" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Группа авторов
Издательство: Bookwire
Серия: Biblio 17
Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 9783823302285
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sa préface à l’Arlequin comédien de Laurent Bordelon (1691) :

      L’auteur de cet ouvrage ne l’avait point fait pour le donner au public, mais seulement pour divertir honnêtement son esprit dans ses heures de récréation et de repos après ses études et ses occupations sérieuses : aussi ai-je eu bien de la peine à obtenir de lui la permission de le faire imprimer.12

      Les préfaces auctoriales développent également ce motif en évoquant le caractère forcé de la publication, à laquelle ils ont été contraints13, et en déléguant le souci des aspects matériels au libraire, comme le fait Rotrou : « le soin de te donner mes pièces correctes doit être celui de mes libraires14 ». C’est donc au libraire que reviennent l’initiative de la publication et la transformation de l’œuvre poétique en un produit proposé à la vente. Le libraire apparaît d’abord comme celui qui rend le texte public, qui le met à la disposition du public15 :

      comme la profession que je fais m’oblige de ne pas profiter seul d’un bien qui peut être utile et agréable à plusieurs ; aussitôt que j’en ai été le maître, j’ai cru que je le devais donner au public […].16

      Puisque c’est la nature des belles choses, que pour être utiles, elles doivent être communiquées, j’ai cru qu’il serait dommage que cette pièce ne fût point mise au jour.17

      Deux champs lexicaux entrent ici en concurrence : d’un côté, celui du don, qui continue à entretenir la définition de la pratique des Belles-Lettres comme une activité noble et désintéressée (le libraire fait ainsi au public « un présent », qui appelle sa « reconnaissance »), et d’un autre côté, celui du commerce, qui introduit les enjeux économiques du marché éditorial. L’association de ces deux discours est particulièrement frappante dans l’avis de Pierre Baudouin à L’Intrigue des carrosses à cinq sous de Chevalier, où le libraire invite le lecteur à lui exprimer sa « reconnaissance pour le zèle qu[‘il] fait paraître pour [s]on contentement » en « précipit[ant] le débit de tous les exemplaires18 ». Face au poète désintéressé, le libraire campe généralement l’homme d’affaires, qui fait le « compte » de ses « avances », de sa « dépense » et vise le « profit », et le technicien de la publication, comptant les « main[s] de papier » et prompt à « faire rouler la presse19 ».

      Auteurs et libraires ne sont cependant pas les seuls personnages qui comptent sur cette scène éditoriale où « la mode est à présent des pièces de théâtre20 ». La célèbre affirmation du libraire mis en scène par Corneille dans La Galerie du Palais suggère que le théâtre est devenu un marché en pleine expansion, qui répond à une demande croissante du public. Les préfaces composées par les libraires mettent aussi en scène cette autre instance essentielle qu’est le public : là où le poète prétend n’écrire que pour sa propre satisfaction, le libraire répond aux attentes du lecteur, qui est aussi un consommateur. La satisfaction de la demande du public apparaît ainsi comme la principale justification de la publication :

      Cette pièce ayant toujours reçu au théâtre beaucoup d’approbation, j’ai cru obliger sensiblement les personnes qui aiment ces ouvrages, de leur en donner une édition plus correcte que toutes celles qui l’ont précédées, et j’ai cru d’autant plus l’obliger que cette pièce est très rare, et qu’il s’en fait tous les jours une recherche très exacte […].21

      J’ai cru, Monsieur, que je ne devais pas laisser échapper une occasion de satisfaire aux lois que je m’étais imposées, et que tous les gens d’esprit demandant tous les jours cette pièce, pour avoir le plaisir de la lecture comme ils ont eu celui de la représentation, ils seraient bien aises de rencontrer votre nom à la tête […].22

      Quoique j’en sois maintenant possesseur, je ne me fusse point hâté de mettre cette comédie sous la presse sans la juste impatience que témoigne ce qu’il y a d’honnêtes gens dans Paris.23

      Comme les comédiens, qui doivent remplir le théâtre pour gagner leur vie, les libraires se montrent attentifs aux aspects matériels et économiques de la diffusion du théâtre et remplissent une fonction d’intermédiaire entre le poète et le public. Le paratexte dramatique invite ainsi à considérer la publication comme une seconde représentation.

