Le chemin qui descend. Ardel Henri. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Ardel Henri
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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Tous, vieux ou jeunes, attendaient, avec une expression de patience résignée.

      Les yeux se tournèrent vers Claude, qui entrait et eut un petit signe de bienvenue à des habitués qui la saluaient. Elle fourragea dans le meuble aux fiches, le geste précis, découvrit aussitôt ce qu'elle cherchait et porta le papier à Élisabeth, occupée maintenant à recueillir les confidences d'une jeune femme qui avait un visage désolé.

      Claude, discrètement, posa le papier sur le bureau et disparut, regagnant la salle de pansements, où les huit infirmières, de service ce jour-là, accomplissaient leur tâche. Par les hautes fenêtres, là aussi, s'épandait largement la mélancolique clarté d'octobre, sur les murs luisants, couleur de neige, aux angles arrondis, sur la faïence blanche des lavabos, sur le métal étincelant des outils étalés sur la table, derrière laquelle se tenait l'infirmière auxiliaire.

      Et puis, assis sur les chaises blanches, elles aussi, la ligne des misérables qui venaient chercher, sinon la guérison, du moins le soulagement, et autour desquels s'empressaient les infirmières. Sur les plaies, elles mettaient les compresses, enroulaient les bandages, et leurs gestes avaient une douceur adroite, suivis par le regard anxieux des patients, hommes et femmes de tout âge.

      Claude était revenue vers l'enfant qui attendait toujours sans bouger, ni parler, ni penser, et elle lui sourit:

      – Eh bien, nous allons maintenant te soigner, petite fille.

      Et elle s'agenouilla pour laver les plaies qui ensanglantaient les pauvres membres.

      Jusqu'au bout de la longue salle immaculée, c'était ainsi des souffrances qui imploraient l'apaisement, que, depuis le début de l'après-midi, leur dispensaient les mains compatissantes.

      Et après ces malheureux, d'autres encore, ce jour-là, allaient venir, pour lesquels l'inlassable charité poursuivrait son œuvre…

      VII

      Le dernier malade était sorti, les instruments soigneusement stérilisés, et Élisabeth avait dit à ses aides:

      – Maintenant, allons goûter!

      Dans son accent, il y avait l'intime joie d'une créature consciente d'avoir bien rempli sa tâche.

      Claude refoula, bravement, le «Enfin!» qui lui montait aux lèvres, cri de délivrance instinctif; et, tandis que ses compagnes passaient au lavabo et y enlevaient leurs blouses, elle grimpa dans sa chambre, sa cellule, comme elle disait. Elle aussi rejeta son uniforme de service. Mais sa main l'écartait d'un geste presque violent; et des mots – combien sincères! – s'échappaient de ses lèvres tremblantes un peu…

      – Quel supplice, de tels après-midi!

      A pleins poumons, devant sa fenêtre large ouverte, elle aspirait l'air humide, presque glacé, du crépuscule d'automne, tout en vaporisant sur elle le jet d'un flacon qui embaumait le muguet.

      Mais sa main était machinale, tant sa pensée était envahie par l'instinctive révolte de son être jeune, sévèrement contraint tout l'après-midi à l'austère labeur.

      – Comment vais-je retrouver le courage d'être encore une véritable aide pour Élisabeth! C'est odieux, cette odeur de misère, de maladie, de saleté, de blessure! Oh! il me semble que j'en suis imprégnée à ne pouvoir m'en délivrer!

      Pourtant, elle venait de baigner son visage d'eau fraîche, brosser les boucles rebelles autour du front, savonner les mains qui, adroites, avaient pansé les plaies, très doucement. Elle songea, un peu calmée par la violence même de sa révolte:

      – Peut-être l'accoutumance va me venir en aide! Mais pourquoi, tout à coup, ai-je si fort l'horreur de tant de laideur dans les visages, dans les maisons de pauvres qui forment notre quartier, qui entourent la mienne! Ah! la misérable chose que je suis!.. pour un instant seul, j'espère!

      Pourtant, depuis des années, même avant qu'elle partît pour Landemer, deux mois plus tôt, elle accomplissait cette tâche comme un devoir tout simple, qui l'intéressait fort… Elle estimait, très sincère, que toute créature se doit à un devoir et, dans la mesure de ses moyens, à ceux de ses semblables qui ont besoin de son assistance.

