Il ressort de ces éléments que ma trajectoire politique est moins marquée que celle de Jean. Depuis un quart de siècle, je me suis surtout impliqué dans ce que Jean appelle un « activisme éditorial », domaine dans lequel je ne dépendais de personne. Je n’ai jamais sollicité ou obtenu des ressources publiques pour soutenir cet engagement éditorial qui n’a pas été sans conséquence sur ma carrière. Mais je ne le regrette pas du tout.
En ce qui concerne Jean, son engagement politique n’a pas été sans conséquence sur sa carrière. Il m’a dit que celui noté au sein du Comité Information Sahel ne fut pas bien apprécié au sein de la direction de l’École des hautes études en sciences sociales, notamment en 1975, à l’occasion de la compétition pour un poste de maître-assistant, qu’il n’a pas obtenu. Il m’a également expliqué que cet engagement l’a également privé, en 1980, d’un poste de MCF en sociologie en coopération à l’université de Dakar. Le poste ayant été carrément supprimé par les responsables français lors de la commission mixte franco-sénégalaise dans la mesure où la candidature de Jean était la seule déposée. Comme il le dit, sa candidature a été rejetée, « pour cause de gauchisme42 ». La question de l’engagement politique est présente dans toute la production théorique de Jean Copans. C’est elle qui structure et oriente ses choix thématiques, comme il le montre dans les lignes qui suivent :
Je me dois d’affirmer d’emblée que l’engagement politique a toujours aiguillé mes choix thématiques, mais qu’il faut comprendre cet engagement non seulement sous l’angle de l’immédiateté de l’action politique, mais aussi sous l’angle des formes variées de l’intervention intellectuelle et universitaire dans trois registres :
a) De la popularisation et de la vulgarisation tant auprès des militants que du grand public.
b) De la pédagogie.
c) Des formes d’écriture et de transmission des connaissances et des réflexions (journalisme43, comptes rendus et chroniques bibliographiques, etc.).
Cette préoccupation a traversé tous mes écrits, depuis le premier, à ma connaissance une très longue chronique bibliographique dans le mensuel d’une tendance trotskyste fin 1964. Mais cette préoccupation a pris plusieurs formes et a même conduit à des choix politiques qui ont pu s’apparenter à des formes de répression universitaire. Et puis, dans la mesure où je me suis consacré à au moins une demi-douzaine de domaines et de thèmes, cela implique de considérer et le fil rouge (évidemment) qui les relie, mais surtout les élaborations spécifiques que chacun de ces domaines implique. Pour me résumer, les réflexions spécifiques ont pu contribuer à une réflexion plus générale, mais cette dernière est toujours le résultat d’un élargissement des réflexions spécifiques et non l’inverse à savoir l’application d’une macro-théorie y compris politique à l’action politique, à la posture morale et au choix empirique localisé.
Les précisions orales qu’il m’a alors fournies, appuyées par sa contribution à l’hommage à Vladimir Romanovitch Arseniev et les notes manuscrites au séminaire déjà évoqué montrent le rôle joué par ses parents dans l’engagement politique de départ, de Jean Copans44 :
Enfance et adolescence dans une famille petite-bourgeoise binationale (française et américaine) marquée par le communisme forcément stalinien de mes parents45 et l’adoption de cette culture sans trop de critique jusque vers mes 20 ans. De l’attirance du politique (lecture de nombreux journaux y compris le quotidien Libération des années 1950 et 1960 qui n’a aucun rapport avec le Libé actuel). Fréquentations communistes, positionnements orthodoxes, lecture des revues communistes et soviétiques et fréquentations des librairies et salons du livre. Mais des ruptures assez brutales et rapides ont été notées à partir du lycée Condorcet : rencontre avec Alain Krivine46, entrisme à la JC à l’UEC, adhésion à la quatrième internationale puis à sa fraction dite pabliste, fascination pour les luttes de libération nationale, lecture de La Révolution trahie de Trotsky
Bref à partir d’un communisme mâtiné de tiers-mondisme d’une part et d’une découverte progressive du marxisme des fondateurs et de la réflexion marxiste des années 1950 et 1960 d’autre part, j’en arrive à l’Afrique noire et à l’anthropologie à la rentrée 1963. Et ce choix sans cesse rectifié et autocritiqué et débattu, ne sera jamais fondamentalement remis en cause. Sauf qu’aujourd’hui errant dans un champ de ruines sans repères il peut paraître présomptueux et même inexact de parler encore d’un champ marxiste, d’une part, et, bien sûr, d’opportunité de l’autre…
Comme il le dit lui-même, le fil conducteur pour comprendre sa pensée, qui n’évolue pas au gré des circonstances, est son activité de chercheur engagé. Cet engagement militant s’est d’abord exprimé en faveur de l’Algérie. En effet, il avait été invité à enseigner, à l’été 1963, à l’université d’Alger, comme « pied rouge » alors qu’il n’avait pas encore obtenu sa licence. Plus tard, il a tout autant refusé, à la fin des années 1970, d’aller enseigner au Mozambique dans le cadre de la « coopération rouge », comme il l’explique dans ses notes de séminaire :
Les relations entre mes camarades trotskystes et la direction du Frelimo m’ouvrent à nouveau la porte pour une coopération révolutionnaire au Mozambique47 que je refuse à la fin des années 1970. Lors de ma visite en novembre 1983, dans un séminaire à Maputo, Meillassoux et moi-même sommes accusés d’être de vulgaires anthropologues bourgeois par mes collègues tout aussi blancs que vous et moi48. Plus tard, lors d’un colloque à Bujumbura, en 1989, j’ai fait pleurer Anna Maria Gentili, historienne italienne, ancienne coopérante rouge49, en rappelant ces comportements stalino-bureaucratiques.
En conclusion, comme il me l’a souligné