les tons intermédiaires grisonnent ou sont criards. L'or seul, par ses reflets métalliques, peut rétablir l'harmonie entre les tons, quand le bleu apparaît en grande surface. L'or a cette qualité singulière, bien qu'il donne une gamme de tons jaunes, de ne pas être verdi par le bleu et de ne pas altérer son éclat. Il prend, dans ses ombres, des tons chauds qui tiennent lieu du brun rouge que nous interposions ci-dessus entre le jaune ocre et le bleu; dans les demi-teintes, il acquiert des reflets verdâtres qui ont une valeur puissante et qui azurent le bleu. Dans les clairs, il scintille et prend un éclat qui ne peut être altéré par aucun ton, si brillant qu'il soit. L'or devient ainsi comme un thème dominant des accords, thème assez puissant pour maintenir l'harmonie entre des tons si heurtés qu'ils soient. Il empêche le rayonnement du bleu, et l'azure tellement, qu'il faut le verdir pour qu'il ne paraisse pas violet; il éclaircit le rouge (vermillon) par la chaleur extraordinaire de ses ombres; il donne aux verts un éclat qu'ils ne pourraient avoir à côté de surfaces bleues; il réchauffe le pourpre par ses demi-teintes verdâtres. Ce n'est donc pas un désir assez vulgaire de donner de la richesse à une décoration peinte qui a fait employer l'or en si grande quantité pendant le XIIIe siècle, c'est un besoin d'harmonie imposé par l'adoption du bleu en grande surface, et l'adoption du bleu en grande surface est commandée par les vitraux colorés. Cette question mérite d'être examinée. Au XIIe siècle, ainsi que nous l'avons vu, on avait adopté une harmonie décorative simple et claire, composée de blanc, de tons jaunes, brun rouge, verdâtres, gris, gris ardoise, gris noir. Lorsque l'on en vint à poser des verrières très-vivement colorées, et que la lumière, éclairant les intérieurs, fut décomposée par l'interposition de ces vitraux, on s'aperçut bientôt que ces tons clairs s'alourdissaient et prenaient un aspect louche: on multiplia les traits noirs pour rendre de l'éclat à ces peintures; mais le noir lui-même, sous le rayonnement des verrières colorées, grisonnait. On mit des touches bleues, mais il était difficile de les harmoniser avec les jaunes ocres, et en petite surface ces bleus faisaient taches. Alors on prit un parti franc, on osa coucher des voûtes entièrement en bleu, non pas en bleu pâle comme dans certaines décorations de l'époque romane, mais en bleu pur, vif, éclatant. Il ne fallut qu'un essai de ce genre pour faire voir que cette hardiesse devait faire modifier tout le système harmonique de la peinture décorative. D'abord, les voûtes bleues éclairées par la lumière décomposée des vitraux prirent un aspect tellement azuré, qu'elles paraissaient presque violettes, d'un ton lourd que rien ne pouvait soutenir. Sur ces voûtes bleues on essaya, comme correctif et pour rendre au bleu sa valeur réelle, de poser des touches rouges, mais le chatoiement du rouge sur le bleu ne faisait qu'azurer davantage cette couleur. On essaya des étoiles blanches, mais les étoiles blanches paraissaient grises; puis enfin on appliqua des étoiles d'or. Immédiatement le bleu prit sa valeur, et au lieu de paraître écraser le vaisseau, il s'éleva et acquit de la transparence. Soit que ces touches d'or prissent la lumière, soit qu'elles restassent dans l'ombre, dans le premier cas, leur éclat jaune, brillant, métallique, adoucissait le ton bleu, dans le second, leur valeur d'un jaune brun très-chaud le bleuissait. Alors on put modifier ce ton bleu sans inconvénient, on le verdit un peu pour lui enlever tout aspect violet. Mais ce point de départ si intense, si brillant, si puissant, devait faire changer toute la gamme des tons admis jusqu'alors. Pour soutenir des voûtes bleues rehaussées de points d'or, aucune couleur n'était trop brillante ni trop intense, il fallut admettre le vermillon, et même le vermillon glacé de laque, les verts brillants, les pourpres transparents, et au milieu de tout cela jeter l'or comme élément harmonique, saillant, dominant le tout. On alla même jusqu'à plaquer des fonds d'émail ou de verre coloré et doré simulant un émail, des gaufrures dorées, des applications de verroteries. C'est ainsi que fut comprise la coloration de la sainte Chapelle du palais. Aucun genre de décoration n'est plus entraînant que la peinture. Si vous montez un ton, il faut monter tous les autres pour conserver l'accord; la première couche de couleur que vous posez sur une partie est une sorte d'engagement que vous vous imposez, qu'il faut rigoureusement tenir jusqu'au bout, sous peine de ne produire qu'un barbouillage repoussant. Depuis longtemps on se tire d'affaire avec de l'or; quand l'harmonie ne peut se soutenir, qu'elle n'a pas été calculée, on prodigue l'or. Mais l'or (qu'on nous permette l'expression) est un épice, ce n'est pas un mets; en jeter partout, toujours et à tout propos, peut-être n'est-ce qu'un aveu d'impuissance. Il est des peintures d'un aspect très-riche sans que l'or y entre pour la plus faible parcelle. L'or est l'appoint presque obligé du bleu; mais on peut produire un effet très-brillant sans bleu, et par conséquent sans or. Les peintures du donjon de Coucy, où il n'entre pas une parcelle de bleu ni d'or, sont vives, gaies, harmonieuses, chaudes et riches. Celles du réfectoire de la commanderie du Temple, à Metz
79, sont d'un éclat merveilleux, et l'or ni le bleu ne s'y trouvent. Cette peinture date de la première moitié du XIIIe siècle; elle décore une salle composée de deux nefs, avec une épine de colonnes portant un plafond en charpente (fig. 14, voy. le plan A). Sur les colonnes est posée une poutre maîtresse qui reçoit un solivage.
