Le chemin qui descend. Ardel Henri. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Ardel Henri
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
isbn:
Скачать книгу
différaient comme leurs occupations mêmes.

      En effet, parmi les nouveaux venus, il y avait une frêle artiste anglaise, Lily Switson, qui faisait des eaux-fortes déjà très remarquées et qu'Élisabeth avait sauvée, alors que le travail l'avait épuisée. Peu à peu rétablie, de retour de Davos, elle avait repris son labeur opiniâtre de fille qui veut arriver, attendue en Angleterre par un fiancé artiste lui aussi.

      Et encore, il était venu une femme aux cheveux grisonnants, Mme Albran, qui avait des allures masculines et une âme d'apôtre pour diriger, avec une maîtrise égale à son inlassable charité, une œuvre de travail à domicile à l'intention des ouvrières.

      Attentive, elle écoutait, au moment où Claude entrait, les explications que donnait, sur la question des logements ouvriers, Étienne Hugaye, neveu de la vieille marquise de Ryeux, un garçon d'une trentaine d'années, qui, aristocrate par sa naissance et son éducation, ses attaches, vivait pour le peuple, prenait la cause de toutes les misères dans les conférences, les articles auxquels il livrait la majeure partie de son temps… Il avait l'abord froid, aisément agressif avec les gens de sa classe, la parole un peu âpre, la pensée intransigeante, le cœur chaudement généreux, une volonté inflexible et rude. Pour Élisabeth, il éprouvait une admiration enthousiaste, très fier de l'estime qu'elle lui accordait, parce qu'elle sentait la sincérité de sa pitié active pour les misérables.

      Il aimait à lui soumettre ses idées, ses essais, les projets qu'il s'appliquait à réaliser, insouciant des obstacles.

      Ce jour-là, il avait amené un journaliste avec lequel il faisait campagne pour les maisons ouvrières, singulier garçon, très fruste, fort intelligent, qui avait un type d'anarchiste et était un remarquable musicien.

      Un petit cercle s'était formé autour d'eux, dans lequel figuraient plusieurs des infirmières. Débarrassées de leur blouse, elles étaient redevenues d'élégantes femmes du monde, quelques-unes très jolies, jeunes pour la plupart.

      Mlle de Villebon, elle, avait entrepris le docteur spécialiste pour les yeux, qui venait de finir ses consultations; un jeune philanthrope, lui aussi, dispensateur pour les pauvres, de son temps et de sa fortune.

      Et un peu plus loin, Élisabeth causait avec d'autres infirmières et le docteur Delbeau, son maître de jadis, aujourd'hui son ami, venu, après ses consultations, lui demander une tasse de thé, «pour se reposer!» disait-il.

      Près de lui, grand, robuste, coloré sous ses cheveux blancs coupés court, elle paraissait singulièrement jeune encore en ce moment où l'animation de la causerie détendait ses traits fatigués.

      L'apparition de Claude l'interrompit et elle s'exclama d'un accent d'amicale gronderie:

      – Mais, Claude, ma petite, que deviens-tu donc? Le thé est là. Sers vite; il sera froid et trop fort.

      Claude ne s'excusa pas. Mais, tout de suite, elle alla, serrant au passage des mains amies, vers la table où le plateau était posé et prit la théière.

      Lily Switson s'était rapprochée.

      – Je vous aide? Claude. Comme les vacances vous ont bien réussi! Vous me donnez une terrible tentation de vous demander quelques séances de pose… Je suis sûre qu'avec vous, je ferais quelque chose d'intéressant!

      – Lily, où trouverais-je jamais le temps de poser!.. Tenez, voulez-vous porter une tasse de thé au professeur Delbeau? Prenez le sucre aussi…

      Elle-même se mettait à circuler parmi les groupes, silencieuse, distribuant les tasses, avec la conscience qu'elle eût apportée à remplir une sérieuse tâche. Pour Élisabeth, seule, elle eut un sourire:

      – Voici, grande amie; croquez vite une tartine… Vous en avez besoin, après vous être tant dépensée, tantôt!

