Il est impossible de prendre plus de précautions que je n'en ai pris contre les Vénitiens, dont je connais la profonde duplicité. Je suis maître de toutes leurs forteresses, et à l'heure où vous lirez cette lettre, je le serai tellement de toute la terre-ferme, qu'il n'y aura d'autre chose à faire que de prendre un parti.
Pendant l'armistice, il y a eu une escarmouche fort vive entre le chef de brigade Dagobert et la levée en masse de la Croatie.
Les ennemis étaient parvenus à Trente, que je n'ai jamais gardé sérieusement, parce que, par sa position, il est hors du système de la guerre; mais tout a été rétabli dans l'état ordinaire.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Palma-Nova, le 12 floréal an 5 (1er mai 1797).
Au directoire exécutif.
Je reçois à l'instant des nouvelles de la république cispadane. Les choix ont été fort mauvais. Les prêtres ont influencé toutes les élections, des cardinaux et des évêques sont venus exprès de Rome pour diriger les choix du peuple; ils voient bien que leur salut ne dépend plus que de leur influence dans le corps législatif.
La république cispadane, comme la Lombardie, a besoin d'un gouvernement provisoire pendant trois ou quatre ans, pendant lesquels on cherchera à diminuer l'influence des prêtres: sans quoi, vous n'auriez rien fait en leur donnant la liberté. Dans les villages, ils dictent des listes et influencent toutes les élections; mais, conformément à vos ordres et aux traités, je vais commencer par réunir sous un même gouvernement provisoire la Lombardie et la Cispadane: après quoi, je prendrai les mesures qui se concilient avec leurs moeurs, pour y diminuer l'influence des prêtres et éclairer l'opinion.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Palma-Nova, le 13 floréal an 5 (2 mai 1797).
Au chef de l'état-major.
Je vous fais passer, citoyen général, un manifeste relatif aux Vénitiens; vous voudrez bien faire en sorte qu'il y en ait mille exemplaires imprimés dans la nuit: vous en enverrez une copie à la congrégation de Milan, pour qu'elle le fasse traduire en italien et qu'elle le fasse imprimer et répandre partout.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Palma-Nova, le 15 floréal an 5 (2 mai 1797).
Bonaparte, général en chef de l'armée d'Italie.
MANIFESTE.
Pendant que l'armée française est engagée dans les gorges de la Styrie et laisse loin derrière elle l'Italie et les principaux établissemens de l'armée, où il ne reste qu'un petit nombre de bataillons, voici la conduite que tient le gouvernement de Venise:
1°. Il profite de la semaine sainte pour armer quarante mille paysans, y joint dix régimens d'Esclavons, les organise en différens corps d'armée et les poste aux différens points, pour intercepter toute communication entre l'armée et ses derrières.
2°. Des commissaires extraordinaires, des fusils, des munitions de toute espèce, une grande quantité de canons sortent de Venise même pour achever l'organisation des différens corps d'armée.
3°. On fait arrêter en terre-ferme ceux qui nous ont accueillis; on comble de bienfaits et de toute la confiance du gouvernement tous ceux en qui on connaît une haine furibonde contre le nom français, et spécialement les quatorze conspirateurs de Verone que le provéditeur Prioli avait fait arrêter il y a trois mois, comme ayant médité l'égorgement des Français.
4°. Sur les places, dans les cafés et autres lieux publics de Venise, on insulte et on accable de mauvais traitemens tous les Français, les dénommant du nom injurieux de jacobins, de régicides, d'athées: les Français doivent sortir de Venise, et peu après il leur est même défendu d'y entrer.
5°. On ordonne au peuple de Padoue, de Vicence, de Verone, de courir aux armes, de seconder les différens corps d'armée et de commencer enfin ces nouvelles Vêpres siciliennes. Il appartient au Lion de Saint-Marc, disent les officiers vénitiens, de vérifier le proverbe, que l'Italie est le tombeau des Français.
6°. Les prêtres en chaire prêchent la croisade, et les prêtres, dans l'état de Venise, ne disent jamais que ce que veut le gouvernement. Des pamphlets, des proclamations perfides, des lettres anonymes sont imprimés dans les différentes villes et commencent à faire fermenter toutes les têtes; et dans un état où la liberté de la presse n'est pas permise, dans un gouvernement aussi craint que secrètement abhorré, les imprimeurs n'impriment, les auteurs ne composent que ce que veut le sénat.
7°. Tout sourit d'abord aux projets perfides du gouvernement; le sang français coule de toutes parts; sur toutes les routes on intercepte nos convois, nos courriers et tout ce qui tient à l'armée.
8°. À Padoue, un chef de bataillon et deux autres Français sont assassinés. À Castiglione de Mori, nos soldats sont désarmés et assassinés. Sur toutes les grandes routes de Mantoue à Legnago, de Cassano à Verone, nous avons plus de deux cents hommes assassinés.
9°. Deux bataillons français, voulant rejoindre l'armée, rencontrent à Chiari une division de l'armée vénitienne, qui veut s'opposer à leur passage; un combat s'engage et nos braves soldats se font passage en mettant en déroute ces perfides ennemis.
10°. À Valeggio il y a un autre combat; à Dezenzano, il faut encore se battre: les Français sont partout peu nombreux; mais ils savent bien qu'on ne compte pas le nombre des bataillons ennemis lorsqu'ils ne sont composés que d'assassins.
11°. La seconde fête de Pâques, au son de la cloche, tous les Français sont assassinés dans Verone. On ne respecte ni les malades dans les hôpitaux, ni ceux qui, en convalescence, se promènent dans les rues, et qui sont jetés dans l'Adige, ou meurent percés de mille coups de stylet: plus de quatre cents Français sont assassinés.
12°. Pendant huit jours, l'armée vénitienne assiège les trois châteaux de Verone: les canons qu'ils mettent en batterie leur sont enlevés à la baïonnette; le feu est mis dans la ville, et la colonne mobile qui arrive sur ces entrefaites, met ces lâches dans une déroute complète, en faisant trois mille hommes de troupe de ligne prisonniers, parmi lesquels plusieurs généraux vénitiens.
13°. La maison du consul français de Zante est brûlée dans la Dalmatie.
14°. Un vaisseau de guerre vénitien prend sous sa protection un convoi autrichien, et tire plusieurs boulets contre la corvette la Brune.
15° Le Libérateur de l'Italie, bâtiment de la république, ne portant que trois à quatre petites pièces de canon, et n'ayant que quarante hommes d'équipage, est coulé à fond dans le port même de Venise et par les ordres du sénat. Le jeune et intéressant Laugier, lieutenant de vaisseau, commandant ce bâtiment, dès qu'il se voit attaqué par le feu du fort et de la galère amirale, n'étant éloigné de l'un et de l'autre que d'une portée de pistolet, ordonne à son équipage de se mettre à fond de cale: lui seul, il monte sur le tillac au milieu d'une grêle de mitraille, et cherche, par ses discours, à désarmer la fureur de ces assassins, mais il tombe roide mort; son équipage se jette à la nage et est poursuivi par six chaloupes montées par des troupes soldées par la république de Venise, qui tuent à coups de hache plusieurs de ceux qui cherchaient leur salut dans la haute-mer. Un contre-maître, blessé de plusieurs coups, affaibli, faisant sang de