Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 8 - (Q suite - R - S). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Техническая литература
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des peintures, des boiseries, voire des tapisseries, couvraient leurs parements, mais on y suspendait des armes, des trophées recueillis dans des campagnes. Sauval 51 rapporte que le roi d'Angleterre traita magnifiquement saint Louis, au Temple, lors de la cession si funeste que fit ce dernier prince, du Périgord, du Limousin, de la Guyenne et de la Saintonge.

      Ce fut dans la grand'salle du Temple que se donna le banquet. «À la mode des Orientaux, dit Sauval, les murs de la salle étoient couverts de boucliers; entre autres s'y remarquoit celui de Richard, premier roi d'Angleterre, surnommé Coeur-de-Lion. Un seigneur anglois, l'ayant aperçu pendant que les deux rois dînoient ensemble, aussitôt dit à son maître en riant: Sire, comment avez-vous convié les François de venir en ce lieu se réjouir avec vous; voilà le bouclier du magnanime Richard qui sera cause qu'ils ne mangeront qu'en crainte et en tremblant.»

      Nous avons vu que la grand'salle du palais, à Paris, était décorée de nombreuses statues et de peintures. La grand'salle du château de Coucy était de même fort riche: outre la grande cheminée qui était sculptée, sur les parois de cette salle on voyait les statues colossales des neuf preux 52; des verrières coloriées garnissaient les fenêtres. À Pierrefonds, la grand'salle haute était de même décorée par des verrières de couleur. La porte qui donnait dans le vestibule était toute brillante de sculptures et surmontée d'une claire-voie. La voûte était lambrissée en berceau et percée de grandes lucarnes du côté de la cour. La cheminée qui terminait l'extrémité opposée à l'entrée supportait, sur son manteau, les statues des neuf preux. La salle basse était elle-même décorée avec un certain luxe, ainsi que le constatent la cheminée qui existe encore en partie, les corbeaux qui portent les poutres et les fragments du portique.

      Mais tous les seigneurs n'étaient pas en état d'élever des bâtiments aussi somptueux. Nous voyons dans le palais archiépiscopal de Narbonne, véritable résidence féodale, une grand'salle au premier étage, construite par l'archevêque Pierre de la Jugée, vers le milieu du XIVe siècle 53. Cet édifice se compose d'un rez-de-chaussée avec épine de piliers supportant un plancher, et d'une grand'salle dont le plafond est soutenu par des arcs de maçonnerie.

      La figure 9 donne en A le plan de cette grande salle, en B son élévation extérieure sur le dehors du palais, et en C sa coupe transversale. Cette salle était crénelée dans ses oeuvres hautes sur le dehors et sur la cour. Des murs d'une forte épaisseur l'épaulaient entre les baies, mais l'étage supérieur au-dessus de la grand'salle n'était plus maintenu que par des murs peu épais, avec petits contre-forts destinés à contre-buter les murs de refend qui supportaient les pannes du comble, et formaient ainsi une suite de pièces éclairées par de petites fenêtres. C'est un des rares exemples d'une grand'salie surmontée de logements.

      La grand'salle est donc la partie la plus importante des châteaux et palais; c'est chez le seigneur féodal, le signe de sa juridiction, le lieu où se rend l'hommage, où se réunissent les vassaux, où l'on rassemble les défenseurs en cas de siége, où se tiennent les plaids, où se donnent les banquets, les ballets, les mascarades, les fêtes de toute sorte. Il n'y a pas de château féodal, ni même de manoir, qui n'ait sa salle. Le bourgeois de la ville, dans sa maison, possède aussi sa salle où il réunit sa famille, ses amis, où il prend ses repas et reçoit les gens qui traitent d'affaires. Quand les cités purent élever des hôtels de ville, il va sans dire que ces bâtiments contenaient la salle de la commune. Le programme est le même du petit au grand.

      Cette tradition se conserva très-tard dans les châteaux, quand même ces résidences n'avaient plus le caractère de places fortes. Ainsi, à Fontainebleau, la galerie dite de Henri II est une tradition de la grand'salle du château féodal. Cette belle galerie, comme beaucoup de salles de châteaux féodaux, donne entrée sur la tribune de la chapelle. À Saint-Germain en Laye, on voit encore la grand'salle voûtée qui occupe tout un côté des bâtiments. À Versailles même, la galerie de marbre n'est que la tradition de la grand'salle des résidences seigneuriales.

