Le chemin qui descend. Ardel Henri. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Ardel Henri
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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Nous restons ici?

      – A moins que vous ne préfériez aller ailleurs? Je prends le panier…

      Elle le laissa faire; cela lui semblait tout simple qu'il la servît; et son féminisme prenait un inconscient plaisir à ce que l'homme sentît, même en cette menue circonstance, qu'il n'était pas le maître.

      Pourtant, quand il revint, l'instinct de la «ménagère» se réveilla en elle; vive, elle ouvrit le panier pour excursion qui enfermait, avec le goûter lui-même, tous ses accessoires, théière, bouilloire, tasses, assiettes, même thermos… Elle commençait à sortir les bibelots. Il l'arrêta:

      – Vous n'avez pas peur du vent, ici? Vous n'aurez pas froid?

      – Froid!.. Oh! non!.. Je n'ai pas froid du tout… Voyez comme mes mains sont chaudes!

      Elle les lui tendait, d'un geste franc de camarade. Il les prit et les souleva un peu vers ses lèvres; elles étaient longues, fines, très soignées, l'annulaire droit serti par un seul jonc d'or où s'enchâssait une large chrysolithe.

      – Puis-je?.. Me permettez-vous?..

      – Non, certes, fit-elle, presque raide, avec un froncement des sourcils, qui, une seconde, rendit son visage dur. J'ai horreur du flirt et de tout ce qui en approche.

      – Alors, mettons que je n'ai rien dit.

      Et aussitôt, il laissa les mains retomber.

      – C'est cela. N'oubliez pas que je ne suis rien d'autre qu'une compagne de passage… Je puis dire, plus justement, un compagnon, puisque vous trouvez que j'ai l'air d'un jeune garçon…

      – Pas toujours! prononça-t-il brièvement. Vous devez être, ou vous serez… une dangereuse androgyne…

      – Dangereuse?

      – Oui, pour les pauvres diables qui, bénévolement, se laisseront attirer par vous.

      – Vers moi, corrigea-t-elle; mais pas, par moi! Et contre mon gré!

      – Quel air de protestation!

      – Je ne proteste pas. Je vous livre tout simplement mon idée bien sincère. J'aime trop mon indépendance pour ne pas la défendre contre toutes les intrusions. Voilà. Et maintenant, si nous goûtions?

      Il se mit à rire de son accent de gamine affamée. Il prenait le thermos.

      – Du thé, voulez-vous?

      – Oh! oui, ce sera délicieux!

      – Alors, je vais vous installer.

      – Où?.. Vous seriez bien en peine…

      – Non… dans l'auto…

      – Comme une vieille dame?.. Jamais de la vie! Voici ma tasse. Versez-moi ce bienheureux thé; et je vais le prendre là, debout, devant la mer… la mer que dans si peu de jours, je ne vais plus voir!

      – Vous êtes fâchée de rentrer à Paris?

      – Navrée!

      – Pourquoi? questionna-t-il hardiment.

      – Pour tant de raisons!..

      – Qui sont des secrets?

      – Non… Mais je suis un livre à serrure; et je n'ai pas pour habitude d'en donner la clef aux étrangers.

      Il ne se laissa pas désarçonner; et gaiement, il prononça:

      – Ici, nous sommes en dehors des habitudes.

      – C'est vrai… Ce n'est pas l'usage, vous avez raison, qu'une jeune personne s'en aille courir les routes et goûter, sur une falaise déserte, avec un monsieur inconnu.

      – Pas inconnu du tout. Vous savez très bien qui je suis…

      – Oui… je sais… un peu…

      Elle ne poursuivit pas. Elle se souvenait du jugement de Mlle de Villebon, et une indéfinissable expression détendait la ligne ferme de ses lèvres.

      Il le remarqua aussitôt.

      – Vous avez entendu dire du mal de moi, n'est-ce pas?

      Elle mordait son sandwich à belles dents, et négligemment, elle laissa tomber:

      – Non… pas du mal!

      – Pas du bien, sûrement!

      – Ni du bien ni du mal… La vérité, tout uniment, ce me semble…

      – Voulez-vous me dire ce que c'était?

      Elle rit et but une gorgée du thé brûlant.

      – Bien sûr que non! D'ailleurs, je ne m'occupe jamais que de ma propre impression.

      – Et quelle est votre impression? Est-ce que vous consentiriez à ouvrir la serrure pour me la confier?.. puisque je suis en cause…

      – Je pense que vous êtes très curieux…

      – Non!.. simplement, j'aime à m'instruire.

      – Sur ce qui se passe dans le cerveau, ou le cœur, des gens que vous rencontrez!..

      – Oh! pas de tous!.. Oh! non!.. Encore un sandwich?

      – Oui… Ne me trouvez pas une affreuse gourmande. Mais cet air délicieux m'a donné un appétit de loup.

      – A moi aussi!.. Alors dévorons! Heureusement, le maître d'hôtel de ma mère a été généreux! Seulement, je fais très mal mon service… J'aurais dû vous offrir une assiette et une fourchette pour manger vos sandwiches, tenir devant vous ladite assiette…

      – Un soin bien inutile que vous auriez pris là! Je suis si habituée à me nourrir «en camp volant»… Que de fois, il m'est arrivé de déjeuner comme cela, debout, d'une tasse de lait et d'un petit pain, dans quelque modeste crèmerie.

      Il la regarda, presque choqué; mais l'élégante originalité du visage dissipa aussitôt l'impression.

      – Ça devait être bien désagréable! remarqua-t-il seulement, très convaincu.

      A son tour, elle lui jeta un coup d'œil de sincère surprise:

      – Qu'est-ce que cela peut bien faire?.. Est-ce que vous êtes un sybarite?

      – Déplorablement… oui, je le crains… Et je n'ai pas envie du tout de me corriger!.. Mon excuse, c'est que depuis ma plus tendre jeunesse, on m'a donné, sur ce chapitre, de très fâcheuses habitudes. Ainsi, j'ai été amené à croire impossible – sauf nécessité absolue! – de manger autrement que devant une table correctement dressée, ayant derrière moi un serviteur, non moins correct, pour me présenter ma pitance… C'est ridicule, mais c'est comme cela… Peut-être, pour cette raison, je ne vous vois pas du tout, avec votre visage, à la Vinci, dans une honnête crèmerie!.. J'aime même mieux ne pas penser que vous pouvez vous trouver dans un pareil cadre!

      – Pourquoi?

      – Parce qu'il vous va fort mal!.. Je vous avoue mes faiblesses. Ne vous moquez pas de moi!

      – Que vous êtes donc «homme du monde»! Moi, je ne suis pas une femme du monde; c'est pourquoi, sans doute, la crèmerie me laisse indifférente.

      – Vous n'êtes pas une femme du monde? Qu'êtes-vous donc, alors?.. Voulez-vous me le dire, puisqu'il est convenu que je suis curieux…

      – Ce que je suis?.. Une femme qui gagne sa vie!

      – Eh! bien, je vous en adresse mon très respectueux compliment d'être inférieur qui ne sait que dépenser l'argent, à lui légué par sa famille.

      – Je suppose que c'est là une agréable situation!.. Mais tout de même, vous avez raison, une situation un peu inférieure!.. Je me demande comment un homme qui pourrait devenir quelque chose, se contente d'être une inutilité de luxe!

      Une fibre tressaillit en lui. Il lui était désagréable que cette singulière petite fille le jugeât une nullité; d'autant