Les Rois. Jules Lemaître. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Jules Lemaître
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066088392
Скачать книгу
de son fils, et pour toujours.

      —Venez, Wilhelm, dit la princesse.

      Elle prit l'enfant par la main et le conduisit au prince:

      —Embrassez votre père. Depuis tout à l'heure—écoutez bien ceci—depuis tout à l'heure, ce n'est pas seulement votre grand-père, c'est aussi votre père qui est roi.

      —Ne lui parlez donc pas de ces choses-là, dit brusquement Hermann. Que voulez-vous qu'il y comprenne?

      Le petit Wilhelm, intimidé, baissait sa grosse tête. Hermann le baisa sur le front, l'examina un moment et, s'adressant à la gouvernante:

      —Comme il est pâle! A-t-il bien dormi?

      —Oui, monseigneur, dit la vieille dame.

      —A-t-il bien mangé?

      —Oui, monseigneur, et il a bien joué après son déjeuner.

      —Avec qui?

      —Mais… tout seul, monseigneur.

      —Il y a pourtant le petit garçon du grand veneur et celui du grand écuyer qui sont à peu près de son âge, et j'avais recommandé…

      —Oui, monseigneur; mais ces enfants prenaient avec Son Altesse royale de telles libertés…

      —Ils le battaient?

      —Oui, monseigneur.

      —Eh bien, il n'avait qu'à se défendre.

      La princesse intervint:

      —Vous ne parlez pas sérieusement, Hermann?

      —Pauvre petit! dit le prince. Ce qu'il te faudrait, ce serait le grand air, la vie libre et naturelle, la bataille avec d'autres gamins, et le moins d'égards possible. Seulement, voilà! Ou tes camarades te traitent déjà comme un petit roi, et cela est horrible, ou bien ils oublient de te respecter, et alors on les rappelle au sentiment de la hiérarchie… D'ailleurs, continua-t-il en tâtant les bras de l'enfant, fragiles comme des osselets d'oiseau, peut-être qu'on a raison, car tu n'es guère en état de te défendre toi-même… Va donc, pauvre petit, va jouer tout seul.

      Le prince disait cela d'un ton si triste et si âpre que l'enfant, effrayé, fondit en larmes.

      —Qu'est-ce qu'il a? Il a cru que je le grondais… Je suis stupide.

      Hermann prit l'enfant sur ses genoux, le serra sur sa poitrine, en appuyant, sa barbe contre la petite joue mouillée.

      —Wilhelm, mon chéri, qu'est-ce que tu as?… Mais je ne te gronde pas… Au contraire… Je suis ton papa qui t'aime bien… Veux-tu que je te donne un beau joujou? Veux-tu que je te raconte une belle histoire?

      L'enfant fit signe que non. Jouer le fatiguait. Son jeu favori était de rester des heures entières dans son petit fauteuil, immobile, comme en représentation. Et, quant aux belles histoires, il avait le coeur encore trop gros pour en vouloir entendre. Il ne pleurait plus, mais, secoué d'un reste de sanglots, il jeta ses bras autour du cou d'Hermann.

      Alors Wilhelmine, suivant toujours sa pensée:

      —Puisque, vous l'aimez, Hermann, pensez à lui et gardez-lui son héritage.

      L'importune avertisseuse, qui ne le laissait pas être père, simplement!

       Il répliqua:

      —Mais cet héritage n'est pas compromis, que je sache. Et tenez…

      Du dehors, une grande rumeur joyeuse montait, où se détachait par moments ce cri: «Vive le prince Hermann!»

      —Vous entendez? C'est le peuple qui vient de lire ma proclamation.

      —Vous leur promettez tout: cela est facile. Mais que leur donnerez-vous demain?

