Tous les hommes, ou plutôt toutes les races humaines ne sont pas également portées vers le besoin d'examiner et de comprendre. Aux unes, il suffit de croire et d'ériger les croyances en système; pour les autres, les croyances ne dépassent jamais une sorte de règle de conduite et ne sont pas aux prises avec les aspirations vers l'inconnu. La philosophie appartient à ces races privilégiées qui examinent, analysent et veulent comprendre pour croire; à celles-là aussi appartient l'art, tel que les Grecs l'ont développé, tel que nous l'entendons en Occident. Mais, phénomène singulier! chacune des trois grandes races humaines qui se partagent le globe terrestre n'est pas apte, isolément, à produire ce qu'on appelle des arts. Celle-ci, la race aryane, la race blanche par excellence, est pourvue d'instincts guerriers; elle enfante les héros; elle domine, elle gouverne; elle établit les premières religions, elle règle leur culte; elle méprise le travail manuel et forme des sociétés de pasteurs et de guerriers, avec le patriarcat comme principe de tout gouvernement. Cette autre, la race jaune, la plus nombreuse peut-être sur notre planète, est industrieuse, se livre au commerce, au calcul, à l'agriculture, aux travaux manuels; elle est habile à façonner les métaux; elle se prête facilement à tout labeur, pourvu qu'elle entrevoie au bout un bien-être purement matériel; dépourvue d'aspirations élevées, de base philosophique, ne se souciant guère de l'inconnu, elle demeure stationnaire du jour où elle a, grâce à son travail et à son industrie, élevé un ordre social passable. La troisième, la race noire, est ardente, violente, ne reconnaissant d'autre puissance que la force matérielle, superstitieuse, guidée par ses besoins physiques ou son imagination mobile et déréglée. Aucune de ces trois races principales, bien distinctes, n'a pu faire éclore un art. Les races blanches pures ne savent se prêter à ce qu'ils exigent de soins matériels, d'études et de travaux; les races jaunes ne peuvent les élever qu'à la hauteur d'un métier. Quant au noir, dépourvu de ce régulateur qui n'abandonne jamais l'esprit du blanc, incapable de fixité dans ses idées, il laisse son imagination s'égarer jusqu'à concevoir et enfanter des monstres en toute chose. Il est adroit, subtil, ingénieux, mais trop fantasque pour être artiste, comme nous l'entendons depuis l'antiquité; car il n'est pas d'art sans lois, sans principes. Le noir n'admet l'intervention de la loi que dans l'ordre physique; pour lui, la loi, c'est la force matérielle, mais son intelligence n'en admet pas dans le domaine des choses de l'esprit. Or, si le blanc et le noir (ce dernier en proportion minime) se trouvent réunis, l'art se développe rapidement et dans le sens du progrès incessant. Dans le mélange de l'élément blanc et jaune, l'art éclôt aussi, mais penche vers l'hiératisme.
Nous ne prétendons montrer ici que certaines grandes divisions faciles à apprécier; car, dans l'organisme de ce monde, les choses ne sont pas aussi simples et tranchées: ainsi, par exemple, la philologie a démontré de la manière la plus évidente que les races dites sémitiques ne sont pas des Aryans, qu'elles appartiennent à un autre groupe; elles se rapprochent encore moins des jaunes ou des races mélaniennes, mais cependant elles tiennent par un point à ces dernières par la vivacité et la mobilité de leur imagination. Pas plus que le blanc ou le noir, le Sémite seul n'est artiste, ou, s'il le devient par le contact d'un apport relativement faible du blanc, c'est dans le sens hiératique absolu.
Au contraire, si un noyau aryan considérable se trouve en contact avec un peuple sémitique, le ferment intellectuel qui en résulte produit un développement d'art splendide, et dans le sens de la recherche, du progrès. La civilisation grecque en est la démonstration la plus évidente.
On ne manquera pas ici de nous accuser de matérialisme. Mais qu'y pourrions-nous faire? Il y a si longtemps que l'on nous repaît de phrases vides lorsqu'il est question de discuter sur les arts ou de définir leurs qualités, que l'envie nous a pris de traiter cette faculté de l'âme humaine à l'aide de l'analyse et du raisonnement.
