Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7 - (P). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Техническая литература
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d'économie on conserve encore de grandes surfaces claires, occupées seulement par des filets; les litres, les nervures des voûtes, leurs tympans, se colorent vivement, et cette coloration est d'autant plus brillante qu'elle s'éloigne de l'oeil. Nous avons un exemple remarquable de cette transition du système harmonique de la peinture décorative dans l'ancienne église des Jacobins d'Agen, bâtie vers le milieu du XIIIe siècle. Cette église, conformément à l'usage établi par l'ordre de Saint-Dominique, se compose de deux nefs séparées par une épine de piliers. Peinte avec simplicité, on voit cependant que l'artiste a voulu soutenir l'effet éclatant des verrières qui autrefois garnissaient les fenêtres.

      Chacune des travées de cette salle (fig. 9) se compose d'une tapisserie bornée par les piliers engagés et par le formeret de la voûte. Une fenêtre, relativement étroite, s'ouvre au milieu de la tapisserie. En A est couché un ton uni sombre, avec filets; au-dessus est tracé un appareil brun rouge sur fond blanc, de B en C.

      Une litre est peinte en D; le tympan au-dessus de cette litre est occupé par un fond blanc avec deux écussons armoyés. Cette peinture est donc d'une extrême simplicité; les voûtes sont plus riches: non-seulement les nervures sont colorées ainsi que les clefs, mais sous les intrados des triangles de remplissages, de la clef centrale à celle des formerets, de larges bandes A (fig. 10) sont couvertes d'ornements peints d'un beau dessin. Quant aux triangles B, ils ne sont occupés que par un appareil tracé en brun rouge sur fond blanc. Or il est nécessaire d'observer que la couleur bleue n'apparaît que dans les ornements des voûtes et sur les écus armoyés. Toutes les tapisseries ne reçoivent d'autres tons que le jaune ocre, le brun rouge, le noir et le blanc laiteux.

      Ainsi, figure 11, les litres indiquées en D dans la travée, figure 9, sont colorées au moyen de deux tons, ocre jaune et brun rouge avec parties blanches et fonds noirs. Les tiges de l'enroulement sont alternativement jaunes et rouges, ainsi que les feuilles et les grappes. Les feuilles jaunes sont cernées de rouge et de noir sur fond blanc, les feuilles rouges sont couchées à plat. Deux larges filets, jaunes en dedans, rouges en dehors, arrêtent le fond noir. Ces litres varient comme dessin à chaque travée, tout en conservant la même harmonie. Les nervures des voûtes, dont la section est donnée en S (fig. 12), sont couvertes chacune d'ornements variés dont nous donnons en G et en H deux échantillons. Ces ornements ne tiennent compte qu'à demi du profil, c'est-à-dire que, pour le dessin G, le milieu a de la nervure étant en a', l'arête b tombe en b', et l'arête c en c'.

      Pour la nervure C les rosettes sont pourpres, bordées d'un filet blanc intérieur et d'un filet noir extérieur; l'oeil est jaune, bordé de noir; le fond est bleu intense (indigo). Pour la nervure H, les amandes sont jaunes bordées d'un filet blanc à l'intérieur, noir à l'extérieur; les rosettes sont blanches, avec oeil jaune bordé d'un filet noir; les fonds sont alternativement bleu intense et rouge; le vert apparaît dans d'autres nervures. Quant aux bandes des clefs de triangles, nous en donnons un échantillon dans la figure 13.