      Sans répondre, Hermann ouvrit la fenêtre. La rumeur, plus claire et plus haute, entra dans le palais. Elle grossit encore lorsque Hermann se fut avancé sur le balcon. Devenu soudainement très pâle, comme si cette houle humaine lui eût donné le vertige, il ne put que dire:

      —Merci, mes amis, merci…

      Instinctivement,—car, malgré elle, ces acclamations la grisaient, —Wilhelmine fit quelques pas pour rejoindre son mari. Elle s'arrêta en réfléchissant que cette ovation s'adressait à des idées qu'elle réprouvait de toutes ses forces, et, loyale, elle ne voulut point détourner vers elle, par surprise, une part de la gratitude populaire.

      Mais, ses yeux ayant rencontré le petit Wilhelm qui riait, avec une curiosité ravie, à ce grand bruit triomphal:

      —Hermann, cria-t-elle, montrez-leur votre fils!

      —Oh! oui, père! dit l'enfant.

      Il avait redressé sa tête de gnome, prêt aux hommages et subitement grave comme une idole.

      Hermann haussa les épaules:

      —Le leur montrer? Pourquoi faire?… non, madame. Ces choses-là ne sont pas bonnes pour les enfants.

      Il ferma la fenêtre, lentement. Quand il se retourna, il vit le petit Wilhelm qui pleurait de rage et, près de lui, sa gouvernante, agenouillée, qui lui prodiguait des consolations respectueuses:

      —Monseigneur! monseigneur! Un prince ne doit jamais pleurer, disait la vieille dame. Votre Altesse royale me fait un vrai chagrin.

      —Qu'on l'emporte, dit tranquillement le père.

       Table des matières

      —Vous connaissez, monsieur le grand chancelier, ma proclamation au peuple, puisque vous l'avez contresignée?

      Le comte de Moellnitz s'inclina:

      —Me sera-t-il permis de rappeler à Votre Altesse royale que mon contre-seing n'était là que pour authentiquer votre signature et qu'il ne saurait avoir, dans l'espèce, une autre signification?

      —Je le sais, monsieur, et c'est bien, en effet, ma pensée à moi, et uniquement ma pensée, que j'ai voulu faire connaître au peuple. Je ne vous en dois pas moins un sincère exposé de mes intentions. Les grèves qui, depuis quelques mois, ont fait tant de ruines dans ce malheureux pays semblent terminées, plutôt par l'impossibilité où se trouvent les ouvriers de continuer la lutte que par les concessions des patrons, qui ont été insuffisantes…

      Le comte de Moellnitz protesta d'un sourire mince et d'un discret hochement du menton.

      —C'est du moins mon avis, poursuivit Hermann. Un grand apaisement s'est produit dès qu'on a su que le roi avait dessein de me déléguer ses pouvoirs. Le peuple attend. Par toute ma conduite passée et par tout ce que j'ai laissé deviner de mes sentiments, j'ai pris envers lui une sorte d'engagement tacite. Je le tiendrai. Cette idée s'est répandue parmi les travailleurs que la solution des questions sociales dépendait d'une réforme préalable des institutions politiques. Cette vue n'est point fausse. Je vais soumettre à l'assemblée consultative, dont je vous ai fait connaître la composition, deux projets connexes: un projet de loi électorale et un projet de loi instituant pour commencer un minimum de régime représentatif. Voici ces deux projets.

      Le prince remua des papiers sur son bureau. Le comte de Moellnitz avait attendu, sans broncher, la fin de ce discours. Son mince sourire continuait d'exprimer la sécurité intellectuelle d'un homme qui n'a jamais pensé. Évidemment, les idées encloses sous son petit front arrondi et dur étaient pauvres et peu nombreuses, mais rangées en bon ordre, tenaces et d'autant plus immuables qu'il ne les avait pas cherchées lui-même et qu'elles étaient uniquement les idées de sa naissance, de son rang, de sa fortune et de sa carrière. Il était de ceux qui sont incapables de concevoir et de se figurer une âme différente de ce qui leur sert d'âme, ni une autre vie que la