      La publication imprimée, une seconde représentation

      La relation du texte dramatique avec son public est toujours médiatisée. Le paratexte théâtral met en relief la participation des intermédiaires à l’élaboration du sens1. La spécificité de l’œuvre dramatique est de s’offrir à deux médiatisations successives : d’abord représentée sur scène par les comédiens, elle est ensuite imprimée et vendue par le libraire.

      Contrairement à ce que suggèrent certains auteurs, la publication ne donne pas un accès direct à l’œuvre originale, mais constitue une autre forme de transposition, susceptible des mêmes défauts que la représentation. De nombreux auteurs se plaignent ainsi de la déformation, voire de la mutilation, que leur texte a subie lors de l’impression par des libraires peu scrupuleux. Les termes très forts employés par Alexandre Hardy, qui craint que son œuvre ne soit « démembrée » par les fautes d’impression2, ou par Corneille, qui se plaint que ces mêmes erreurs aient « changé » et « déguisé » L’Illusion comique au point qu’elle en soit devenue « méconnaissable3 », ne sont pas sans faire écho aux termes tout aussi violents que l’abbé d’Aubignac inspire à Targa pour se plaindre du jeu des comédiens, accusés d’avoir « défiguré » La Pucelle d’Orléans, alors que l’édition prétend au contraire présenter le texte « dans son état naturel et sous ses propres ornements4 ». Ces protestations font apparaître la fragilité de la figure auctoriale au théâtre, en concurrence avec l’autorité des comédiens à la scène et avec celle des libraires dans le livre. L’auteur court d’ailleurs le risque d’être tout simplement court-circuité par ces deux instances, comme Rotrou s’en inquiète dans la préface de La Bague de l’oubli : « tous les comédiens de la campagne en ont des copies, et beaucoup se sont vantés qu’ils en obligeraient un imprimeur5 ».

      Comment la publication peut-elle transformer un texte ? Les préfaces livrent là encore des informations intéressantes sur les aspects concrets de la mise en texte du théâtre. Parmi les premiers éléments accrochant le regard sur l’étal du libraire, le titre constitue évidemment un lieu stratégique. Dans la préface du Véritable Capitan Matamore, André Mareschal commente ainsi cette « distinction de libraire » qui consiste à utiliser l’adjectif « vrai » ou « véritable » pour distinguer plusieurs pièces portant un titre similaire6. Vient ensuite le nom de l’auteur, qui joue un rôle croissant dans la publication, comme le suggère la remarque de Vion d’Alibray, qui sort de l’anonymat en 1634 avec La Pompe funèbre :

      Mais puisque je ne me cachais que pour le profit du libraire, et afin qu’il pût faire passer pour auteur de ce que je lui donnais un plus habile que moi, maintenant qu’il m’a témoigné que quelques-uns rebutaient comme mauvais les livres que personne n’avouait, n’impute pas à une vaine ambition si j’ai souffert qu’il contentât par là, quoique inutilement, son envie.7

      La marchandisation du nom d’auteur concerne particulièrement les auteurs à succès comme Molière. Si les libraires français ne vont pas jusqu’à attribuer massivement à Molière les pièces d’autres auteurs comme le font les éditeurs espagnols, publiant tout ce qui leur passe sous la main sous le nom du dramaturge le plus en vogue, ils exploitent néanmoins sa renommée. Toujours prompt à tirer profit de la conjoncture littéraire, Donneau de Visé publie en 1660 une Cocue imaginaire, présentée comme la version féminine de la pièce de Molière. Le libraire Jean Ribou, avec qui Donneau vient précisément de publier une édition pirate du Cocu imaginaire, en fait la promotion en invitant le lecteur à acheter ensemble les deux pièces :

      L’une est la Cocue imaginaire, qui peut servir de regard au Cocu imaginaire, de l’Illustre Monsieur de Molière, puisque l’on voit dans l’une toutes les raisons qu’un homme