Le général en chef requiert le ministre de France près la république de Venise de sortir de ladite ville; ordonne aux différens agens de la république de Venise dans la Lombardie et dans la terre-ferme vénitienne de l'évacuer sous vingt-quatre heures.
Ordonne aux différens généraux de division de traiter en ennemi les troupes de la république de Venise, de faire abattre dans toutes les villes de la terre-ferme le Lion de Saint-Marc. Chacun recevra, à l'ordre du jour de demain, une instruction particulière pour les opérations militaires ultérieures.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Palma-Nova, le 14 floréal an 5 (3 mai 1797).
Au directoire exécutif.
Je reçois dans l'instant des nouvelles de Verone. Je vous envoie les rapports du général de division Balland, du général Kilmaine et du chef de brigade Beaupoil. Dès l'instant que j'eus passé les gorges de la Carinthie, les Vénitiens crurent que j'étais enfourné en Allemagne, et ce lâche gouvernement médita des Vêpres siciliennes. Dans la ville de Venise et dans toute la terre-ferme on courut aux armes. Le sénat exhorta les prédicateurs, déjà assez portés par eux-mêmes à prêcher la croisade contre nous. Une nuée d'Esclavons, une grande quantité de canons, et plus de cent cinquante mille fusils furent envoyés dans la terre-ferme; des commissaires extraordinaires, avec de l'argent, furent envoyés de tous côtés pour enrégimenter les paysans. Cependant M. Pezaro, sage grand, me fut envoyé à Goritzia, afin de chercher à me donner le change sur tous ces armemens. J'avais des raisons de me méfier de leur atroce politique, que j'avais assez appris à connaître; je déclarai que si cet armement n'avait pour but que de faire rentrer des villes dans l'ordre, il pouvait cesser, parce que je me chargeais de faire rentrer les villes dans l'ordre, moyennant qu'ils me demanderaient la médiation de la république: il me promit tout, et ne tint rien. Il resta à Goritzia et à Udine assez de temps pour être persuadé par lui-même que j'étais passé en Allemagne, et que les marches rapides que je faisais tous les jours donneraient le temps d'exécuter les projets qu'on avait en vue.
Le 30 germinal, des corps de troupes vénitiennes considérables, augmentés par une grande quantité de paysans, interceptèrent les communications de Verone à Porto-Legnago. Plusieurs de mes courriers furent sur-le-champ égorgés et les dépêches portées à Venise. Plus de deux mille hommes furent arrêtés dans différentes villes de la terre-ferme et précipités sous les plombs de Saint-Marc: c'étaient tous ceux que la farouche jalousie des inquisiteurs soupçonnait de nous être favorables. Ils défendirent à Venise que le canal où ils ont coutume de noyer les criminels fût nettoyé. Eh! qui peut calculer le nombre des Vénitiens que ces monstres ont sacrifiés?
Cependant, au premier vent que j'eus de ce qui se tramait, j'en sentis la conséquence; je donnai au général Kilmaine le commandement de toute l'Italie. J'ordonnai au général Victor de se porter avec sa division, à marches forcées, dans le pays vénitien. Les divisions du Tyrol s'étant portées sur l'armée active, cette partie devenait plus découverte; j'y envoyai sur-le-champ le général Baraguey d'Hilliers. Cependant le général Kilmaine réunit des colonnes mobiles de Polonais, de Lombards et de Français qu'il avait à ses ordres, et qu'il avait remis sous ceux des généraux Chabran et Lahoz. À Padoue, à Vicence et sur toute la route, les Français étaient impitoyablement assassinés. J'ai plus de cent procès-verbaux, qui tous démontrent la scélératesse du gouvernement vénitien.
J'ai envoyé à Venise mon aide-de-camp Junot, et j'ai écrit au sénat la lettre dont je vous ai envoyé copie.
Pendant ce temps, ils étaient parvenus à rassembler à Verone quarante mille Esclavons, paysans, ou compagnies de citadins, qu'ils avaient armés, et au signal de plusieurs coups de la grosse cloche de Verone et de sifflets, on court sur tous les Français, qu'on assassine: les uns furent jetés dans l'Adige; les autres, blessés et tout sanglans, se sauvèrent dans les forteresses, que j'avais depuis long-temps eu soin de réparer et de munir d'une nombreuse artillerie.
