Si, contre mon attente, la négociation ne réussissait pas, je me trouverais embarrassé sur le parti que j'aurais à prendre; je chercherais néanmoins à attirer l'ennemi dans une affaire, à le battre, à obliger l'empereur à abandonner Vienne: après quoi je serais obligé de rentrer en Italie, si les armées du Rhin restaient dans l'inaction où elles se trouvent encore.
J'espère, quelque parti que je me trouve obligé de prendre, mériter votre approbation. Je me suis trouvé, depuis le commencement de la campagne, passer, à chaque pas, dans une position neuve, et j'ai toujours eu le bonheur de voir la conduite que j'ai tenue répondre à vos intentions.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Indenburg, le 20 germinal an 5 (9 avril 1797).
Au général Kilmaine.
Dès l'instant que votre aide-de-camp est arrivé, j'ai pris en grande considération la dépêche dont il était porteur. Je vous envoie:
1'o. Une lettre au doge de Venise, et une à Lallemant, qu'il doit présenter en forme de note. Vous verrez, par ces deux lettres, que Junot porte à Venise et dont il doit avoir réponse sous vingt-quatre heures, quel est le remède qu'il faut porter à tout ce tripotage.
Si Junot reçoit une réponse satisfaisante, il vous en préviendra à son départ de Venise; s'il ne reçoit pas de réponse satisfaisante, il se rendra près de vous à Mantoue.
La division du général Victor doit être arrivée a Padoue: vous ferez sur-le-champ désarmer la division de Padoue, prendre les officiers et le gouverneur, que vous enverrez prisonniers à Milan; vous en ferez autant à Treviso, Bassano et Verone, et si le sénat avait remis garnison à Brescia et à Bergame, vous en feriez autant. Vous ferez imprimer et répandre la proclamation que je vous envoie, et vous en feriez d'autres, conformes aux circonstances. Vous ferez marcher la colonne mobile, que vous avez réunie avec votre prudence ordinaire, à Crema, pour punir les montagnards qui ont assassiné nos gens et pour les désarmer.
Pour faire la guerre aux différentes vallées, il faut dissoudre le rassemblement en menaçant leurs villages, et tomber inopinément sur un village où ils ne sont pas en force et le brûler.
À Bergame, à Brescia, à Verone, à Padoue, à Treviso, à Bassano, vous organiserez une municipalité choisie parmi les principaux citoyens, avec une garde qu'ils seront autorisés à se composer parmi les meilleurs patriotes, pour leur police: après quoi, vous me renverrez le plus tôt possible la division du général Victor. Je crois qu'il est essentiel que vous veilliez à ce que votre communication du Frioul ne soit pas interrompue.
Je vous envoie des ordres de l'état-major qui vous donnent le commandement de tout le Mantouan, de la division Victor et de tous les états vénitiens.
J'imagine que vous avez une carte du Frioul.
Vous aurez soin de faire arrêter tous les nobles vénitiens et tous les hommes les plus attachés au sénat, pour que leur tête réponde de ce qui sera fait à Venise aux personnes qui nous étaient attachées et qu'on a arrêtées.
Vous aurez bien soin de ne vous laisser arrêter par aucune espèce de considération. Si dans vingt-quatre heures la réponse n'est pas faite, que tout se mette en marche à la fois, et que sous vingt-quatre heures il n'existe pas un soldat vénitien sur le continent. Vous préviendrez sur-le-champ le commandant d'Ancône et celui de Trieste de faire courir nos corsaires sur les bannières vénitiennes.
Vous sentez combien il serait dangereux de laisser aux troupes vénitiennes le temps de se réunir. Quant aux soldats vénitiens que vous ferez prisonniers, vous les ferez escorter par les soldats lombards, et vous les enverrez à Bologne et à Milan pour être gardés par les gardes nationales de ces deux villes. Ayez soin de vous emparer de la cavalerie vénitienne pour monter vos dépôts.
