Correspondance inédite de Hector Berlioz, 1819-1868. Hector Berlioz. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Hector Berlioz
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066088897
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la ville de Copenhague, qui accourait au concert de M. et de madame Mortier Fontaine pour applaudir à l'ouverture de Waverley; Winterthur, dans le canton de Zurich, imitait Cologne, Copenhague et Hambourg. Cependant Winterthur est une ville si peu considérable, que nous avons eu quelque peine à la découvrir sur la carte.

      Les siffleurs de Benvenuto, en apprenant ces nouvelles du dehors, commencèrent à réfléchir; si, par hasard, ils s'étaient trompés!... Il y eut une espèce de revirement dans le public et l'on vit, un jour, des conscrits entonner, dans la rue, le motif de la Marche funèbre et triomphale en se promenant du Palais-Royal aux Italiens et à l'Opéra. Le cortège se composait d'une centaine de jeunes gens précédés de vivandières, de sapeurs, de tambours-majors et de porte-drapeaux[29].

      «A Bruxelles, nous dit le compositeur dans ses Mémoires, les opinions sur ma musique furent presque aussi divergentes qu'à Paris.» C'est là que nous nous trouvons pour la première fois en présence de mademoiselle Récio, que Berlioz devait épouser à la mort d'Henriette Smithson; mademoiselle Récio chanta dans les concerts de son futur mari; nous ignorons avec quel succès. Le voyage en Allemagne fut beaucoup plus décisif pour la gloire du musicien que l'excursion en Belgique; depuis longtemps, Berlioz était attendu de l'autre côté du Rhin. Nous osons à peine révéler la vérité, car elle est triste à dire; triste pour nous, Français, et pour notre goût artistique. Pendant que nous marchandions à notre compatriote de maigres applaudissements, la capitale de la Prusse le traitait en triomphateur; on lui accordait le théâtre royal et les premiers artistes de la ville, le roi accourait de Potsdam à franc étrier, se mêlait à l'enthousiasme de ses sujets (malgré l'étiquette), demandait pour ses bandes militaires la Fête chez Capulet[30]. Bien mieux: le maître de la chapelle ducale de Brunswick, M. Georges Muller, venait, après l'audition de Roméo et Juliette, déposer une couronne sur la partition[31]. Mendelssohn enfin, qui dédaignait tant son camarade de Rome, échangeait avec lui son bâton de chef d'orchestre, à propos du Sabbat de la Symphonie fantastique, exécuté presque en même temps que la Première Nuit du Sabbat, à Leipzig. Le compositeur parisien remercia par une lettre le compositeur allemand; nous avons eu la chance inespérée de retrouver le texte du billet:

      Leipzig, 2 février 1843.

      Au chef Mendelssohn.

      «Grand chef, nous nous sommes promis d'échanger nos tomawacks! Voici le mien, il est grossier, le tien est simple!

      »Les Squaws seules et les Visages-Pâles aiment les armes ornées. Sois mon frère, et, quand le Grand-Esprit nous aura envoyés chasser dans le pays des âmes, que nos guerriers suspendent nos tomawacks amis à la porte du conseil[32].»

      Nous n'insisterons pas. Il nous est douloureux de constater que la justice et le sentiment du beau se sont rencontrés ailleurs que chez nous et, qui pis est, chez nos plus implacables adversaires. Au moment où l'Allemagne tressaillait aux accents des mâles symphonies du maître, nous raffolions, nous, d'opéra-comique; nous essayions d'implanter ce genre absurde dans les cinq parties du monde et une troupe de chanteurs se préparait à s'embarquer dans le port de Brest. La troupe était au complet; elle avait une prima donna, une dugazon, un ténor, des barytons, un régisseur. Quant à sa destination, on ne la devinerait jamais. Ces messieurs et ces dames allaient faire connaître les beautés du Domino noir, de Zampa, et de Fra Diavolo aux sauvages des îles Marquises[33]!!!!!

      En juin 1843, Berlioz revint à Paris pour s'occuper d'un opéra, la Nonne sanglante, qu'il n'acheva jamais. Il trouva chez lui, en rentrant, un ordre de l'empereur de Russie, lui enjoignant d'arranger des plains-chants grecs à seize parties, en quadruple chœur. Vers la même époque, il fut nommé membre de l'Académie romaine de Sainte-Cécile, puis il reprit ses concerts. Concert à la salle Herz (3 février 1844) et première audition de l'ouverture du Carnaval romain; concert spirituel à l'Opéra-Comique, le samedi saint, 6 avril; concert aux Italiens, où il s'emporte contre deux dames qui causaient dans une loge tandis qu'on exécutait la Marche des Pèlerins[34]; enfin concerts au palais de l'Industrie et au Cirque des Champs-Élysées (janvier 1845). Là, fut joué un morceau dont nous avons complétement perdu la trace: l'ouverture de la Tour de Nice, écrite par l'auteur, pendant un séjour de quelques semaines dans un vieux donjon, sur le bord de la mer. Le morceau était, paraît-il, tout à fait bizarre, entrecoupé de sifflements, de hurlements, de cris de chouettes, de bruits de chaînes. Il ne plut guère à l'auditoire et l'auteur fut sans doute du même avis que ses juges, puisqu'il remplaça sur l'affiche l'ouverture de la Tour de Nice par le Désert de Félicien David, artiste charmant, frais éclos, et qui n'en était plus à faire jouer, sous la direction de Valentino, des nonetti pour instruments à piston[35].