      Les monastères possédaient aussi des logis qui prenaient le nom de salles. Il ne s'agit point ici des réfectoires, dortoirs et bibliothèques, qui étaient de véritables salles par leur structure, sinon par leur destination, mais des salles propres à réunir les religieux pour traiter des affaires du couvent. Ce sont les salles capitulaires. Ces locaux, plus ou moins vastes, suivant l'étendue du monastère, ont un caractère particulier. Les salles capitulaires sont rarement oblongues, cette forme ne se prêtant pas aux délibérations, mais plutôt carrées, sur le sol français du moins, car en Angleterre il existe des salles capitulaires sur plan circulaire ou polygonal, avec pilier au centre pour recevoir les retombées d'arcs des voûtes. Les salles capitulaires des monastères français s'ouvrent sur le cloître, et proche de l'église habituellement. Il nous suffira, pour ne pas donner à cet article plus d'étendue qu'il ne convient, de présenter un exemple très-complet de l'une de ces salles capitulaires, dépendant de l'abbaye de Fontfroide, près de Narbonne. Ce monastère est presque entièrement conservé. Sur le côté oriental du cloître s'ouvre une jolie salle capitulaire dont les voûtes reposent sur quatre colonnes de marbre blanc (voy. le plan fig. 10).

      Sur trois côtés, des bancs de pierre élevés sur un marchepied également de pierre garnissent les parois de la salle, qui reçoit du jour par la galerie du cloître et par trois fenêtres plein cintre. Cette construction date de la fin du XIIe siècle et est d'un charmant style, malgré son extrême simplicité.

      La figure 11 en donne la coupe longitudinale. Des peintures décoraient autrefois les voûtes. De la galerie du cloître aucune clôture n'empêchait de voir ce qui se passait dans la salle capitulaire. Ainsi pouvait-on appeler, au besoin, les frères convers ou les moines, qui, n'ayant pas voix délibérative, n'en étaient pas moins, en certaines circonstances, admis au milieu de l'assemblée pour avoir à répondre sur des faits d'ordre intérieur et de discipline. De la salle capitulaire, les frères pouvaient se rendre directement à l'église par une porte percée à l'extrémité de la galerie (voy. la coupe).

      Villard de Honnecourt, dans son Album 54, donne un plan qui paraît bien être celui d'une salle capitulaire. Ce plan n'est tracé par lui que pour indiquer comment on peut voûter une salle carrée d'une grande portée, à l'aide d'une seule colonne centrale. «Pa chu», écrit-il au-dessous de son croquis, «met om on capitel duit colonbes a one sole. Sen nest mies si en conbres. Sest li machonerie bone 55

      Voici (fig. 12) le plan de Villard. Au sommet c des quatre arcs diagonaux a b viennent aboutir les arcs secondaires d c; les branches d e sont égales aux branches e f. Des formerets sont posés au-dessus des cintres des fenêtres. Ainsi, les clefs des remplissages sont placées suivant les lignes ch, ce, li, gc. Cette structure de voûte est très-simple aussi a-t-elle été fréquemment employée 56, notamment dans les collatéraux de Notre-Dame de Paris, à Noyon, à Braisne. Toutes les clefs sont posées au même niveau, les poussées bien maintenues. Une salle faite d'après ce plan, ajourée sur les quatre faces, n'ayant qu'un point d'appui au centre, se prêtait parfaitement au service capitulaire d'un monastère. C'est la donnée des salles capitulaires anglaises réduite à la forme carrée.

       SANCTUAIRE, s. m. (carole). Partie de l'église où se trouve placé l'autel majeur. Les sanctuaires des églises du moyen âge sont orientés de telle façon que le prêtre, à l'autel, regarde le lever du soleil d'équinoxe; du moins cet usage paraît-il avoir été établi depuis le VIIIe siècle, en Occident.


<p>51</p>

Tome II, p. 246.

<p>52</p>

Les niches de ces statues existent encore.

<p>53</p>

Voyez PALAIS, fig. 11, 12 et 13.

<p>54</p>

Voyez l'Album de Villard de Honnecourt, archit. du XIIIe siècle, manuscrit publié en fac-simile et annoté par Lassus et A. Darcel (Imp. impér., 1858, pl. XL).

<p>55</p>

«Par ce tracé combine-t-on les chapiteaux de huit colonnes correspondant à une seule, sans qu'il y ait encombrement: c'est de la bonne maçonnerie.»

<p>56</p>

Dans les notes de Lassus, mises en ordre par M. Darcel, ce tracé de voûtes a été compliqué par l'adjonction d'arcs inutiles, et qui d'ailleurs ne sont point indiqués sur le croquis de Villard.