Dans les peintures de la chapelle du Liget, si l'art est soumis à une sorte d'archaïse, on sent la recherche du beau, on aperçoit les dernières lueurs de l'antiquité, si brillantes encore dans les catacombes de la Rome chrétienne.
La figure 2, qui donne l'un des personnages peints sur les parois de la chapelle du Liget, suffit pour faire ressortir les rapports existant entre cet art du XIIe siècle et celui des époques primitives de la peinture byzantine. Les tons de ces peintures sont doux, le dessin large et ferme. Les couleurs sont: le jaune clair pour la chasuble, avec ornements bruns; le vert pour le capuchon rabattu, le blanc pour la robe; le brun rouge clair pour le manipule et le nimbe, ainsi que pour le fond. Le dessin est soutenu par un trait brun.
Pendant la période du moyen âge comprise entre le Xe siècle et la fin du XIIe, il y avait donc, dans l'art de la peinture plus encore que dans l'architecture en France, diversité d'écoles, tâtonnements; ici une soumission entière aux maîtres byzantins, là tentatives d'émancipation, observation de la nature, étude du geste, recherche de l'effet dramatique. En Auvergne, par exemple, au XIIe siècle, il existait une puissante école de peinture, serrée dans son exécution, belle par son style, autant que des fragments, rares aujourd'hui, nous permettent de l'apprécier. Mais alors (à la fin du XIIe siècle), l'attention des populations au nord de la Loire semblait se concentrer sur les développements d'une architecture nouvelle. On abandonnait les sujets peints sur les murailles pour se livrer à l'exécution de la peinture translucide des vitraux. D'ailleurs l'architecture nouvellement inaugurée n'offrait plus aux artistes de ces grandes surfaces nues propres à la peinture. La peinture se bornait à la coloration de la sculpture et aux décorations obtenues par des combinaisons d'ornements. Mais dans les cartons de leurs vitraux, les peintres avaient l'occasion de développer largement leur talent, et l'art ne restait pas stationnaire. Lorsque la fièvre d'architecture qui s'empara des populations du domaine royal de 1160 à 1230 fut un peu calmée, on vit la peinture de sujets reparaître sur les surfaces intérieures des édifices, et l'on put reconnaître les pas immenses qu'elle avait faits dans l'observation attentive de la nature, dans la recherche du beau et dans l'exécution. Il faut bien le reconnaître toutefois, elle avait perdu beaucoup au point de vue du grand style, tel que l'antiquité l'avait compris; elle penchait déjà vers la manière, l'exagération de l'expression; le geste était toujours vrai, le dessin s'était épuré, mais la grandeur faisait place à la recherche d'une certaine grâce déjà coquette.
Villard de Honnecourt, qui vivait alors (de 1230 à 1270), nous a laissé, sur les méthodes des peintres de son temps, des renseignements précieux 70.
Les vignettes de ce manuscrit reproduites en fac-simile dans les planches XXXIV, XXXV, XXXVI et XXXVII, nous donnent certains procédés pratiques pour obtenir les attitudes et les gestes des figures, au moyen de combinaisons de lignes droites ou d'arcs de cercle et de figures géométriques; nous nous bornerons à présenter ici un seul des exemples fournis, afin de faire saisir les méthodes sur lesquelles Villard s'appuie.
Voici (fig. 3) deux lutteurs que le dessinateur paraît vouloir montrer comme étant de forces égales 71. Le procédé de tracé est celui-ci (fig. 4).
Soit un triangle équilatéral ABC, dont la base AB, divisée en deux parties égales, donne deux autres triangles équilatéraux secondaires. La ligne d'axe DC étant prolongée, sur ce prolongement en E nous prenons un point, centre des arcs de cercle, FG, HI. Sur l'arc FG, ayant marqué deux points O, O, ces points sont les centres des arcs KL. Ainsi, les côtés du grand triangle équilatéral et les côtés des deux petits triangles nous donnent la direction des jambes des lutteurs; les deux arcs FG, HI, le mouvement des genoux et des torses; les arcs KL, la ligne des dos des deux figures. D'où s'ensuit la stabilité des personnages et la relation de leur attitude. Villard, qui n'est pas un peintre, mais un architecte, ne donne qu'un certain nombre de ces figures obtenues au moyen de tracés géométriques, et principalement de triangles; mais il nous fait suffisamment connaître ainsi quelles étaient les méthodes pratiques employées par les imagiers; méthodes qui obligeaient les artistes les plus médiocres à se renfermer dans l'observation de certaines lois très-simples, d'une application facile, à l'aide desquelles ils restaient dans des données justes du moins, s'ils n'avaient un mérite assez élevé pour produire des chefs-d'oeuvre.
