Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5. Charles Athanase Walckenaer. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Charles Athanase Walckenaer
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Жанр произведения: Биографии и Мемуары
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nouvelle: «Nous trouvons l'évêque toujours habile et toujours prenant les bons partis; il voit que vous êtes les plus forts et que vous nommez M. de Buous, et il nomme M. de Buous. Nous voulons tous que présentement vous changiez de style et que vous soyez aussi modestes dans la victoire que fiers dans le combat134.» Ce conseil dut être suivi forcément, car des ordres du roi parvinrent à M. de Grignan de s'abstenir de tout sentiment hostile envers l'évêque. «Voilà donc votre paix toute faite, dit madame de Sévigné. Je vous conseille de vous comporter selon le temps; et puisque le roi veut que vous soyez bien avec l'évêque, il faut lui obéir135

      Les états de Bretagne se tinrent cette année à Vitré et en même temps que l'assemblée de Provence. Madame de Sévigné n'y alla point; mais elle fut parfaitement instruite de ce qui s'y passa. Ils s'ouvrirent le 24 novembre 1673, sous la présidence de la Trémouille, prince de Tarente, baron de Vitré, et ils ne furent terminés que le 10 janvier 1674. Ils ne présentèrent pas un spectacle aussi animé ni aussi brillant que ceux où, deux ans avant, madame de Sévigné s'était trouvée; mais ils ont un intérêt historique plus puissant. On y vit les derniers efforts des Bretons pour conserver contre les envahisseurs du despotisme les restes de leurs libertés, en vain garanties par les traités du double mariage d'Anne de Bretagne. Les demandes de subsides ayant donné lieu à des objections de la part de deux députés, Saint-Aubin Treslon et Des Clos de Sauvage (les noms de ces hommes courageux méritent d'être rappelés), le duc de Chaulnes, gouverneur, les fit arrêter. Six députés de chaque ordre furent envoyés au gouverneur pour réclamer contre cette mesure. Le duc de Chaulnes répondit qu'il n'avait fait qu'exécuter les ordres du roi. Mais la princesse de Tarente intervint auprès de M. de Chaulnes, et les deux députés furent relâchés. Douze députés furent délégués par les états pour aller rendre grâces à la princesse136. C'est cette affaire qui fait dire à madame de Sévigné: «il y a eu bien du bruit à nos états de Bretagne; vous êtes plus sages que nous137.» Ce qui se passa à ces états de plus important fut la révocation de plusieurs édits oppresseurs, depuis longtemps demandée, et en même temps le vote obligé d'une somme égale au don gratuit, pour suppléer au déficit que l'abolition des impôts perçus en vertu des édits occasionnait dans le trésor de l'État. Ainsi plaisir et chagrin en même temps; c'était une grâce vendue, et non accordée. La chose est très-exactement racontée dans une lettre de madame de Sévigné à sa fille.

      «A propos, on a révoqué tous les édits qui nous étranglaient dans notre province. Le jour que M. de Chaulnes l'annonça, ce fut un cri de vive le roi! qui fit pleurer tous les états; chacun s'embrassait, on était hors de soi; on ordonna un Te Deum, des feux de joie et des remercîments publics à M. de Chaulnes. Mais savez-vous ce que nous donnons au roi? 2,600,000 livres, et autant de don gratuit. C'est justement 5,200,000 livres. Que dites-vous de cette petite somme? Vous pouvez juger par là la grâce qu'on nous a faite de nous ôter les édits138.» Madame de Sévigné ne fait pas mention des gratifications, parce qu'elles étaient les mêmes tous les ans: 100,000 fr. au duc de Chaulnes, 20,000 fr. pour ses gardes, 20,000 fr. au marquis de Lavardin, et ainsi de suite aux ministres de Pomponne, à Louvois, à Colbert, à Seignelay, son fils, et à leurs commis. Le marquis de Lavardin, comme lieutenant général, eut 50,000 livres; mais il refusa de toucher la somme de 10,000 fr. qui lui était accordée pour l'ouverture des états, donnant en cela l'exemple d'un noble désintéressement qui ne fut pas imité par le prince de Tarente, lequel reçut 32,000 fr. pour sa présidence, et 15,000 fr. pour sa femme. Cette province était accablée; un jeune membre de l'assemblée des états, qui sans doute n'était que l'organe de beaucoup d'autres, le marquis de Coëtquen, en fit aigrement la remarque à d'Haroüis, le trésorier de la province. Pour ce fait, Coëtquen fut rappelé à Paris par sa grand'mère la duchesse de Rohan, et le duc de Chaulnes lui défendit de paraître aux états. Madame de Sévigné applaudit à cette mesure despotique, parce que d'Haroüis était son ami et son allié139. Cependant il est facile de s'apercevoir, par plusieurs passages de ses lettres pleines d'une ironie amère, qu'on a prise pour de l'indifférence et de l'insensibilité, qu'elle ressentait vivement la dureté du gouverneur son ami, envers la Bretagne. Le duc de Chaulnes pouvait tout se permettre; il s'était concilié la faveur du monarque par sa capacité, sa fermeté, sa vigilance. Peu après la tenue des états, il repoussa, avec les seules forces de la province, les ennemis qui avaient voulu faire une descente sur les côtes, et les força à s'éloigner de Belle-Isle, qu'ils voulaient assiéger140.

      CHAPITRE IV.

