" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

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Издательство: Bookwire
Серия: Biblio 17
Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 9783823302285
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ravauderies, ils s’en prenent à moy privativement à tout autre, et me font plus d’honneur que je ne demande d’eux, imprimant dans les espritz par leur pleintes journalières, l’opinion que je suis autheur des Recherches tant luës et recherchées par toute la France.38

      Il ne s’agit pas là d’une négation de paternité, dans la mesure où le père Garasse se borne à faire un simple constat : les fils d’Étienne Pasquier le mettent en cause sans preuve. C’est l’occasion d’égratigner à nouveau l’image de l’avocat gallican en faisant de « tous les François », qui le mépriseraient, les auteurs potentiels de cet écrit. Il loue même le texte en fin d’extrait, risquant un jeu de mot sur le titre.

      L’anonymat n’est donc pas complet. À notre connaissance, nulle mention n’est faite, en revanche, des satires latines. S’agit-il là d’un indice de la réception de ces textes ? On ne peut douter que, s’ils en avaient eu connaissance, ses adversaires les auraient utilisés contre lui. Il semble donc que pour ses contemporains, les textes satiriques de langue française fondent pour l’essentiel son profil d’auteur.

      La Doctrine curieuse et la Somme théologique (1623-1625) constituent des cas particuliers dans la production satirique du père Garasse. Ces deux ouvrages, conçus comme complémentaires, sont les deux premiers textes du père Garasse relevant du registre polémique à paraître sous son nom et son titre. Le jésuite abandonne la lutte clandestine pour combattre cette fois à visage découvert les athées et les libertins. Diffusant, surtout dans la deuxième partie de son œuvre, un savoir théologique, il met en avant son appartenance à son Ordre pour donner une caution théologique, philosophique et morale à son discours.

      La Doctrine curieuse comme la Somme théologique paraissent avec approbations et privilèges, conformément aux lois qui régissent l’imprimerie en ce qui concerne les écrits abordant des matières religieuses. On peut toutefois noter que la Doctrine ne comporte pas d’approbation émanant de l’un des supérieurs du père Garasse, ce qui est plutôt surprenant. Cela reflète le fait que ce texte suscite des tensions au sein de l’Ordre même, et paraît de façon précipitée39.

      Ces deux ouvrages revêtent pour le jésuite une importance toute particulière, comme en témoigne la stratégie de publication mise en œuvre : choix du français, pages de titre soignées, organisation maîtrisée, dédicataires et cautions prestigieux pour la Somme40, entre autres. L’imprimeur qui se charge de ces parutions – et qui se chargera de la plupart des publications du père Garasse relatives aux querelles que ces textes susciteront, est encore Sébastien Chappelet. On assiste donc, au cours de la carrière du jésuite, à une évolution des stratégies, évolution qui s’adapte aux ambitions de ses productions, comme à leur genre.

      Pour terminer cette étude, nous montrerons que le père Garasse instrumentalise privilèges et approbations dans le cadre de ses combats, que ce soit pour légitimer son texte ou discréditer un adversaire. Deux exemples sont, à cet égard, frappants.

      Les Recherches des Recherches est le premier texte polémique du père Garasse à bénéficier d’un privilège. Le jésuite le place en tête d’ouvrage, après l’épître dédicatoire adressée à Pasquier, « l’Avis au Lecteur » et la table des matières, et juste avant le début du premier chapitre : le privilège est donc valorisé par sa place. Sans rechercher l’économie, le père Garasse le reproduit dans son intégralité et le fait suivre de l’« Extraict des Registres des Requestes ordinaires de l’Hostel du Roy », texte qui confirme qu’il a bien été enregistré. Jusqu’en 1701, la législation précise que le privilège peut être donné en entier ou en extrait. Le choix que fait le jésuite suggère donc une volonté d’attirer l’attention du lecteur. Son privilège est encore valorisé typographiquement par l’usage d’une lettre ornée. Cela n’est pas rare au XVIIe siècle, mais, comme le souligne Claire Lévy-Lelouch, la lettre ornée est normalement réservée aux épîtres dédicatoires, préfaces et éloges, soit au péritexte, tandis que la lettre de deux points est dévolue aux sommaires ou aux avertissements41. Ce privilège est instrumentalisé par le père Garasse. Outil de communication pour le roi, témoignant de sa toute-puissance et de la suprématie économique et idéologique de l’État, le privilège comporte une finalité économique et politique, mais aussi un enjeu éditorial : il atteste la valeur du livre, le légitime, et constitue une garantie pour l’auteur et son œuvre. Il est important pour le jésuite de l’exhiber, alors qu’il attaque anonymement un haut membre de la magistrature.

