Le chemin qui descend. Ardel Henri. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Ardel Henri
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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rit, avec une mine de confusion voulue:

      – Je suis très paresseux et tout à fait dépourvu d'ambition. J'avoue qu'il me suffit d'être un pauvre clubman trouvant intérêt à son écurie de courses, et encore à toute sorte de distractions et plaisirs, plus ou moins frivoles, je le reconnais… En toute humilité, je dois confesser que jamais, il ne m'est venu la prétention de valoir quelque chose!..

      – Ah? fit-elle, brièvement. Mais je suppose que vous plaisantez! Autrement…

      – Vous vous arrêtez?.. Quoi? autrement… Dites… Je veux savoir ce que vous pensez sur mon compte…

      – Autrement, je dirais: «tant pis pour vous», s'il en est ainsi!..

      Il comprit très bien qu'elle le jugeait avec sa rigueur de femme consciente des difficultés et du prix de la lutte pour la vie qu'il ignorait lui-même… Et aussi avec l'intransigeance des êtres jeunes. Pourtant, il interrogea, mi-dépité, mi-intéressé:

      – Est-ce que vous parlez sérieusement?.. ou bien pour me faire honte?.. Vous savez comment on en use avec les petits?

      – Je suis très sincère.

      – Ah!.. Eh bien, à mon tour de dire «tant pis»! Alors, vous, mademoiselle, vous vous mouvez dans l'existence, attentive toujours à suivre un idéal que vous prétendez atteindre?

      A sa profonde surprise, elle ne répondit pas tout de suite; et l'accent était un peu étrange quand elle dit enfin:

      – Jusqu'ici, oui, il en a été ainsi pour moi.

      – Jusqu'ici?..

      Elle haussa les épaules.

      – Sait-on jamais l'avenir!

      Puis, brusquement, elle fit quelques pas en avant vers la mer. Il ne la suivit pas. De nouveau, il la regardait curieux, et avec le même plaisir des yeux; mais, en lui, demeurait une sorte d'impatience devant la sévère impertinence de son jugement sur lui, qu'il devinait trop bien. Ce en quoi, il voyait juste. Toutefois, chez elle aussi, il y avait de la curiosité. Ce Raymond de Ryeux lui paraissait un type un peu particulier, de cette phalange des gens du monde qu'elle englobait dans un impitoyable dédain. Plus intelligent, semblait-il, que la plupart, cependant; et elle s'amusait de sa galanterie caressante, comme des imprévus de leur situation, sur cette lande isolée. Les hommes qui l'approchaient d'ordinaire, chez Mme Ronal, étaient plus austères ou plus rudes. Avec ses camarades du Conservatoire, c'était autre chose encore… Celui-ci était d'espèce différente…

      Comme elle ne bougeait pas, il appela:

      – Je crois qu'il faudrait songer au retour, mademoiselle.

      – Déjà?..

      Vivement, elle avait tourné vers lui un visage déçu; et il oublia son impatience.

      Il dit aussitôt:

      – Nous resterons autant que vous voudrez!

      – Alors, encore quelques minutes de grâce; et puis, en gens bien sages, nous partirons! C'est réellement exquis, cet espace, ce vent, cette solitude, ce silence!

      – Ce silence… Hum! nous n'étions pas silencieux tout à l'heure! J'ai même entendu de dures vérités!

      Une courte flamme monta aux joues de Claude.

      – Prenez-les pour ce qu'elles valent, venues d'une étrangère dont l'opinion n'a cure pour vous. Mais vous avez raison, ma franchise a été malhonnête… Et je m'en excuse!

      Maintenant elle souriait un peu, de son sourire indéfinissable où il y avait une ironie à peine voilée. Et il remarqua, un peu âpre:

      – Vos lèvres seules s'excusent de votre sévérité; mais votre pensée les désavoue.

