leurs toitures basses, où les vieux n'étaient plus assis devant le seuil de granit. De nouveau, ils traversèrent Gruchy, entrevirent le Millet de pierre dressé devant le paysage qu'il a aimé… Puis ce fut Landemer… Et du sommet de la côte, apparut le merveilleux horizon de mer, de falaises, la ligne de la côte qui fuyait jusqu'aux plus lointaines profondeurs du ciel tourmenté.

      Alors seulement Raymond de Ryeux parla:

      – Nous nous arrêtons à l'église?

      – Non, il faut que j'aille à Capelle chercher mon violon.

      – Allons… Je vous attendrai…

      Mais elle secoua négativement la tête.

      – Pour que mes doigts ne tremblent pas, il faut que je me repose un instant. Ne m'attendez pas. Capelle est si près de l'église que j'irai très bien à pied. Dans trois quarts d'heure, je serai à l'orgue.

      – Bien sûr?.. insista-t-il, avec une sourde irritation de devoir la laisser partir.

      – Mais certainement, bien sûr, je vous ai promis… Puisque nous nous quittons, je vous fais mes adieux et vous remercie encore beaucoup… ah! oui, beaucoup… Cette journée aura été une des meilleures de mes vacances… Et mes regrets aussi d'avoir été peut-être, pour votre goût, trop franche dans mes jugements…

      – Habitude salutaire, espérons-le pour ceux qui parlent et pour ceux qui écoutent, riposta-t-il flegmatique, un peu railleur à son tour… Peut-être, un jour, ferai-je mon profit de vos conseils. Car tout arrive!

      – Oh! jamais je n'ai eu, dans la cervelle, l'idée de vous donner l'ombre même d'un conseil. A quel titre, grand Dieu!.. Au revoir… Et merci encore!

      – Au revoir, vous avez dit… Je retiens la promesse… Car, moi aussi, j'ai passé un inoubliable après-midi…

      Elle lui avait tendu la main d'un geste de camarade, comme sur la falaise. Cette fois, sans demander de permission, il porta à ses lèvres les doigts dégantés et sa bouche experte appuya un baiser sur la peau tiède.

      Puis, vif, sans attendre qu'elle eût protesté, il remonta dans l'auto et dit:

      – A tout à l'heure. Je vais vous attendre!

      V

      Trois quarts d'heure après, il entrait dans la petite église, toute obscure, où, seule, brûlait la lampe du sanctuaire.

      Claude Suzore était-elle là? L'idée lui traversa le cerveau que, fantasque comme elle semblait l'être, peut-être elle allait avoir changé d'avis et ne viendrait pas…

      A demi-voix, il appela:

      – Mademoiselle Suzore, vous êtes là?

      Nulle parole ne répondit. L'église était déserte. Il en fit le tour, heurtant des chaises dans l'ombre, irrité d'avoir été joué, très déçu aussi…

      Mais, soudain, la porte basse, enfoncée dans l'épaisseur du mur, s'ouvrit de nouveau. Il entrevit une forme mince. Allons, elle venait, fidèle à sa parole. A tort, il avait douté d'elle.

      A son tour, elle demandait:

      – C'est vous qui êtes là? monsieur de Ryeux.

      – Oui; je commençais à avoir peur que vous ne m'ayez oublié.

      – Eh bien, vous voilà rassuré. Installez-vous; je grimpe à l'orgue.

      Comme il s'était rapproché, il distinguait un peu le blanc visage où les yeux dessinaient deux abîmes d'ombre.

      – Je ne puis pas monter avec vous?

      – Oh! non… Vous entendriez très mal. Mettez-vous, au contraire, loin, vers l'autel.

      Il obéit, sentant qu'il ne pouvait faire autrement. Il entendit le pas vif s'éloigner sur les dalles, tourner sur l'escalier étroit. La lueur d'une faible lampe s'alluma dans la tribune, derrière l'harmonium. Il y eut un silence, puis quelques notes d'accord; et la voix du violon s'éleva dans la solitude et l'ombre, ample, vibrante, chaude ainsi qu'une voix humaine, en un son si large et si plein, qu'il écartait toute idée d'un accompagnement possible.

      Alors, Raymond de Ryeux comprit qu'on lui avait dit vrai; cette enfant était une artiste rare qui possédait le don que nulle étude ne pourrait donner.

      Certes, elle avait dû travailler beaucoup pour posséder, si jeune, la science qui donnait à son jeu, cette stupéfiante souplesse. Mais c'était d'elle-même que venait la puissance d'expression qui résultait de ce qu'elle sentait la musique, avec une force, et une profondeur émanées de quelque mystérieux foyer qui brûlait en elle.

      D'abord, il avait écouté curieusement, séduit par l'originalité de cette séance offerte à lui seul. Puis, parce que – comme il le lui avait dit – il goûtait ardemment la musique, il oublia la violoniste, le cadre, absorbé tout entier, âme et cerveau, par le plaisir d'art.

      Le violon se tut. Et comme un altéré, il pria:

      – Oh! encore un peu… Encore!

      L'artiste obéit. Peut-être son orgueil ne voulait rien devoir à l'homme qui, sur la falaise, avait obéi quand elle demandait «encore»!

      Et le chant merveilleux monta de nouveau, s'épanouit avec une pureté grave et passionnée, tombant dans l'âme même de cet homme de plaisirs, où elle réveillait des fibres endormies, l'élevant un fugitif moment au-dessus de lui-même.

      Mais soudain, encore une fois, la petite porte basse s'ouvrait. Des fidèles entraient qui venaient dire la prière du soir. Les têtes se dressèrent surprises, vers la tribune, où dans l'ombre, les dernières notes vibraient, telles une aérienne et mystérieuse prière.

      Raymond de Ryeux, alors, tressaillit, échappé à l'envoûtement des sons; et, lui aussi, leva la tête vers la tribune. La lampe y était éteinte; et Claude Suzore, déjà, devait être descendue car il n'entendait aucun bruit dans l'étroit escalier, ni pas sur les dalles; sauf celui d'un prêtre, le curé sans doute, qui arrivait à son tour et passait, avec une génuflexion, devant l'autel.

      Rapidement, Raymond de Ryeux sortit, oubliant que Claude lui avait demandé de ne pas la chercher, après qu'elle aurait joué pour lui. Mais, dehors, c'était maintenant la nuit complète. Le petit cimetière blotti autour de l'église était désert; et aussi la route qui montait vers Capelle, où des rafales, venues du large, haletaient à travers les branches.

      VI

      Sortant de son cabinet, Élisabeth Ronal alla appeler, au seuil de la grande salle où les infirmières accomplissaient leur tâche:

      – Claude, tu es là?.. Veux-tu venir un instant?

      La jeune fille releva sa tête brune, courbée vers le membre malade qu'elle entourait d'une longue bande, et, d'un geste inconscient, repoussa en arrière son voile d'infirmière, blanc comme la longue blouse qui l'emprisonnait.

      – Tout de suite, je suis à vous, Élisabeth. J'achève le pansement et je viens.

      Une minute, la jeune femme resta immobile à l'entrée de la salle que parcouraient ses yeux attentifs, errant sur les divers groupes des malades et des infirmières. Et son regard était lumineux d'intelligence profonde et de bonté. Sous la clarté des baies très larges, sa silhouette était toute mince dans la correction du sombre tailleur; la ligne du profil se découpait fine et ferme; les cheveux bruns, rayés, en avant, par une grosse mèche blanche, rejetés autour du front, simplement roulés en arrière, sur la nuque.

      Elle