Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5. Charles Athanase Walckenaer. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Charles Athanase Walckenaer
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Биографии и Мемуары
Год издания: 0
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      Bussy, qui connaissait l'influence que la Rochefoucauld et Marsillac avaient auprès du roi, de Condé et du duc d'Enghien, fit taire son orgueil, et s'adressa à madame de Sévigné; il la pria de faire en sorte, par madame de la Fayette, que le duc de la Rochefoucauld consentît à le voir, afin qu'ils pussent être ensemble sur de meilleurs termes.

      «Madame de Sévigné, dit Bussy dans ses Mémoires, s'en chargea; et, quatre ou cinq jours après, elle me dit que le duc de la Rochefoucauld avait répondu à son amie que, puisque avant que nous fussions brouillés nous ne nous voyions pas les uns les autres et que nous nous contentions de vivre honnêtement ensemble quand nous nous rencontrions, une plus grande liaison n'était pas nécessaire; que, pour lui, il serait très-aise de me rencontrer souvent, et qu'il se clouerait où je serais: ce furent ses propres termes.»—«Cette réponse, ajoute Bussy, me fit juger que j'aurais toujours à craindre de ce côté-là, et que je ne devais espérer de soutien que de la bonté du roi159

      Si Bussy faisait cette réflexion, c'est qu'en même temps qu'il avait fait des démarches pour se réconcilier avec la Rochefoucauld il en avait tenté auprès du prince de Condé qui avaient encore moins réussi. Comme c'était la princesse de Longueville qu'il avait blessée par ses écrits et ses discours, et qu'il connaissait les sentiments chrétiens qui l'avaient déjà portée à le protéger contre la colère du prince lorsque l'outrage était récent160, il jugea avec raison qu'elle interviendrait en sa faveur avec toute la chaleur qu'inspire la céleste charité aux âmes pénétrées de repentir. Il ne se trompait pas: la duchesse de Longueville fit de grands efforts pour calmer le ressentiment de Condé; elle ne put y parvenir. Elle fut obligée de lui annoncer par mademoiselle Desportes161, dont Bussy, pour cette négociation, avait réclamé le secours, que monsieur son frère ne voulait point pardonner, et que même il lui avait dit «qu'il ne souffrirait pas que Bussy fût sur le pavé de Paris.»—«Ce discours, dit Bussy, me surprit; et je répondis à mademoiselle Desportes qu'il n'appartenait qu'au roi de parler ainsi: elle en convint.»

      Bussy n'en fut que plus ardent à chercher des appuis contre une si puissante inimitié. Il savait que madame Scarron, dont l'influence auprès de madame de Montespan était connue, avait contre lui des préventions qui n'étaient que trop motivées; il écrivit à sa cousine pour la faire consentir à être son intermédiaire entre lui et cette gouvernante des enfants naturels du roi, avec laquelle il n'avait jamais eu de liaison ni de correspondance162.

      Madame de Sévigné reçut la lettre que Bussy lui écrivit à ce sujet au retour d'un voyage à Saint-Germain. Elle y était allée pour voir ces mêmes personnes si contraires à Bussy et pour elle si amicales. Voici ce qu'elle dit de ce voyage en écrivant à sa fille: «Je viens de Saint-Germain, où j'ai été deux jours avec madame de Coulanges et M. de la Rochefoucauld; nous logions chez lui. Nous fîmes, le soir, notre cour à la reine, qui me dit bien des choses obligeantes pour vous… Mais s'il fallait vous dire tous les bonjours, tous les compliments d'hommes et de femmes, vieux et jeunes, qui me parlèrent de vous, ce serait nommer quasi toute la cour. J'ai dîné avec madame de Louvois; il y avait presse à qui nous en donnerait. Je voulais revenir hier; on nous arrêta d'autorité pour souper chez M. de Marsillac, dans un appartement enchanté, avec madame de Thianges et madame Scarron, M. le Duc et M. de la Rochefoucauld, M. de Vivonne, et une musique céleste. Ce matin, nous sommes revenues163

      Ce fut deux jours après qu'elle reçut de Bussy la lettre suivante164:

LETTRE DE BUSSY A MADAME DE SÉVIGNÉ

      «Paris, le 13 décembre 1673.