Dans les peintures françaises du XIIIe siècle qui nous restent, l'art archaïque, encore conservé pendant la période du XIIe siècle, est abandonné; les artistes cherchent non-seulement la vérité dans le geste, mais une souplesse dans les poses; déjà éloignée de la rigidité du dessin byzantin. Le faire devient plus libre, l'observation de la nature plus délicate.
L'exemple que nous donnons ici (fig. 5), copié sur un fragment d'une peinture de la fin du XIIIe siècle 72, explique en quoi consiste ce changement ou plutôt ce progrès dans l'art. Ici le trois-quarts de la tête de la Vierge est finement tracé. La pose ne manque pas de souplesse, les draperies sont dessinées avec une liberté et une largeur remarquables au moyen d'un trait brun rouge 73. On voit que le peintre a dû opérer sur un décalque ne donnant qu'une masse générale, une silhouette et quelques linéaments principaux, et que les détails ont été rendus au bout de pinceau. Certains repentirs même ont été laissés apparents, dans le bas du manteau du côté gauche. Souvent ces peintures murales sont de véritables improvisations; ces artistes ne faisaient des cartons que pour des sujets étudiés avec un soin exceptionnel. Or, pour tracer comme un croquis une figure de grandeur naturelle, il faut posséder des méthodes sûres, très-arrêtées.
Les peintres byzantins ne faisaient pas, et encore aujourd'hui, ne font pas de cartons; ils peignent immédiatement sur le mur. Pendant le moyen âge, en Occident, on procédait de la même manière: c'est ce qui explique l'utilité absolue de ces recettes données dans le Guide de la peinture cité plus haut, dans l'essai du moine Théophile et dans le traité de Cennino Cennini. D'ailleurs, comment ces artistes qui couvraient en peu de temps des surfaces très-étendues auraient-ils eu le temps de faire des cartons; tout au plus pouvaient-ils préparer des maquettes à une échelle réduite. Pendant les XIIe et XIIIe siècles, les traits gravés dans l'enduit frais ne se voient qu'exceptionnellement, et ces traits indiquent toujours le décalque d'un carton; on aperçoit souvent au contraire des traits légers faits au pinceau, couverts de la couche colorante sur laquelle le trait définitif qui est une façon de modelé, vient s'apposer. Ce trait définitif, corrige, rectifie l'esquisse primitive, la modifie même parfois complétement, et nous ne connaissons guère de peintures des XIIe, XIIIe et XIVe siècles sans repentirs.
Les peintres du XIIe siècle employaient plusieurs sortes de peintures: la peinture à fresque, la peinture à la colle, à l'oeuf, et la peinture à l'huile. Cette dernière, faute d'un siccatif, n'était toutefois employée que pour de petits ouvrages, des tableaux sur panneaux que l'on pouvait facilement exposer au soleil. Pour l'emploi de la peinture à fresque, c'est-à-dire sur enduit de mortier frais, l'artiste commençait, ainsi que nous venons de le dire, par tracer avec de l'ocre rouge délayée dans de l'eau pure les masses de ses personnages, puis il posait le ton local qui faisait la demi-teinte, par couches successives, mêlant de la chaux au ton; il modelait les parties saillantes, ajoutant une plus grande partie de chaux à mesure qu'il arrivait aux dernières couches; puis avec du brun rouge mêlé de noir, il redessinait les contours, les plis, les creux, les linéaments intérieurs des nus ou des draperies.
Cette opération devait être faite rapidement,