Je vous envoie le rapport du général Balland; vous y verrez que les soldats de l'armée d'Italie, toujours dignes d'eux, se sont, dans cette circonstance comme dans toutes les autres, couverts de gloire. Enfin, après six jours de siège, ils furent dégagés par les mesures que prit le général Kilmaine après les combats de Dezenzano, de Valeggio et de Verone. Nous avons fait trois mille cinq cents prisonniers et avons enlevé tous leurs canons. À Venise, pendant ce temps, on assassinait Laugier, on maltraitait tous les Français, et on les obligeait à quitter la ville. Tant d'outrages, tant d'assassinats ne resteront pas impunis: mais c'est à vous surtout et au corps législatif qu'il appartient de venger le nom français d'une manière éclatante. Après une trahison aussi horrible, je ne vois plus d'autre parti que celui d'effacer le nom vénitien de dessus la surface du globe. Il faut le sang de tous les nobles vénitiens pour apaiser les mânes des Français qu'ils ont fait égorger.
J'ai écrit à des députés que m'a envoyés le sénat la lettre que je vous fais passer; j'ai écrit au citoyen Lallemant la lettre que je vous envoie également. Dès l'instant où je serai arrivé à Trévise, j'empêcherai qu'aucun Vénitien ne vienne en terre-ferme, et je ferai travailler à des radeaux, afin de pouvoir forcer les lagunes, et chasser de Venise même ces nobles, nos ennemis irréconciliables et les plus vils de tous les hommes. Je vous écris à la hâte; mais dès l'instant que j'aurai recueilli tous les matériaux, je ne manquerai pas de vous faire passer dans le plus grand détail l'histoire de ces conspirations aussi perfides que les Vêpres siciliennes.
L'évêque de Verone a prêché, la Semaine Sainte et le jour de Pâques, que c'était une chose méritoire et agréable à Dieu, que de tuer les Français. Si je l'attrape, je le punirai exemplairement.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 17 floréal an 5 (6 mai 1797).
Au directoire exécutif.
Il y a eu des troubles dans la division de la Corse, occasionnés par l'insurrection de la gendarmerie, qui n'était pas payée.
Ce défaut de fonds est produit par la dilapidation qui a été faite des fonds envoyés. Depuis que la Corse est restituée à la France, nous y avons fait passer 700,000 fr., outre une grande quantité de blé et d'autres approvisionnemens.
Je vous envoie les lettres que j'ai écrites au général Gentili et à l'ordonnateur en chef. Je crois que l'on doit tenir à faire un exemple sur le commissaire des guerres et le commissaire faisant les fonctions de payeur, qui devaient, avant tout, solder la troupe.
Le général Vaubois et le général Lafont, qui y vont commander, mettront, j'espère, plus d'économie, et j'engage l'ordonnateur en chef à y faire passer promptement un autre commissaire. La dix-neuvième demi-brigade, forte de douze cents hommes, et qui était à Livourne, va s'embarquer pour se rendre en Corse.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 17 floréal an 5 (6 mai 1797).
Au général Gentili.
Je ne puis vous dissimuler mon mécontentement sur le mauvais emploi des sommes qui ont été envoyées en Corse pour le service de la division. Plus de la moitié a été dilapidée ou dépensée à des choses inutiles, tandis que tout devait être uniquement consacré au service de la force armée.
1°. Il est inutile que vous envoyiez des adjoints à Paris.
2°. Les commissaires du gouvernement ne devaient pas être payés sur les fonds des soldats.
3°. Vous n'aviez pas le droit de faire donner 1000 francs à l'adjudant-général Franceschi.
4°. Vous ne deviez rien faire donner aux officiers isolés, à qui, il y a trois mois, j'avais ordonné de rejoindre.
De plus grands abus ont eu lieu encore dans la distribution de 4 à 500,000 fr. que vous avez précédemment reçus: aucun article ne sera porté au compte à l'ordonnateur et au payeur,