Tout va ici fort bien, et si l'affaire de Venise est bien menée, comme tout ce que vous faites, ces gaillards-là se repentiront, mais trop tard, de leur perfidie. Le gouvernement de Venise, concentré dans sa petite île, ne serait pas, comme vous pensez bien, de longue durée.
Je pense donc qu'il faut que vous partiez sur-le-champ pour Mantoue, et même pour Porto-Legnago et Peschiera. Entrer dans toutes les places, désarmer toutes leurs garnisons, faire prisonniers tous les nobles de terre-ferme: cela ne doit être qu'une seule opération et qui, au plus tard, doit être faite vingt-quatre heures après que Junot sera parti de Venise.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Indenburg, le 20 germinal au 5 (9 avril 1797).
Au peuple de la terre-ferme de la république de Venise.
Le sénat de Venise a, depuis le commencement de cette guerre, concentré toutes ses sollicitudes dans les lagunes; indifférent aux maux de la terre-ferme, il l'a livrée aux armées ennemies qui guerroyaient dans vos contrées. Le gouvernement du sénat de Venise n'offre protection ni pour vos personnes ni pour vos propriétés; il vient, par suite de ce système qui le rend indifférent à votre sort, de s'attirer l'indignation de la république française.
Je sais que, n'ayant aucune part à son gouvernement, je dois vous distinguer dans les différens châtimens que je dois infliger aux coupables. L'armée française protégera votre religion, vos personnes et vos propriétés; vous avez été vexés par ce petit nombre d'hommes qui se sont, depuis les temps de barbarie, emparés du gouvernement. Si le sénat de Venise a sur vous le droit de conquête, je vous en affranchirai; s'il a sur vous le droit d'usurpation, je vous restituerai vos droits. Quant aux insensés qui, conseillés par des hommes perfides, voudraient prendre part, et attirer sur leurs villes les maux de la guerre, je les plaindrai, et les punirai de manière a servir d'exemple aux autres, et à les faire repentir de leur folie.
BONAPARTE.
Au quartier général à Indenburg, le 20 germinal an 5 (9 avril 1797).
Au sérénissime Doge de la république de Venise.
Toute la terre ferme de la sérénissime république de Venise est en armes. De tous les côtés, le cri de ralliement des paysans que vous avez armés est: Mort aux Français! Plusieurs centaines de soldats de l'armée d'Italie en ont déjà été les victimes. Vous désavouez vainement des rassemblemens que vous avez organisés: croiriez-vous que dans un moment où je suis au coeur de l'Allemagne, je sois impuissant pour faire respecter le premier peuple de l'univers? Croyez-vous que les légions d'Italie souffriront le massacre que vous excitez? Le sang de mes frères d'armes sera vengé, et il n'est aucun des bataillons français qui, chargé d'un si noble ministère, ne sente redoubler son courage et tripler ses moyens. Le sénat de Venise a répondu par la perfidie la plus noire aux procédés généreux que nous avons toujours eus avec lui. Je vous envoie mon premier aide-de-camp, pour être porteur de la présente lettre. La guerre ou la paix. Si vous ne prenez pas sur-le-champ les moyens de dissiper les rassemblemens; si vous ne faites pas arrêter et livrer en mes mains les auteurs des assassinats qui viennent de se commettre, la guerre est déclarée. Le Turc n'est pas sur vos frontières, aucun ennemi ne vous menace; vous avez fait à dessein naître des prétextes, pour avoir l'air de justifier un rassemblement dirigé contre l'armée: il sera dissous dans vingt-quatre heures. Nous ne sommes plus au temps de Charles VIII. Si, contre le voeu bien manifesté du gouvernement français, vous me réduisez au parti de faire la guerre, ne pensez pas cependant, qu'à l'exemple des soldats que vous avez armés, les soldats français ravagent les campagnes du peuple innocent et infortuné de la terre-ferme; je le protégerai, et il bénira un jour jusqu'aux crimes qui auront obligé l'armée française à le soustraire à votre gouvernement tyrannique.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Indenburg, le 20 germinal an 5 (9 avril 1797).
Au citoyen Lallemant,