" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Группа авторов
Издательство: Bookwire
Серия: Biblio 17
Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 9783823302285
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      Verra que vous croyez la promesse accomplie

      Qui vous donna l’espoir de l’hymen de Clélie,

      Très humble Serviteur à Votre Seigneurie.

      « Outre le fait qu’il traduise métaphoriquement l’attitude de Gorgibus, ce type d’effet d’identité dans la reprise des termes séduit le spectateur par sa dimension ludique », commente Gabriel Conesa. L’effet permet de confronter plaisamment deux niveaux de langage et deux tonalités en parodiant les poncifs du discours amoureux. Ce type de « répétition qui joint l’identité de la forme à la diversité du contenu », explique Jacques Scherer,

      peut mettre en relief l’attitude antithétique de deux personnages qui s’opposent sur un même problème en employant des termes identiques ou analogues, précisément pour mieux faire ressortir leur opposition. […] La grande scène entre Rodrigue et Chimène dans Le Cid de Corneille est pleine de répétitions de ce type. […] Rodrigue répète des vers entiers de Chimène.45

      À cet égard, changer les pronoms personnels et inverser les rôles, c’est ce que se contente de faire le « sot » mis à l’honneur dans Le Songe du resveur, Donneau de Visé, dans La Cocue imaginaire, publiée deux jours après le Sganarelle ou Le Cocu imaginaire piraté si l’on en croit l’achevé d’imprimer du 14 août 1660 :

      De plus, l’on a fait la Cocuë

      Imaginaire, dont un sot,

      A prix avec soin mot à mot,

      L’expression et la matiere

      Dans le Cocu du sieur Moliere,

      Dont chacun fut fort estonné,

      Et le retournant, cet infâme,

      Pour un homme a mis une femme.46

      Dans ce « parfait plagiat47 » du Cocu, Donneau de Visé ne se livrerait-il pas à un exercice de « répétition moliéresque » avant la lettre mais à grande échelle ? L’attention que Jacques Scherer accorde à la « répétition moliéresque » dans La Dramaturgie classique en France est patente, Molière étant le seul auteur à l’honneur dans les « Quelques définitions » des « termes essentiels de la dramaturgie classique » des Appendices48.

      Le procédé de la « répétition qui joint l’identité de la forme à la diversité du contenu » reste courant chez Molière, qui y recourt avec succès même dans un registre soutenu et sait lui conférer une ampleur remarquable. Il structure par exemple sur plus de quatre-vingts vers l’affrontement de la coquette Célimène et de la fausse prude Arsinoé dans Le Misanthrope, affrontement construit sur l’échange d’un « avis profitable » dont Célimène emprunte le quatrain conclusif à celui que vient de lui infliger Arsinoé en n’en modifiant que deux mots :

      ARSINOÉ

      Madame, je vous crois l’Âme trop raisonnable,

      Pour ne pas prendre bien, cet avis profitable ;

      Et pour l’attribuer qu’aux mouvements secrets

      D’un zèle qui m’attache à tous vos intérêts.

      CÉLIMÈNE

      […]

      Madame, je vous crois, aussi, trop raisonnable,

      Pour ne pas prendre bien, cet avis profitable,

      Et pour l’attribuer qu’aux mouvements secrets,

      D’un zèle qui m’attache à tous vos intérêts.49

      Pour ce qui concerne une pièce souvent jugée moins sérieuse, Jacques Scherer en analyse une occurrence montrant l’opposition entre Harpagon et sa fille Élise dans L’Avare50 et note :

      Les répétitions verbales sont en outre accusées par les gestes symétriques des acteurs : sur ces dix couples de répliques, quatre sont accompagnées de révérences que fait Élise à son père, et qu’Harpagon lui rend ironiquement.

      Il était tentant, en effet, de souligner par des gestes l’opposition entre les idées que révèle cette forme de répétition. Mais l’usage de gestes dans ces circonstances ne pouvait guère sortir du domaine de la comédie.51

      Encore une fois, l’argument de la scène 23 de Sganarelle ne dit rien de l’échange symétrique entre Lélie et Gorgibus, comme si l’annotateur, pourtant attentif dans l’argument de la scène 6 aux « postures de Sganarelle52 », n’avait pas jugé la gestuelle des personnages mémorable ou digne de mention. Une autre raison tient peut-être à ce que le caractère comique ne provient pas uniquement du couplage dialogue / gestuelle, mais de l’effet de sens produit par une sorte de dialogue voulu par Molière entre ses vers et ceux de certaines des pièces plus sérieuses et bien connues du public représentées en première partie de soirée. Selon le Registre de La Grange53, la création du Cocu imaginaire a lieu le vendredi 28 mai 1660 en seconde partie de la tragicomédie Venceslas de Rotrou, où

      le vieux roi Venceslas veut abdiquer pour sauver la vie de son fils Ladislas :

      Sans peine je descends de ce degré suprême :

      J’aime mieux conserver un fils qu’un diadème.

      Ladislas refuse, et dit à son père :

      Sans peine je renonce à ce degré suprême :

      Abandonnez plutôt un fils qu’un diadème.54

      L’effet comique généré par l’échange répétitif du Cocu s’explique aussi en partie par le jeu de concomitance entre le texte souvent tragique, tragicomique ou sérieux de la pièce de la première partie et celui de la petite comédie de la seconde partie, petite comédie qui parodie la tonalité sérieuse et, ce faisant, s’établit comme son égale avec une évidence aussi discrète que plaisante. Certes, le Cocu imaginaire ne suivra pas toujours une pièce de l’envergure de Venceslas ou bien de la tragédie Nicomède, comme à la deuxième représentation, car il est aussi par la suite associé à une autre comédie, y compris de Molière ou de Donneau de Visé, selon le Registre de La Grange55. Cela dit, l’exemple des répétitions contenues dans LeCocu imaginaire après celles de Venceslas permet d’entrevoir comment le comique de Molière pouvait tirer parti des exigences et des conditions matérielles de la programmation dans son théâtre pour instaurer une sorte de dynamique d’émulation entre ses textes et les grands textes du répertoire de l’époque, dynamique qui confère une subtile unité à la programmation. L’auteur Molière travaille pour le comédien Molière, mais aussi pour le directeur de théâtre Molière.

      En d’autres termes, Le Cocu imaginaire ne se distingue pas uniquement par son comique « gestueux », mais aussi par l’élégance d’un langage poétique qui ne déroge pas à celui des genres sérieux – ce qu’ont bien remarqué l’annotateur pirate et, plus récemment, Patrick Dandrey ou Jean de Guardia – et qui leur répond, se hissant de ce fait à leur niveau. L’hypothèse d’un tel phénomène d’écho entre les grands textes du répertoire et les élégants petits textes moliéresques converge avec celle, proposée dans Les Réécritures de Molière par lui-même, de l’élaboration d’un « méta-texte » scénique :

      […] l’auteur, en portant sur la scène sa propre œuvre, construirait un méta-texte, un commentaire destiné à faire étinceler le joyau tout juste taillé. Si l’on accepte de considérer Molière comme « l’inventeur de la mise en scène », [on] peut alors penser qu’une mise en scène achevée constituerait une explication de texte et se devrait de donner naissance à un nouveau texte fondé sur les précédents.56

      Si l’annotateur pirate ne dit rien de ce jeu d’émulation poétique entre les textes de Molière et les grands textes du répertoire, c’est peut-être parce que cet esprit de compétition tacite était simplement la norme dans les théâtres concurrents