      Et puis, là-bas, libérée de ses devoirs quotidiens, maîtresse absolue d'elle-même et de son temps, elle semblait brusquement s'être transformée. On eût dit qu'en elle, avait jailli une poussée d'égoïstes désirs, d'aspirations violentes vers la fortune, le succès qui enivre, une vie harmonieuse artistement; une soif d'indépendance l'étreignait, avec le besoin de dominer gens et choses. Ainsi de méchants prisonniers longtemps captifs, se redressent impérieux, sentant moins la main du maître, et réclament la liberté, prétendant vivre leur vie.

      Comme à Landemer, le jour où elle avait reçu la dernière lettre d'Élisabeth, elle regardait machinalement son image éclairée de reflets bizarres par la petite lampe dont la brise faisait trembler la flamme. Visage de jeune sphinx, sévère, presque dur, où, dans les prunelles élargies, luisait la lueur montée des plus intimes profondeurs de l'être moral.

      Elle pensait:

      – Sans doute, l'influence d'Élisabeth va me ramener à ce que j'étais! Mais, à cette heure, je ne me sens plus qu'une vilaine âme d'arriviste qui veut jouir de tout ce qui est séduisant dans la vie, mordre dans ses plus beaux fruits, en épuiser la saveur… Je ne peux pas… Je ne dois pas!

      «Je ne dois pas!» C'était la disciple d'Élisabeth Ronal qui avait pensé cela. Mais la nouvelle Claude, la révoltée, se dressait aussitôt. Elle ne devait pas? Pourquoi?.. Quelle loi le lui interdisait?

      «Accepter la vie telle qu'elle se présente dans son implacable force et la dominer par la volonté», depuis son enfance, Claude s'entendait dire que c'était là le devoir, pour un être qui veut valoir.

      Mais valoir, tenir à valoir… pourquoi? pour qui?.. Pour elle-même?.. Et ensuite?

      Quelle vaine jouissance, on lui avait offerte ainsi!..

      Quelqu'un le lui avait dit, il n'y avait pas très longtemps, et alors, elle avait écouté, un peu méprisante… Qui donc?.. Ah! oui, ce Raymond de Ryeux. Voici donc que, tout à coup, elle arrivait à la même conclusion que ce frivole et égoïste clubman! Vers quels bas-fonds descendait-elle soudain?

      – Eh bien, Claude, tu ne viens pas? Que fais-tu donc?.. appela la voix d'Élisabeth.

      Claude tressaillit, rejetée brusquement dans la réalité de sa vie. Elle était folle de rêvasser ainsi! En hâte, elle répliqua:

      – Me voici tout de suite! Élisabeth.

      Et, en effet, quelques minutes après, elle entrait dans la galerie attenante au cabinet d'Élisabeth, dont celle-ci avait fait une sorte de petit hall pour recevoir ses amis. Sous la clarté des lampes voilées, mais nombreuses, car Élisabeth adorait la lumière, la pièce était singulièrement hospitalière. Des meubles cannés, parmi lesquels un divan, quelques fauteuils où s'enfonçaient des coussins de cretonne.

      Devant la baie vitrée, retombaient, à cette heure, des voiles persans. Au mur, quelques gravures, véritables œuvres d'art, deux grandes aquarelles, visions de prairie et de sous-bois. Au-dessus du piano, avec lequel voisinaient le pupitre et le violon de Claude, une admirable vue de mer, encadrée par deux reproductions en grisaille des chanteurs de Della Robbia.

      Dans un angle, la bibliothèque tournante, lourde des volumes qui s'y pressaient. Des livres aussi, des revues sur les tables nombreuses; même sur le bureau de travail qui servait à Élisabeth et à Claude. Quelques plantes vertes. Et beaucoup de fleurs; – des fleurs très simples, des humbles, mais généreusement prodiguées pour épandre à travers la pièce une senteur de jardin.

      Les visiteurs étaient arrivés pendant que Claude s'attardait à songer. Des intimes qui savaient qu'après ses consultations au dispensaire, Élisabeth se reposait un peu, en accueillant ses amis; et aussi tous ceux et celles qui venaient chercher l'appui de son jugement dont la précision claire était celle de ses diagnostics.

      Quand Claude apparut, des conversation s'étaient déjà établies, très animées.