      – Nous avons vu de bien grosses misères, n'est-ce pas? mademoiselle de Villebon. Je ne suis pas tranquille pour la petite Dupage. J'y passerai ce soir.

      Claude, qui avait entendu, protesta:

      – Ça, non! Élisabeth… Après un après-midi comme celui d'aujourd'hui, vous devez vous reposer; toute la matinée, déjà, vous avez circulé. Soignez-vous donc un peu, vous-même, de temps en temps!

      Élisabeth se mit à rire.

      – Vous entendez, docteur, cette petite qui se mêle de donner des consultations. Claude, porte plutôt du lait à Hugaye qui m'a l'air de fourrager inutilement sur le plateau.

      Elle obéit et versa le lait dans la tasse que lui tendait le jeune homme. Tous deux étaient sous la haute clarté d'une lampe, près de la table. Claude, debout, s'était mise à grignoter une tartine de pain bis.

      Étienne interrogea:

      – Qu'est-ce que vous avez fait cet été? Claude.

      Ils étaient de vieux amis et se traitaient comme tels.

      – A Landemer? J'ai joué du violon, j'ai lu, j'ai vagabondé sur les falaises et dans d'exquis petits sentiers… J'ai même été une fois en auto!

      – Une fois?..

      Elle rit.

      – Oui, une fois, une seule fois!.. Et c'est à votre tante, Mme de Ryeux, que je le dois. Elle a demandé à son fils de m'emmener à la Pointe de Jobourg. J'ai fait une exquise promenade!

      – Avec son fils?.. Avec Raymond de Ryeux?..

      – Mais oui!.. Est-ce qu'elle a un autre fils?

      – Non, bien entendu. Mais quelle diable d'idée a-t-elle eue là de vous envoyer ainsi avec Raymond?.. Il n'était pas du tout un… chaperon pour vous!

      Une lueur d'amusement brilla dans les prunelles de Claude:

      – Vous parlez comme Mlle de Villebon! Pourquoi donc traitez-vous avec tant d'irrévérence, l'aimable idée de votre tante? Son fils m'a paru un monsieur très correct. Nous ne nous sommes pas dit un mot durant le trajet. Nous avons bavardé seulement à Jobourg, en descendant la falaise, et au goûter!.. Pour être un homme du monde, il n'était pas stupide!..

      – Merci pour lui!.. Vous lui avez donc fait de la musique?.. Je me souviens de l'avoir entendu parler de votre talent!

      – Vraiment?.. C'est gentil à lui! Il aura été reconnaissant. Afin de le remercier de m'avoir si bien promenée, j'ai joué pour lui, tout seul, dans l'église d'Urville.

      – C'est vrai, tout cela?.. Vous ne vous moquez pas de ma candeur?..

      – Très vrai!

      Il la regardait avec une sorte de stupéfaction mécontente.

      – Eh bien, je ne vous en fais pas mes compliments.

      – Je ne vous les demande pas! lança-t-elle, taquine.

      Comme s'il n'avait pas entendu, il continuait rudement:

      – Je me demande à quoi a pensé Mlle de Villebon, d'autoriser cette absurde équipée.

      – Mais Mlle de Villebon n'avait rien à autoriser ou à interdire, riposta-t-elle avec insouciance, un peu hautaine. Je suis libre, j'imagine, de mes actes.

      – Très exact, vous avez raison. Recevez mes excuses de m'être mêlé de ce qui ne me regarde pas.

      – Bon!.. Alors, puisque vous reconnaissez vos torts, faisons la paix!.. Vous me demandiez ce que j'ai fait à Landemer?.. J'ai aussi regardé Mlle de Villebon soigner son troupeau.

      Une impatience passa en éclair dans les yeux gris du jeune homme.

      – Et vous l'avez aidée?

      – Bien peu… pour ne pas dire «point», si j'ose un tel aveu. Je ne me sentais pas un brin altruiste, à Landemer.

      Une expression désapprobatrice assombrit le visage d'Étienne Hugaye.

      – Je suis sûr que vous vous calomniez.

      Elle eut un petit rire bref:

      – C'est que vous êtes une belle âme; vous jugez