      Après l'Allemagne du Nord, Berlioz visita l'Autriche. «Nos dames, écrivait un Viennois, portent des bracelets, des bagues et des boucles d'oreilles à la Berlioz, c'est-à-dire avec son portrait[36].» Les peintres recherchaient l'honneur de reproduire ses traits et il n'accorda cette faveur qu'à un M. Kriuber qui exposa, au foyer de l'Opéra, l'image du musicien à la mode, entourée de lauriers. «C'était bien la peine, disait un vieux professeur, de travailler cinquante ans à notre édifice musical; en deux heures, ce diable de Français a tout renversé.» Drôles de mœurs! Pendant que Berlioz dirigeait ses concerts, un poëte hongrois lui jeta des vers pour l'engager à venir à Pesth. Il prit la route opposée; il s'en fut à Prague, où le directeur du Conservatoire, M. Kittl, lui amena tous ses élèves pour que ceux-ci assistassent aux répétitions. Au moment de son départ de l'Autriche, Berlioz entendit un critique de Breslau prononcer cette parole: «Eh bien, il nous laisse de sa chaleur, au moins pour un an!»

      S'il laissait de sa chaleur aux autres, il allait se refroidir, lui, en passant à Paris par la plus douloureuse épreuve qu'il eût subie jusqu'alors: l'épouvantable fiasco de la Damnation de Faust à l'Opéra-Comique (6 décembre 1846). Les deux ou trois cents personnes qui assistèrent à l'exécution de cette légende dramatique furent ravies, transportées; malheureusement elles n'étaient que deux ou trois cents. Le Paris de la fin du règne de Louis-Philippe s'intéressait beaucoup plus à la politique qu'aux choses de l'intelligence, les badauds s'occupaient des mariages espagnols; deux fabricants de cachemires, M. Cuthbert et M. Biétry, s'adressaient dans le Constitutionnel des correspondances qui passionnaient l'Europe. Au lieu de répondre à l'appel du symphoniste, la noblesse du faubourg Saint-Germain resta chez elle, la haute finance se garda bien de manquer l'heure de la Bourse,—car le concert avait lieu en plein jour,—les artistes firent la sourde oreille, les boutiquiers continuèrent à préférer la Dame blanche; ce fut une déroute auprès de laquelle celle de la Bérésina aurait passé pour une retraite en bon ordre.

      Par un assez étrange hasard, le sujet de Faust, si profondément tudesque et septentrional, doit à nos compositeurs nationaux une grande partie de sa popularité. Je me garderai bien de louer la Damnation au détriment de l'opéra, plus moderne, de M. Charles Gounod; les deux œuvres ont des tendances diverses et se complètent l'une par l'autre. La scène du jardin: voilà le tendre et incomparable éclat qui illumine le Faust de M. Gounod. Mais, à propos d'illumination, je me rappelle qu'un soir, à l'Opéra, mes yeux ne pouvaient se détacher du petit appareil de lumière électrique qui, placé dans les combles du théâtre, versait des feux artificiels sur le jardin de Marguerite. J'avais beau me dire: «Me voilà loin de Paris, dans une vieille cité aux enseignes grimaçantes, sous les arbres, près des fleurs; l'orchestre prend le soin de traduire en sons merveilleux les sentiments que ma pauvre petite éloquence serait incapable d'exprimer...»—Peine perdue! la machine électrique de là haut m'ôtait toute illusion; elle me rappelait à la prosaïque réalité, elle me chuchotait dans son langage de machine: «Ne sois pas dupe de ces gens qui s'agitent là sur les planches et qui s'abîment la voix pour gagner de quoi acheter plus tard une maison de campagne où ils iront abriter leur esquinancie. Méphistophélès meurt d'envie de s'aller coucher; Faust n'a qu'une pensée: ménager ses notes hautes, aussi précieuses pour lui que des obligations de chemins de fer. Quant à Marguerite, qui débute, et qui a refusé, le jour même, un engagement pour la province, elle réfléchit qu'elle a eu tort de ne pas accepter les offres qu'on lui faisait.»

      Avec