Nous sommes à l'article de la reconnaissance. Je leur ai dit que la république française ne voulait point être reconnue; elle est en Europe ce qu'est le soleil sur l'horizon: tant pis pour qui ne veut pas la voir et ne veut pas en profiter.
Ils m'ont dit que, quand même les négociations se rompraient, l'empereur, dès aujourd'hui, reconnaissait la république française, à condition que celle-ci conserverait avec S.M. l'empereur la même étiquette que ci-devant le roi de France. Je leur ai répondu que, comme nous étions fort indifférens sur tout ce qui est étiquette, nous ne serions pas éloignés d'adopter cet article. Nous avons, après cela, beaucoup parlé dans tous les sens et de toutes les manières.
Le 26, M. Gallo est venu chez moi à huit heures du matin; il m'a dit qu'il désirait neutraliser un endroit où nous pussions continuer nos conférences en règle. On a choisi un jardin, au milieu duquel est un pavillon; nous l'avons déclaré neutre, farce à laquelle j'ai bien voulu me prêter pour ménager la puérile vanité de ces gens-ci. Ce prétendu point neutre est environné de tous côtés par l'armée française; et au milieu des bivouacs de nos divisions: cela eût été fort juste et fort bon s'il se fût trouvé au milieu des deux armées. Arrivés dans la campagne neutre, l'on a entamé les négociations. Voici ce qui en est résulté:
1°. La cession de la Belgique, et la reconnaissance des limites de la république française conformément au décret de la convention; mais ils demandent des compensations qu'ils veulent nécessairement en Italie.
2°. Ils demandent la restitution du Milanez; de sorte qu'ils auraient voulu, en conséquence de ce premier article, le Milanez et une portion quelconque des états de Venise ou des légations: si j'eusse voulu consentir à cette proposition, ils avaient le pouvoir de signer sur-le-champ. Cet arrangement ne m'a pas paru possible.
S.M. l'empereur a déclaré ne vouloir aucune compensation en Allemagne. Je leur ai offert, pour le premier article, la restitution du Milanez et de la Lombardie, ils n'ont pas voulu: de sorte que nous avons fini par trois projets qu'ils ont expédiés, par un courrier extraordinaire, à Vienne, et dont ils auront la réponse dans deux ou trois jours.
PREMIER PROJET.
Art 1er. La cession de la Belgique, les limites constitutionnelles de la France.
2. À la paix avec l'empire, l'on fixera tout ce qui est relatif an pays qu'occupe la France jusqu'au Rhin.
3. Les deux puissances s'arrangeront ensemble pour donner à l'empereur tous les pays du territoire vénitien, compris entre le Mincio, le Pô et les états d'Autriche.
4. On donnera au duc de Modène les pays de Brescia compris entre l'Oglio et le Mincio.
5. Le Bergamasque et tous les pays des états de Venise compris entre l'Oglio et le Milanez, ainsi que le Milanez, formeraient une république; Modène, Bologne, Ferrare, la Romagne formeraient une république.
6. La ville de Venise continuerait à rester indépendante, ainsi que l'Archipel.
DEUXIÈME PROJET.
Les articles 1 et 2 sont les mêmes que les précédens.
3. L'évacuation du Milanez et de la Lombardie.
TROISIÈME PROJET.
Les deux premiers articles comme dans les précédens.
3. La renonciation par S. M. l'empereur de tous ses droits an Milanez et à la Lombardie.
4. La France s'engagerait à donner à S. M. l'empereur des compensations proportionnées au Milanez et au duché de Modène, qui seront l'objet d'une négociation, et dont il devrait être en possession au plus tard dans trois mois.