      1673-1674

      Madame de Sévigné retrouve son cousin Bussy à Paris.—Lettre de Bussy à madame de Sévigné.—Leur amitié s'était refroidie.—Bussy veut se réconcilier avec madame de la Baume.—Il avait un procès au conseil, qu'il gagna.—Il va voir madame de la Morésan.—Exemple de Martel, mis à la Bastille pour défaut de soumission.—Détails sur l'origine de la liaison de madame de Sévigné avec la marquise de Martel.—Effrayé par l'exemple de Martel, Bussy demande une nouvelle prolongation de séjour.—Il écrit au duc de Montausier, à madame de Thianges, pour qu'elle le réconcilie avec la Rochefoucauld.—Elle échoue dans cette négociation.—La duchesse de Longueville intercède pour Bussy auprès de Condé.—La colère de Condé contre Bussy subsiste.—Bussy écrit à madame de Sévigné une lettre pour être montrée à madame Scarron.—Madame de Sévigné va à Saint-Germain en Laye, et couche chez M. de la Rochefoucauld.—Billet de madame de Sévigné à Bussy, qui lui transmet la réponse faite par madame Scarron.—Bussy fait demander au roi une nouvelle prolongation de séjour.—Le refus en était connu de madame de Sévigné avant d'avoir été notifié à Bussy.—Bussy fait ses adieux à tout le monde, et reste à Paris caché.—Il va voir secrètement madame de Sévigné et madame de Grignan.—Il est visité par le duc de Saint-Aignan.—Deux entretiens du roi et du duc de Saint-Aignan.—Le roi permet à Bussy de rester encore trois semaines.—Il part, et retourne en Bourgogne.—Le roi en Franche-Comté fait venir la reine à Dijon.—Bussy écrit à MADEMOISELLE pour offrir son château à la reine et à elle.—A chaque victoire, Bussy adresse une lettre au roi.—La guerre de Franche-Comté s'achève, et Bussy n'obtient rien.

      Lorsque, à la fin du mois d'août 1673, madame de Sévigné, alors au château de Grignan, écrivait à Bussy: «Je me console de ne point vous voir à Bourbilly, puisque je vous verrai à Paris141,» elle croyait déjà son cousin dans la capitale. Il n'y arriva que le 16 septembre, et ce ne fut que lorsqu'il se trouvait menacé de ne pouvoir plus y rester qu'il répondit à cette lettre.

      Voici cette réponse, un peu énigmatique:

      «Paris, ce 10 octobre 1673.

      «Je viens de demander au roi plus de temps qu'il ne m'avait accordé pour faire ici mes affaires. Je crois qu'il m'en accordera. Je suis d'accord avec vous, madame, que la fortune est bien folle; et j'ai pris mon parti sur ce que sa persécution durera toute ma vie. Les grands chagrins même ne sont pas sus; et, comme je vous ai déjà mandé, ma raison m'a rendu fort tranquille. Faites comme moi, madame. Il vous est bien plus aisé, car le secret de vos peines est fort au-dessous du mien142

      On s'aperçoit facilement, d'après le ton et le ralentissement de leur correspondance, que l'amitié qui existait autrefois entre Bussy et sa cousine n'était plus la même. La susceptibilité orgueilleuse, le caractère vindicatif et l'immoralité de Bussy avaient considérablement refroidi cette chaleur de cœur que madame de Sévigné avait éprouvée pour son cousin. Les années seules l'auraient guérie d'une inclination qui, dans son jeune âge, n'avait pas été sans péril. Intimement liée avec tous ceux auxquels Bussy avait déplu et qui, ainsi qu'elle, brillaient à la cour et dans les hautes sphères de la société, madame de Sévigné devait souvent entendre des railleries sur ce courtisan émérite et disgracié, vivant solitairement


<p>134</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (24 décembre 1673), t. III, p. 273 et 274, édit. G.; t. III, p. 181, édit. M.

<p>135</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (12 janvier 1674), t. III, p. 302, édit. G.; t. III, p. 205, édit. M.—De Buous, qui fut l'objet de cette lutte, était le frère ou le proche parent du capitaine de vaisseau, sur lequel on peut consulter, ainsi que sur le marquis de Martel, la note du savant archiviste de la marine, M. Jal, dans les Mémoires de Villette, 1841, in-8o, p. 14.

<p>136</p>

Recueil de la tenue des états de Bretagne dans diverses villes de cette province, de 1619 à 1703, ms. de la Bibl. nation. (Bl.-Mant.), no 75, p. 357 et 363.

<p>137</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (18 décembre 1673), t. III, p. 265, édit. G.; t. III, p. 173, édit. M.

<p>138</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (1er janvier 1674), t. III, p. 287 et 295, éd. G.; t. III, p. 193 et 200, édit. M.—Recueil de la tenue des états de Bretagne, ms. de la Bibl. nation. (Bl.-Mant.), no 75, p. 365.

<p>139</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (8 décembre 1673), t. III, p. 255, 256, édit. G.; t. III, p. 165, 356, édit. M.—Voyez la 3e partie de ces Mémoires, p. 29; 4e partie, p. 29, 33.

<p>140</p>

Recueil des lettres pour servir d'éclaircissement à l'histoire militaire du règne de Louis XIV; Paris, 1760, in-12, t. II, p. 329, 335. Lettre du duc de Chaulnes à Louvois, datée d'Auray le 30 mai 1674.

<p>141</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (23 août 1673), t. III, p. 171 et 172, édit. G.; t. III, p. 97, édit. M.—Suite des Mémoires du comte DE BUSSY-RABUTIN, p. 41, ms. de l'Institut. (Dans ce ms., la lettre est datée du 27 août.)

<p>142</p>

Suite des Mémoires du comte DE BUSSY-RABUTIN, ms. de l'Institut, p. 42 verso.