Am Rande des Sturms: Das Schweizer Militär im Ersten Weltkrieg / En marche de la tempête : les forces armées suisse pendant la Première Guerre mondiale. Группа авторов. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

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Издательство: Bookwire
Серия: ARES
Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 9783039199457
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aux évolutions du conflit et de la diplomatie. Une distinction entre théorie et Realpolitik, une tranchée philosophique constituant la ligne de front d’un débat qui ne devait plus cesser au cours du siècle et que la Seconde Guerre mondiale allait renouveler jusqu’à l’après Rapport Bergier!

      On sait également, depuis les travaux de Jean-Claude Favez, que la diplomatie suisse est tributaire de la collaboration du tissu économique helvétique, dépendant de la convergence des intérêts privés.2 Ces derniers ont fait l’objet de publications notamment de la part de Sébastien Guex3 et Malik Mazbouri,4 lequel faisait remarquer, dans son article sur la place financière de la Suisse au cours de la Première Guerre mondiale,5 le rôle joué par les crédits officiels ou semi-officiels accordés par la Suisse aux belligérants. Crédits accordés au printemps et à l’automne 1916, de 100 millions, tant à la France qu’à l’Allemagne sur demande expresse du Conseil fédéral en lien avec la politique des compensations, en échange d’autorisations d’exportations.

      À la suite de Peter Dürrenmatt,6 il nous faut remarquer que le pays, au travers de la première émanation de la Treuhandstelle crée en juin 1915, et de la Société suisse de surveillance économique, constituée en octobre 1915, allait devoir accepter un contrôle des belligérants, faisant ainsi un nouvel apprentissage de la neutralité. Un apprentissage donnant aux relations interpersonnelles une importance remarquable.

      Au-delà du recours traditionnel à la mécanique diplomatique voyant en février 1915 le ministre de Suisse à Rome, von Planta, adresser un rapport au chef du département Hoffmann signalant que les ambassadeurs de France et d’Allemagne donnaient des assurances sur le respect de la neutralité suisse, le Conseil fédéral allait développer une politique de l’antichambre misant sur des réseaux opérant en coulisse. Il plaçait ainsi l’industriel Ernst Schmidheiny, dont les réseaux autrichiens étaient influents, à la tête de la Treuhandstelle, et Johann Hirter, membre du conseil d’administration des Chemins de fer fédéraux suisses depuis 1900 – dont l’électrification était projetée de longue date par Walther Rathenau, le grand patron de l’Allgemeine Elektrizitäts Gesellschaft, par ailleurs commissaire à l’approvisionnement de guerre du Reich – à la tête de la Société suisse de surveillance économique en 1915.7 Autant Ernst Schmidheiny que Johann Hirter, impliqué dans l’importation de charbon de la Sarre et fin connaisseur du monde économique germanique, constituaient ainsi des choix stratégiques évidents pour l’encadrement des organes de surveillance imposés par les belligérants, permettant de temporiser le partenaire allemand.

      Nous pourrions bien évidemment multiplier les exemples, mais il conviendrait également de rappeler que nombre d’entreprises suisses, contrairement à ce qui a pu être dit, ne nourrissaient pas de germanophilie particulière mais étaient tout simplement devenues allemandes grâce aux rachats d’actions opérés par des sociétés germaniques détenant au fil du temps des actionnariats majoritaires. Une réalité pour des banques comme la Schweizerische Kreditanstalt de Zurich, la Motor A. G. de Baden ou encore la Banque de Crédit d’Argovie, mais également pour des industries lourdes.8 L’historien André Soulange-Bodin remarquait déjà en 1918 que Walther Rathenau siégeait dans le conseil d’administration de Brown-Boveri.9 La stricte observance de la neutralité aurait dû entraîner une censure à l’égard de ces entreprises, mais le Conseil fédéral opta pour une raisonnable tolérance afin de ne pas nuire à ses relations avec l’Allemagne et conserver la vitalité économique de ces sociétés; un substrat économique germano-helvétique important, représentant une interface efficace pour le maintien des équilibres commerciaux, et en fin de compte des équilibres diplomatiques.