Si l'un de ces trois projets est accepté à Vienne, les préliminaires de la paix se trouveraient signés le 20 avril (8 floréal), sans quoi, vu que les armées du Rhin n'ont fait encore aucun mouvement, je leur proposerais un armistice pur et simple pour les trois armées, et pour trois mois, pendant lesquels on ouvrira des négociations de paix. Pendant ce temps, on fortifierait Clagenfurth et Gratz, on ferait venir toutes les munitions de guerre de ce côté-ci, l'armée s'organiserait parfaitement, et vous auriez le temps d'y faire passer quarante mille hommes de l'armée du Rhin: moyennant quoi vous auriez une armée extrêmement considérable, dont la seule vue obligerait l'empereur à faire de plus grands sacrifices.
Si rien de tout cela n'est accepté, nous nous battrons, et si l'armée de Sambre-et-Meuse s'est mise en marche le 20, elle pourrait, dans les premiers jours du mois prochain, avoir frappé de grands coups et se trouver sur la Reidnitz. Les meilleurs généraux et les meilleures troupes sont devant moi. Quand on a bonne volonté d'entrer en campagne, il n'y a rien qui arrête, et jamais, depuis que l'histoire nous retraça des opérations militaires, une rivière n'a pu être un obstacle réel. Si Moreau veut passer le Rhin, il le passera; et s'il l'avait déjà passé, nous serions dans un état à pouvoir dicter les conditions de la paix d'une manière impérieuse et sans courir aucune chance; mais qui craint de perdre sa gloire est sûr de la perdre. J'ai passé les Alpes juliennes et les Alpes nordiques sur trois pieds de glace; j'ai fait passer mon artillerie par des chemins où jamais chariots n'avaient passé, et tout le monde croyait la chose impossible. Si je n'eusse vu que la tranquillité de l'armée et mon intérêt particulier, je me serais arrêté au-delà de l'Isonzo. Je me suis précipité dans l'Allemagne pour dégager les armées du Rhin et empêcher l'ennemi d'y prendre l'offensive. Je suis aux portes de Vienne, et cette cour insolente et orgueilleuse a ses plénipotentiaires à mon quartier-général. Il faut que les armées du Rhin n'aient point de sang dans les veines: si elles me laissent seul, alors je m'en retournerai en Italie. L'Europe entière jugera la différence de conduite des deux armées: elles auront ensuite sur le corps toutes les forces de l'empereur, elles en seront accablées, et ce sera leur faute.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Léoben, le 30 germinal an 5 (19 avril 1797).
Au directoire exécutif.
Je vous ai envoyé, par l'adjudant-général Leclerc, plusieurs projets d'arrangement qui avaient été envoyés à Vienne, et sur lesquels les plénipotentiaires attendaient des instructions. M. de Vincent, aide-de-camp de S. M. l'empereur, est arrivé sur ces entrefaites, les plénipotentiaires sont revenus chez moi pour reprendre le cours de la négociation; après deux jours, nous sommes convenus et nous avons signé les préliminaires de la paix, dont je vous envoie les articles.
Tout ce qui a été déclaré département par la loi de la convention restera à la république.
La république lombarde se trouve non-seulement confirmée, mais encore accrue de tout le Bergamasque et de tout le Crémasque, qui lui sont déjà réunis dans ce moment par l'insurrection de ces deux pays. La partie du Mantouan qui est sur la rive droite de l'Oglio et du Pô s'y trouve également incorporée; le duché de Modène et de Reggio, qui, par la principauté de Massa et de Carrara, touche à la Méditerranée, et par la partie du Mantouan touche au Pô et au Milanez, s'y trouve également compris. Nous aurons donc dans le coeur de l'Italie une république avec laquelle nous communiquerons par les états de Gênes et par la mer; ce qui nous donnera, dans toutes les guerres futures en Italie, une correspondance assurée. Le roi de Sardaigne se trouve désormais être entièrement à notre disposition.
La place de Pizzighitone, qui est aujourd'hui véritablement plus forte que Mantoue; la place de Bergame et celle de Crema, que l'on rétablira, garantiront la nouvelle république contre les incursions de l'empereur, et nous donneront toujours le temps d'y arriver. Du côté de Modène, il y