      Le privilège des RecherchesdesRecherches est « donné à Picquocos42 », une commune de Tarn-et-Garonne. Cette mention de lieu, inhabituelle, peut être mise en lien avec la stratégie éditoriale élaborée par le père Garasse. Dans l’« Epistre au lecteur », le jésuite – qui dissimule son statut et se présente sous les traits d’un lecteur a priori bienveillant et de bonne foi – met l’accent sur le fait que son livre ne relève pas de l’attaque personnelle. Selon lui, son adversaire s’est rendu coupable envers le Roi et l’Église, l’obligeant à prendre la plume :

      Je recognus à la lecture [du livre de Pasquier], que Dieu ne m’a point tant donné de patience, que de pouvoir dissimuler un si grand nombre d’indignités, contre les Papes, les Roys, les Chanceliers & Cardinaux : & proteste neantmoins, que ce que j’entreprens maintenant n’est par aucune hayne particuliere que j’aye contre feu Maistre Estienne Pasquier ny aucun de sa famille, mais seulement & purement pour satisfaire à l’obligation de ma conscience […].43

      L’exhibition du privilège, qui vient compléter la mise en scène de la parole indignée, semble alors destinée à montrer que l’auteur a le soutien du pouvoir pour lequel il prétend écrire. Le fait que le privilège soit donné à « Picquocos » en septembre 1621 a son importance. Piquecos se situe près de Montauban. À cette date, Louis XIII fait le siège de la ville, haut lieu du protestantisme, et est logé au château de Piquecos, d’où le lieu d’émission. Le privilège évoque donc un contexte de guerre, auquel renvoie également le début de l’« Epistre au lecteur ». Il appuie ainsi la démarche de l’auteur : non seulement le père Garasse est soutenu par le roi, mais tous deux mènent un combat commun contre l’hérétique – le jésuite affirmant de son adversaire dans son « Epistre au lecteur » qu’il a la « liberté d’Huguenot44 ». Le privilège constitue donc un instrument de légitimation dans le cadre de la polémique et justifie ici la démarche comme le contenu.

      Un autre exemple montre que le jésuite instrumentalise les circonstances de la publication. La première attaque menée contre la Doctrinecurieuse est le fait du prieur François Ogier, qui fait paraître anonymement un ouvrage intitulé Jugement et censure du livre de laDoctrinecurieuse. Le 14 novembre 1623, le père Garasse fait parvenir au Procureur général au parlement de Paris, Molé, un Mémoireapologétique dans lequel il réfute les accusations portées contre lui par différents adversaires, dont Ogier. Le 28 novembre, une saisie a lieu chez l’imprimeur Leblanc, sur ordonnance du Lieutenant civil. Cet imprimeur participait, avec d’autres, à une réimpression du Jugement et Censure. Ses formes sont brisées, et deux cent cinquante feuilles imprimées lui sont confisquées. Officiellement, cette saisie a été réalisée à la demande de l’auteur, Ogier. La raison avancée est que l’édition de Leblanc serait une contrefaçon. Pourtant, la version de l’imprimeur diffère. Il affirme avoir été chargé d’une partie de l’impression avec le consentement de l’auteur. Pour Antoine Adam45, la raison véritable de la saisie serait une intervention de Molé, qui aurait demandé à Ogier de mettre fin à sa querelle avec le père Garasse ; le prieur aurait obtempéré en arrêtant cette seconde édition.

      Le jésuite utilise les circonstances troubles qui entourent la parution de cette seconde édition pour tenter de discréditer le livre et son auteur, jusque-là anonyme : dans les pièces liminaires de son Apologie, il fait en effet figurer, juste avant de présenter son propre privilège et ses approbations, une « Copie de l’extraict des Registres de la Chambre Civile du Chastellet de Paris, du Mercredy 29. Novembre, mil six cens vingt-trois ». Ce document