On l'a bien fait pour la philosophie, nous ne voyons pas pourquoi on ne le ferait pas à propos des arts. Quand vous m'aurez dit que des statuaires sont dociles au souffle de l'inspiration, ne pouvant croire sérieusement que Minerve les protége, si vous ne nous dites pas de quoi l'inspiration procède, nous ne serons guère avancés. En ajoutant que telle statue est remplie d'un sentiment religieux, si vous ne nous expliquez pas comment un sentiment religieux se traduit sur la pierre ou le marbre, votre observation ne nous importe guère, d'autant que beaucoup de gens très-religieux font des statues qui prêtent à rire, et que des artistes passablement sceptiques en sculptent qui vous font tomber à genoux. Pérugin, ce peintre par excellence de sujets religieux, et qui parfois est si touchant, «avait peu de religion et ne voulait pas croire à l'immortalité de l'âme». C'est du moins ce qu'en dit Vasari. On voudra donc ne pas chercher dans cet article sur la sculpture l'attirail de phrases stéréotypées à l'usage de la plupart des critiques en matière d'art, dont nous nous garderons de médire, mais qui, en ne nous faisant part que de leurs impressions, peuvent nous intéresser, mais ne sauraient nous faire avancer d'un pas dans la connaissance des phénomènes psychologiques plus ou moins favorables au développement de l'art.
Il s'agit de chercher comment l'art le plus élevé peut-être, celui de la statuaire, naît ou renaît au sein d'un milieu social, où il va puiser ses éléments, s'il n'est qu'un ressouvenir, comme dit Socrate, ou s'il est un développement spontané; comment il se développe et progresse, et comment il décline.
Nous avons parlé de l'hiératisme et du progrès, de la recherche de l'idéal. Plus nous remontons le courant des arts de l'antique Égypte, plus nous trouvons les arts, et la statuaire notamment, voisins de la perfection. Les dernières découvertes faites par l'infatigable M. Mariette ont mis en lumière des statues de l'époque des pasteurs qui, non-seulement dépassent comme exécution les figures anciennes de Thèbes, mais possèdent un caractère individuel très-prononcé. L'art, dès ces temps reculés, était arrivé à une grande élévation. Ce ne pouvait être par l'hiératisme, mais au contraire par un effort humain, une suite d'études et de progrès. L'hiératisme ne s'était donc établi qu'au moment où l'art avait atteint déjà une grande perfection. Nous voyons le même phénomène se produire chez les populations de l'Asie. L'art s'élève (nous ne savons par quelle suite d'efforts) jusqu'à un point supérieur, et, arrivé là, on prétend désormais le fixer. Ce sont ces arts fixés que rencontrent les Grecs lorsqu'ils occupent l'Hellade; ils les prennent à cette époque de fixité, mais les font, pour ainsi dire, sortir de leur chrysalide pour les pousser avec une ardeur et une rapidité inouïes vers un idéal qui prend pour point d'appui l'étude attentive et passionnée de la nature. Supposons un instant que ces quelques tribus d'Aryans ne fussent point venues s'établir sur le sol de la Macédoine, de l'Attique et du Péloponèse; les arts des peuplades de l'Asie Mineure et de l'Égypte, enfermés dans leur hiératisme, s'affaissant chaque jour sous le poids de cet hiératisme même, s'abimaient dans une négation. Le sphinx et le chérubin restaient pour les générations futures le véritable symbole de ces arts, c'est-à-dire une énigme. Les Grecs, en secouant cette immobilité, nous en font deviner les secrets, nous permettent de supposer les efforts qui l'avaient précédée. En effet, les premières infusions aryanes en Asie, en Égypte, au contact des races aborigènes, s'étaient trouvées dans ces conditions favorables au développement des arts, et ceux-ci avaient atteint rapidement une supériorité extraordinaire; mais l'élément sémitique dominant de plus en plus, ces arts s'étaient arrêtés dans leur marche, comme se fixent certains liquides par l'apport d'un agent chimique à une certaine dose.
Ceci peut passer pour une hypothèse; mais ce qui n'en est pas une, c'est le mouvement que les Grecs savent imprimer aux arts chez eux. Ils prennent les formes hiératiques de l'Asie Mineure; peu à peu nous voyons qu'ils les naturalisent: ils procèdent pour les arts comme