      «Vous pouvez vous souvenir, madame, de la conversation que nous eûmes l'autre jour. Elle fut presque toute sur les gens qui pouvaient traverser mon retour; et quoique je pense que nous les ayons tous nommés, je ne crois pas que nous ayons parlé des voies dont ils se servent pour me nuire. Cependant j'en ai découvert quelques-unes depuis que je vous ai vue; et l'on m'a assuré, entre autres, que madame Scarron en était une. Je ne l'ai pas cru au point de n'en pas douter un peu; car, bien que je sache qu'elle est aimée des personnes qui ne m'aiment pas, je sais qu'elle est encore plus amie de la raison, et il n'en paraît pas à persécuter, par complaisance seulement, un homme de qualité, qui n'est pas sans mérite, accablé de disgrâces. Je sais bien que les gens d'honneur entrent et doivent entrer dans les ressentiments de leurs amis; mais quand ces ressentiments sont ou trop aigres ou poussés trop loin, il est (ce me semble) de la prudence de ceux qui agissent de sang-froid de modérer les passions de leurs amis et de leur faire entendre raison. La politique conseille ce que je vous dis, madame, et l'expérience apprend à ne pas croire que les choses sont toujours en même état. On l'a vu en moi; car enfin, quand je sortis de la Bastille, ma liberté surprit tout le monde. Le roi a commencé de me faire de petites grâces sur mon retour, dans un temps où personne ne les attendait; et sa bonté et ma patience me feront tôt ou tard recevoir de plus grandes faveurs. Il n'en faut pas douter, madame: les disgrâces ont leurs bornes comme les prospérités. Ne trouvez-vous donc pas qu'il est de la politique de ne pas outrer les haines et de ne pas désespérer les gens? Mais quand on se flatterait assez pour croire que le roi ne radoucira jamais pour moi, où est l'humanité? où est le christianisme? Je connais assez les courtisans, madame, pour savoir que ces sentiments-là sont très-faibles en eux; et moi-même, avant mes malheurs, je ne les avais guère. Mais je sais la générosité de madame Scarron, son honnêteté et sa vertu; et je suis persuadé que la corruption de la cour ne les gâtera jamais. Si je ne croyais ceci, je ne vous le dirais pas, car je ne suis point flatteur; et même je ne vous supplierais pas comme je fais, madame, de lui parler sur ce sujet; c'est l'estime que j'ai pour elle qui me fait souhaiter de lui être obligé, et croire qu'elle n'y aura pas de répugnance. Si elle craint l'amitié des malheureux, elle ne fera rien pour avoir la mienne; mais si l'amitié de l'homme du monde le plus reconnaissant (et à qui il ne manquait que la mauvaise fortune pour avoir assez de vertu) lui est considérable, elle voudra bien me faire plaisir.»

      A cette lettre verbeuse, mais assez adroite, madame Scarron fit une prudente et courte réponse, contenue dans le billet suivant de madame de Sévigné à Bussy165.

BILLET DE MADAME DE SÉVIGNÉ A BUSSY

      «A Paris, ce 15 décembre 1673.

      «Je fis voir hier soir à madame Scarron la lettre que vous m'avez écrite. Elle m'a dit n'avoir jamais entendu nommer votre nom en mauvaise part. Du reste, elle a très-bien reçu votre civilité. Elle ne trouvera jamais occasion de vous servir qu'elle ne le fasse. Elle connaît votre mérite et plaint vos malheurs.»

      Dans une longue lettre à sa fille166, écrite le même jour que le billet qu'on vient de lire, madame de Sévigné annonce très-laconiquement, en ces termes, que Bussy va quitter Paris: «Bussy a ordre de retourner en Bourgogne. Il n'a pas fait la paix avec ses principaux ennemis.»

      La permission accordée à Bussy de prolonger son séjour à Paris finissait le jour même où madame de Sévigné écrivait le billet que nous avons transcrit167. Mais Bussy avait, dès le 2 décembre, écrit au roi et à M. de Pomponne pour obtenir une nouvelle prolongation de séjour, et ces lettres furent envoyées à Saint-Germain en Laye, où était la cour. Ce ne fut que par une lettre de M. de Pomponne, datée de Saint-Germain le 17 décembre, que Bussy fut informé du refus du roi168. Madame de Sévigné, par son intimité avec de Pomponne, savait donc avant Bussy que la permission ne lui serait pas accordée; et on voit, d'après la suite des Mémoires de celui-ci, qu'elle ne lui en a rien dit. On n'est jamais pressé d'annoncer une mauvaise nouvelle à un ami. Ce refus affligea beaucoup Bussy, et le mit dans une grande perplexité. Ses affaires n'étaient point terminées, ses espérances de rentrer en grâce s'évanouissaient, et il craignait de déplaire au roi et de s'attirer sa colère s'il prolongeait son


<p>159</p>

Suite des Mémoires, etc., ms. de l'Inst., p. 50.

<p>160</p>

VILLEFORT, Vie de madame de Longueville, Amsterdam, 1739, in-12, t. II, p. 161, ou Paris, 1738, in-8o, p. 169; et 4e partie de ces Mémoires, p. 351 et 352.

<p>161</p>

Bussy dit: «Mademoiselle Desportes, ma bonne amie, fille d'une rare vertu et d'un mérite extraordinaire.»

<p>162</p>

Voyez ci-après, chap. VIII.

<p>163</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (11 décembre 1673), t. III, p. 257, 258, édit. G.; t. III, p. 167, édit. M.—Sur les anciens plans gravés de Saint-Germain en Laye comme sur ceux de Fontainebleau, on trouve l'emplacement de tous ces hôtels des grands de la cour, et entre autres de ceux de Condé, de la Rochefoucauld et de Vivonne.—Conférez 1re partie, p. 365, 483; IVe, p. 273.

<p>164</p>

Suite des Mémoires de BUSSY-RABUTIN, ms. de l'Inst., in-4o, p. 51.

<p>165</p>

Suite des Mémoires de BUSSY-RABUTIN (ms. de l'Inst.), p. 52 verso. Ce billet de madame de Sévigné est inédit et a échappé à ses soigneux éditeurs.

<p>166</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (15 décembre 1673), t. III, p. 265, édit. G.; t. III, p. 173, édit. M.

<p>167</p>

Suite des Mémoires (ms. de l'Inst.), p. 48, 49, 50 et 52 verso.

<p>168</p>

Suite des Mémoires du comte DE BUSSY-RABUTIN, p. 48 et 50.—Lettres de Bussy au roi et à M. de Pomponne, Paris, ce 2 décembre 1673, p. 54 et 55.—Lettre de Pomponne à Bussy, Saint-Germain en Laye, le 17 décembre 1673.