      Cette tolérance allait être appliquée également à l’égard d’entreprises œuvrant pour l’effort de guerre français, comme Hispano-Suiza ou celle de Jules Bloch, le munitionnaire neuchâtelois qui affréta pendant toute la durée du conflit des convois remplis de fusées d’obus à destination de la France grâce au accords commerciaux que l’industriel avait passé avec Albert Thomas, le ministre de l’armement français.10 Une marge consentie par la Suisse, mais qui n’échappa pas aux pays belligérants et notamment à l’Entente qui allaient faire mettre certaines entreprises helvétiques sur listes noires, des entreprises comme Brown-Boveri, suspectée de construire des éléments de torpilles pour la marine allemande, et dont une cargaison de cuivre avait été bloquée par les Britanniques en 1915. Une souplesse politique restreinte par l’étau entre lequel la Suisse était enserrée, que le Conseil fédéral dut accepter afin de laisser Helvetia inscrite sur les carnets de bal de ses partenaires européens. Mais une limitation à une stricte neutralité moins évidente dans les rangs de l’armée comme en témoigne le rôle du Commissariat des guerres suisse, responsable de l’intendance de l’armée, lequel n’hésita pas à prêter son nom pour couvrir des importations de marchandises pour des sociétés proscrites telles Brown-Boveri.11

      La neutralité et l’armée

      La neutralité sous l’angle de vue militaire était considérée depuis la fin du XIXe siècle comme une entrave à la sécurité du pays. L’Italie préoccupait alors l’État-major, et certains officiers comme Arnold Keller et Théophile Sprecher von Bernegg envisageaient au début du siècle un rapprochement entre la Suisse et l’Autriche dans une éventuelle stratégie défensive face à une Italie irrédentiste. Ce relativisme dont l’armée faisait preuve à l’égard de la neutralité, et que l’historien Hans Eberhart a mis en lumière pour le début du XXe siècle, allait perdurer au cours du conflit.12

      Véritable apostasie à l’égard des doctrines militaires classiques qui moulaient les conceptions des officiers d’état-major, la neutralité allait être bafouée une première fois en 1915 par le général Wille dont les préférences germaniques lui firent proposer une alliance avec l’Allemagne, mais également une seconde fois, en 1916, lors du procès des colonels, lorsque Théophile Sprecher von Bernegg déclara que « le service de renseignement peut entrer en conflit avec les exigences de la neutralité ».13 Le chef d’état-major devait nuancer sa prise de position en précisant que le principe de neutralité s’il implique des devoirs permet également des droits comme l’échange d’informations.

      Il n’est guère utile de revenir ici sur les désaccords entre Wille et Sprecher von Bernegg, mais il faut par contre relever l’observation de l’historien Maurizio Binhaghi en mentionnant que ce sont les discordances entre le Conseil fédéral et l’État-major qui permirent à la Suisse de garder une politique modérée et patiente durant les mois qui précédèrent l’entrée en guerre de l’Italie.14

      Avec le développement de la guerre de position et l’enlisement des premières lignes sur le front occidental, l’État-major allait nuancer sa position et jouer sur ses acquis. Fortifiée au Sud, gardée sur ses autres frontières, la Suisse allait être conçue par l’armée dont les armes lourdes, comme le rappelait Alexandre Vautravers en 2014, faisaient largement défaut par rapport aux pays belligérants,15 comme une forteresse avec pour dernier bastion de sa souveraineté, l’Alpenställe évoqué par Hervé de Weck.16 En d’autres termes, une neutralité armée protégée par les défenses naturelles du pays!

      L’armée allait par ailleurs garantir la stabilité à l’intérieur du pays en faisant respecter le règne de la neutralité, en se méfiant des démonstrations d’amitié trop soutenue, notamment dans les cantons romands, en faveur des soldats de l’Entente.17 Démonstrations pouvant dégénérer en portant atteinte au relatif équilibre helvétique à l’égard de sa position politique, comme lorsqu’une manifestation avait réunie 2000 personnes à la gare de Fribourg en mars 1915 après le passage d’un train de rapatriés français, ou lorsque Marcel Hunziker avait arraché le drapeau du consulat d’Allemagne à Lausanne en 1916. Ces événements incitèrent des mesures de censure et de contrôle de plus en plus fréquentes sous le contrôle du colonel Adolf Obrecht, par exemple la suspension du journal nommé le Courrier de Vevey et de la Tour-de-Peilz, le 24 mars 1916, pour