La poutre, les solives et les parois de la muraille sont entièrement revêtues de peintures. En B, nous indiquons la peinture des murailles dont le fond se modifie, comme dessin, à chaque travée. Toute l'ornementation ne comporte que le blanc pour les fonds, le jaune (ocre) et le rouge (ocre). Entre chaque solive a est un dessin représentant des animaux se détachant en brun rouge vif sur fond blanc. Au-dessous est une frise b dont l'ornement est blanc sur fond brun rouge clair, avec redessinés brun rouge foncé. Puis, au droit de chaque colonne, un dais c tracé de même en brun rouge, avec figure d. Entre chaque dais les fonds e se composent d'un semis brun rouge sur blanc. Le soubassement f consiste en de larges denticules brun rouge, avec intervalles jaune ocre g et feuillages brun rouge clair rehaussés de traits noirs. La poutre maîtresse, par-dessous, donne le dessin h composé d'un onde brun rouge sur le blane, avec larges bordures jaunes. Les solives i sont toutes variées: les unes figurent un vairé blanc sur fond gris, avec filets brun rouge; d'autres, des chevrons alternativement blancs, rouges et jaunes séparés par des traits noirs. Sur ces faces, la poutre maîtresse l présente des chevaliers chargeant peints et redessinés en rouge brun sur fond blanc, avec rosettes également rouges. Toute la décoration de cette salle ne consiste donc qu'en deux tons, le jaune ocre et le rouge ocre sur fond blanc, avec quelques rares touches grises. À l'aide de ces moyens si simples, l'artiste a cependant obtenu un effet très-brillant, très-vif et d'une harmonie parfaite. Mais ici le bleu ni l'or n'interviennent dans la peinture.
On observera que les parties qui figurent des membres d'architecture, comme le dais c, par exemple, ne prétendent pas simuler une ornementation en relief. Cette architecture peinte est toute de convention; c'est un hiéroglyphe. On ne songeait pas alors, pas plus que pendant la bonne antiquité, à faire des trompe-l'oeil. Cette façon d'interpréter en peinture certaines formes architectoniques mérite quelque attention, c'est une partie importante de cet art. Il ne s'agit point de reproduire exactement les dimensions relatives, le modelé, l'apparence réelle des reliefs, des moulures, des colonnes et des chapiteaux, mais d'interpréter ces formes et de les faire entrer dans le domaine de la peinture. De fait, si l'on prétend modeler, par exemple, une arcature en pierre par des tons, admettant que l'on puisse produire quelque illusion sur un point, il est certain qu'en regardant ce trompe-l'oeil obliquement, non-seulement l'illusion est impossible, mais ces surfaces qui n'ont pas de saillies, ces moulures et profils qui ne se soumettent pas aux lois de la perspective, produisent l'effet le plus désagréable. Le trompe-l'oeil, dans ce cas, est une satisfaction puérile que se donne le peintre à lui-même, considérant l'objet qu'il veut rendre sur un point; il ne fait pas une peinture décorative, mais seulement un tour d'adresse. La belle antiquité et le moyen âge n'ont pas compris de cette manière la peinture décorative. Les peintres du XIIIe siècle voulaient-ils décorer un soubassement par une arcature que l'architecte n'avait pu obtenir en réalité, ils interprétaient les formes architectoniques de cette manière (fig. 15 80).
À l'aide de couchés à plat en ocre jaune et de dessins brun rouge sur fond blanc, ils obtenaient une décoration