La seule lettre que madame de Sévigné reçut de Bussy pendant son voyage fut celle que nous venons de transcrire; mais elle eut de ses nouvelles par d'autres personnes, car de Bourbilly elle écrit à sa fille: «Bussy est toujours à Paris, faisant tous les jours des réconciliations; il a commencé par madame de la Baume. Ce brouillon de temps, qui change tout, changera peut-être sa fortune143.»
Madame de Sévigné était mal informée; cette réconciliation qu'elle redoutait n'eut pas lieu. On en avait parlé dans le monde. Bussy voulait se faire la réputation d'un homme à qui on devait pardonner toutes ses fautes, parce que lui, disait-il, n'éprouvait aucun ressentiment contre ceux qui avaient eu des torts envers lui; et il entrait dans ses desseins de ne point accréditer ni démentir le bruit de sa réconciliation avec madame de la Baume. Dès son arrivée à Paris, il s'empressa d'aller rendre visite à madame de Thianges, «sa parente et sa bonne amie.»—«Elle me demanda, dit-il, s'il était vrai que je fusse raccommodé avec madame de la Baume. Je lui dis qu'elle m'avait fait faire des honnêtetés, auxquelles j'avais répondu de même, et que j'étais résolu non-seulement de recevoir les amitiés que me pourraient faire ceux qui m'avaient fait du mal, mais encore de leur faire des avances144.»
Le principal motif du séjour de Bussy à Paris était une contestation qu'il avait au conseil pour une somme de 60,000 fr. qu'on lui disputait. Il gagna son procès145.
Il est bien vrai qu'il fit des tentatives de réconciliation; mais il ne réussit dans aucune, comme le sut bientôt madame de Sévigné, dont les secours ne lui faillirent point en cette circonstance. Quand Bussy écrivait à sa cousine, l'époque de la permission qu'il avait obtenue pour rester dans la capitale était expirée depuis deux jours, et il avait demandé à M. de Pomponne une prolongation de séjour, qui lui fut accordée146.
Depuis un mois qu'il était à Paris, il avait employé son temps aux projets de son ambition plus encore qu'au profit de ses affaires. Il n'ignorait pas que le roi, bien disposé pour lui par le duc de Saint-Aignan, consentirait volontiers à faire cesser son exil s'il pouvait se réconcilier avec Condé et empêcher Louvois de lui être contraire. Ce fut de ce côté qu'il dirigea d'abord ses efforts. Lorsque la marquise de la Baume eut la perfidie de laisser publier le manuscrit des Amours des Gaules qu'il lui avait confié, il rompit entièrement avec elle, et il ne parlait de ses attraits et de sa personne qu'avec ce dédain et ce dénigrement qu'aucune femme ne peut pardonner147. Depuis il ne chercha point à renouer une liaison avec une femme qu'il n'aimait pas et qu'il ne pouvait estimer; mais, comme toujours, il s'efforça de profiter de ses amitiés de femmes pour se réconcilier avec ceux qui lui étaient contraires. Il raconte dans ses Mémoires qu'il était depuis trois ans assez bien vu de madame de la Morésan, qui, par ses attraits, son esprit caustique et son caractère décidé et tranchant, par son alliance avec son beau-frère Dufresnoy, le principal commis de Louvois, était recherchée et redoutée148. Le jour où Bussy l'alla voir149, il y trouva Dufresnoy. «La conversation, dit-il, avec madame de la Morésan et moi se passa à nous renouveler des assurances d'amitié. Comme j'y fus jusqu'à l'entrée de la nuit, il y vint beaucoup de gens, et entre autres mesdames de la Baume et Louvois; j'en sortis bientôt après, ne pouvant soutenir la présence de gens que j'aimais si peu150.» Lorsque Bussy écrivait à Paris ce fragment de ses Mémoires, madame de Sévigné s'y trouvait aussi; elle dut donc être dissuadée par lui de l'opinion qu'elle avait eue de sa réconciliation avec madame de la Baume.
Bussy s'était empressé de demander une nouvelle permission pour continuer son séjour à Paris. Il avait alors un exemple récent du danger que l'on courait, sous un roi tel que Louis XIV, de ne pas se soumettre aux ordres de ses supérieurs. Le marquis de Martel, vieil officier de marine, avait passé par tous les grades avant de devenir lieutenant général à la mer; il trouva dur d'être obligé d'obéir au comte d'Estrées, vice-amiral d'une plus grande noblesse, mais moins ancien que lui comme officier, et qui avait gagné son grade de lieutenant général dans le service de terre. D'Estrées transmit à Martel, par écrit, un ordre sous une forme qui ne convenait pas à ce dernier151; il ne refusait pas d'obéir à l'ordre, mais il voulait que la rédaction en fût changée. Pour ce léger tort, il fut arrêté par ordre du roi le 31 octobre, et mis à la Bastille. Cette rigueur dut faire de la peine à madame de Sévigné, qui était liée avec la femme du marquis de Martel depuis que celui-ci avait donné, sur le beau et célèbre Royal-Louis, vaisseau qu'il commandait152, une fête à madame de Grignan lorsqu'elle alla voir le fort de Toulon vers le milieu du mois de mai 1672. La femme du lieutenant général gouverneur de Provence parut si belle alors, dansa si bien, que tous les jeunes officiers invités à cette fête en conservèrent un long souvenir, et que, plusieurs années après, un d'eux citait madame de Grignan comme le modèle le plus parfait de grâce et de légèreté dans la danse, en présence de madame de Sévigné, qu'il ne connaissait pas et dont la satisfaction et l'émotion furent grandes153. La prolongation de séjour accordée à Bussy, par l'entremise de M. de Pomponne154, était de deux mois; elle lui fit concevoir l'espérance de pouvoir obtenir durant ce temps, par ses démarches, la fin de son exil et la permission de paraître à la cour; puis enfin d'avoir un commandement, et de prendre sa part de succès et de gloire dans les guerres qui agrandissaient la France. C'était un noble orgueil, un rêve chéri auquel Bussy ne put jamais renoncer et qui, ne s'étant point réalisé, fit le malheur de sa vie.
Il écrivit d'abord au duc de Montausier pour demander d'être présenté au Dauphin et de le voir: «curiosité, dit-il, que j'aurais, quand je serais du Japon.» Il reçut une réponse polie et presque affectueuse155. Pendant le temps de son séjour à Paris, Bussy vit encore madame de Thianges; elle lui apprit qu'on avait rapporté de lui de mauvais propos qui entachaient la valeur du prince de Marsillac lors du fameux passage du Rhin à Tholus. Il protesta à madame de Thianges que c'était sans doute une fausseté et une perfidie de mademoiselle de Montalais, «parce que, disait-il, il n'y a qu'elle au monde assez méchante et assez folle pour inventer une chose dont la fausseté est aussi facile à découvrir que celle-là.» Bussy avait été très-bien avec cette spirituelle et intrigante sœur de madame de Marans; mais depuis peu (Montalais n'était plus jeune) il s'était brouillé avec elle156. Après cet entretien, Bussy écrivit une longue lettre à madame de Thianges pour se disculper des torts qu'on lui imputait envers la Rochefoucauld et son fils Marsillac. Il n'y a personne en France, selon Bussy, qui puisse rendre de plus assurés témoignages que lui «de la valeur du père et de celle du fils. Ils ont été blessés eu deux occasions où j'avais l'honneur de commander; l'une à Mardick et l'autre à Valenciennes157.» Il paraît que le duc de la Rochefoucauld fut peu touché de lire un certificat de service militaire,