      Toutes ces bandes sont variées, mais toutes détachent le dessin sur fond noir; les méandres sont brun rouge, bleu clair et blanc avec filet blanc sur la rive antérieure. Les palmettes sont blanches avec quelques parties bleu très-clair, modelées au moyen de hachures brun rouge. Le système harmonique de coloration de cette salle,--car cette église n'est à proprement parler qu'une salle à deux nefs,--est celui-ci: pour les parties verticales, les murs, les tapisseries, harmonie la plus simple, celle qui est donnée par les tons jaune et rouge sur fond blanc avec rehauts noirs; mais pour les voûtes, plus éloignées de l'oeil et que l'on ne voit qu'à travers l'atmosphère colorée par la lumière passant à travers des verrières brillantes de ton, harmonie dans laquelle le bleu clair et le bleu intense interviennent, et par suite le pourpre et le vert, le tout rehaussé par des fonds et filets noirs: fonds noirs pour les bandes des triangles des voûtes, filets noirs seulement pour redessiner les ornements des nervures. En effet, le redessiné noir devient nécessaire dès que l'on passe à une harmonie composée des trois couleurs, jaune, rouge et bleu avec leurs dérivés; car s'il y a une si grande différence de valeur entre le jaune et le rouge brun, qu'il n'est pas nécessaire de séparer le hrun rouge du jaune ocre par un trait noir, il n'en est pas ainsi quand on juxtapose deux couleurs dont les valeurs sont peu différentes, comme le pourpre et le bleu, le bleu et le rouge, le bleu clair et le jaune, le vert et le pourpre, etc.; le filet noir devient alors absolument nécessaire pour éviter la bavure d'un ton sur l'autre, et par suite la décomposition de l'un des deux. Ainsi, si vous couchez un ton bleu immédiatement à côté d'un ton pourpre, vous rendrez le pourpre gris et louche si le bleu est intense, où le bleu clair azuré, lilas même, si le pourpre est vif. Plus on s'éloignera de l'objet peint, plus cette décomposition de l'un des deux tons, et quelquefois des deux, sera complète. Mais si, entre ce bleu et ce pourpre vous interposez, comme dans l'exemple G (fig. 12), un filet noir et un filet blanc même doublant le noir, vous isolez chacun des tons, vous leur rendez leur valeur; ils influent l'un sur l'autre sans se confondre et se nuire par conséquent; ils contribuent à une harmonie, précisément parce qu'ils gardent chacun leur qualité propre et qu'ils agissent (qu'on nous passe le mot) dans la plénitude de cette qualité. En musique, pour qu'il y ait accord, il faut que chacune des notes données, devant concourir à l'accord, soit juste; mais si une seule de ces notes est fausse, l'accord ne saurait exister. Eh bien! il en est de même dans la peinture décorative: pour qu'il y ait accord, il faut que chaque ton conserve, à part lui, toute sa pureté; pour qu'il la conserve, il ne faut pas que sa coloration ou sa valeur soit faussée par le mélange d'un ton voisin, mélange qui se fait surtout à distance, si l'on n'a pas pris le soin de circonscrire chaque ton par du noir, qui n'est pas un ton. Le blanc seul serait insuffisant à produire cet effet, parce que le blanc se colore et subit le rayonnement des tons voisins. Le noir est absolu, il peut seul circonscrire chaque ton. Il faut donc établir entre les tons d'une peinture décorative cette échelle harmonique de valeurs dont nous avons parlé plus haut, mais, il faut aussi tenir compte du rayonnement plus ou moins prononcé de ces tons; rayonnement qui augmente en raison de la distance à laquelle l'oeil est placé. Ainsi, par exemple, le bleu rayonne plus qu'aucune autre couleur. Une touche bleue sur un fond jaune, près de l'oeil n'altère presque pas le jaune; à, distance, cette même touche bleue rendra le jaune vert sale et le bleu paraîtra gris. Si la touche bleue est cernée d'un trait noir, le jaune sera moins altéré; si entre la touche bleue et le jaune vous interposez un trait noir et un trait brun rouge, le fond jaune conservera sa valeur réelle, le brun rouge circonscrira entièrement le bleu, qui demeurera pur.

      Les peintres décorateurs du moyen âge ont poussé aussi loin que possible cette connaissance de la valeur des tons, de leur influence et de leur harmonie; et si les essais qu'on a tentés de nos jours n'ont guère réussi, ce n'est point à ces peintres qu'il faut s'en prendre, mais à notre ignorance à peu près complète en ces matières. Le système harmonique simple pour les parties verticales plus près de l'oeil, composé déjà pour les voûtes, employé dans la décoration de l'église des Jacobins d'Agen, établit une transition des plus intéressantes à observer. Les décorateurs de cette salle ont été avares de bleu, et cependant, ne l'employant qu'en très-petites surfaces, ils ont immédiatement admis le pourpre, le vert et les filets noirs. Ils n'ont admis que deux tons bleus, le bleu intense (valeur indigo, mais moins azuré), et le bleu limpide (cobalt mélangé de blanc); quant au pourpre, il est brillant, comme celui qu'on pourrait obtenir avec un glacis de laque garance avec une pointe de bleu minéral sur une assiette de mine-orange posée claire. Les touches vertes, très-rares d'ailleurs, sont vives et tendent au jaune. Les bruns rouges sont éclatants, ils ont la valeur du vermillon avec plus de transparence. Les jaunes sont du plus bel ocre mélangé parfois d'une pointe de cinabre. D'or il n'en est pas une parcelle; c'est que l'or est commandé par la présence du bleu en grande surface. Nous l'avons dit tout à l'heure, le