      Elle rit franchement:

      – Je tâche d'être polie comme une dame du monde… et comme une personne reconnaissante de la délicieuse promenade qu'elle vous doit…

      – Oh! je vous en prie…

      – Mais si… Mais si!.. Je suis trop ravie pour n'être pas très reconnaissante… Et, à mon tour, je voudrais vous être agréable… Mais comment?.. Est-ce que vous aimez beaucoup la musique?..

      – La bonne, oui, ardemment!..

      Elle glissa, taquine:

      – Autant que vos chevaux de courses?.. Eh bien, puisque mon jeu, entendu par hasard, vous a plu, voulez-vous que, en rentrant, je vous joue une page quelconque, à votre choix, pourvu qu'elle soit belle?.. Je n'ai – et je le regrette fort!.. – rien de mieux à vous offrir… seulement une bonne intention…

      Il eut l'air si sincèrement ravi, qu'elle comprit combien elle était tombée juste.

      – Oh! la bonne pensée! Vraiment, vous daigneriez me faire ce grand, très grand plaisir? Je n'aurais jamais osé vous demander de me le procurer!.. Et pourtant, j'en avais bien envie!.. Que vous êtes délicieuse d'avoir deviné… Rentrons vite!.. Mais, où jouerez-vous?

      Elle réfléchit une seconde.

      – Dans notre «home» à cette heure, ce ne sera pas bien agréable, les petites seront là!.. Voulez-vous entrer à l'église où je joue chaque dimanche? Je monterai à l'orgue. Vous écouterez dans les rangs des fidèles absents… Et puis… et puis, je disparaîtrai… sans que nous nous revoyions… parce que les paroles ne valent rien après la musique. Ne le trouvez-vous pas aussi? Quand je peux, je les fuis toujours!.. Mon programme vous va?

      – Je n'ai qu'à l'accepter… Sans quoi, je m'insurgerais contre la conclusion que vous lui donnez!.. Si vous vous y refusez, nous ne nous reverrons pas aujourd'hui… parce que je n'ai pas le droit de vous imposer mes remerciements, hommages, etc.!.. Mais, dans la suite, il en sera autrement? N'est-ce pas?.. Maintenant que je vous connais, je ne me résignerais pas à vous dire un adieu définitif.

      – Nous reverrons-nous?.. C'est possible mais c'est peu probable!.. Nous n'aurons sans doute ni raison, ni occasion pour cela… Nous suivons des routes toutes différentes.

      La voix de contralto reprenait ses notes brèves.

      Il s'inclina:

      – Ce sera comme vous déciderez…

      Elle laissa tomber légèrement:

      – Bien entendu!.. La chose est convenue, partons!.. Obéissons à l'austère sagesse.

      Railleur à son tour, il acheva:

      – Pour valoir…

      – Dites pour le plaisir de nous sentir bien les maîtres de notre volonté, corrigea-t-elle, vive. Et puis, maintenant, il faut remballer tous les ustensiles du goûter… puisque le «correct serviteur» nous manque!

      Il s'apprêtait à l'aider.

      – Non, vous n'y connaissez rien! J'en suis sûre! Laissez-moi faire…

      Avec une adresse de femme habituée à se servir, elle rangeait les étincelants bibelots. Alors, sans insister, il prépara sa machine et revint seulement pour fermer et soulever le panier de paille qu'il plaça dans la caisse de l'auto.

      Puis il prononça:

      – Tout est prêt… Voulez-vous que nous repartions?

      – Oui, puisqu'il le faut!

      – Mettez votre plaid… Le soleil baisse, il ne va pas faire chaud… Étendez cette fourrure sur vos genoux… Ah! attendez que j'attache votre châle par une épingle pour que le vent ne l'écarte pas.

      – Oh! merci, je puis bien…

      – Non… Laissez-moi faire, enfant volontaire.

      – Soit… Comme vous aimez à servir les femmes! Mme de Ryeux doit être une personne terriblement dorlotée!

      – Ma femme?.. Non, je ne la dorlote guère… Elle se charge si bien de se dorloter elle-même que je réserve mes soins pour