On a vu précédemment que les verrières très-colorées avaient imposé une grande variété et une grande intensité de tons dans la peinture murale, ainsi que l'appoint de l'or. Mais des raisons d'économie ne permettaient pas toujours d'adopter résolûment cette harmonie compliquée que l'on ne pouvait obtenir qu'avec des ressources étendues. Il est intéressant de voir comment les artistes se sont tirés d'affaire en pareil cas, en ne pouvant employer l'or, ni le bleu par conséquent, et en se bornant à l'harmonie simple, celle qui ne comporte que le rouge, le jaune, le blanc, le noir et quelques intermédiaires, comme le gris et le vert.
Le choeur de l'église Saint-Nazaire de Carcassonne, ancienne cathédrale, est une véritable lanterne garnie de vitraux d'un éclat et d'une richesse de ton incomparables. Pour soutenir la coloration translucide de ces verrières, on a cru devoir peindre ce choeur, mais probablement les ressources étaient minimes, et l'on a visé à l'économie. Ne pouvant employer l'or, les peintres n'ont pas adopté le bleu; ils se sont contentés de l'harmonie simple, et voici comment ils ont procédé. Les verrières formant la surface totale des parois, il ne restait à peindre que l'arcature du soubassement, les piles et la voûte. La figure 16, donnant la projection horizontale de cette voûte, on a réservé le triangle A pour y tracer un sujet: le Christ dans sa gloire; tous les autres triangles ont été divisés aux clefs par des bandes b. Dans les quatre demi-triangles c ont été tracées des figures d'anges sur fonds blancs étoilés de rouge. Quant aux autres fonds des voûtes, ils ont été alternativement couchés en blanc et en ocre rouge, ainsi que l'indique le tracé, la lettre B marquant les fonds blancs et la lettre R les fonds rouges. Cela était hardi, on en conviendra. Pour soutenir la valeur de ces tons placés sous les voûtes, non-seulement celles-ci ont été coupées par les bandes des clefs, mais elles ont été bordées d'ornements très-vifs de tons et très-détaillés. Les nervures ont été de même couvertes d'ornements menus d'une extrême vivacité.
Voici (fig. 17) un détail de la partie de la voûte occupée par le Christ. Le personnage divin est vêtu d'une robe pourpre se rapprochant du violet, avec doublure vert clair; son nimbe seul est or; aussi la seconde auréole a, peinte derrière ses épaules, est-elle bleue. C'est la seule touche bleue de toute la voûte. Le fond du Christ est rouge vif, les animaux sont en grisaille, ainsi que l'auréole externe. Le fond des séraphins est brun rouge. Les deux anges et les deux séraphins sont en grisaille, avec ailes jaunes. Quant au fond F des autres grands anges, il est blanc étoilé de rouge, comme nous l'avons dit. Ceux-ci sont vêtus de jaune, avec ailes en grisaille.
La figure 18 donne les détails de la peinture de ces voûtes. En A est l'arc-doubleau, tracé en A' sur la fig. 17. Le listel b est peint de carrés alternativement vermillon et brun rouge bordés de larges traits noirs, avec demi-carrés ocre jaune. La gorge c est brun rouge. Le boudin d est orné d'une torsade alternativement noire, ocre jaune et brun rouge, chaque ton étant séparé par un filet blanc. La gorge d' est brun rouge. Le second listel e est rempli par de petits quatre-feuilles ocre jaune et brun rouge bordés d'un filet blanc, avec fond noir. La gorge f est brun rouge. Le second boudin possède sur sa partie supérieure des carrés vermillon bordés de filets blancs; le fond est ocre jaune; la gorge au-dessous est ocre jaune. Le listel h se décore par des quatre-feuilles alternativement brun rouge et ocre jaune sur fond noir et bordés de filets blanc.
Les arêtes B ont leur listel i semblable au listel e. La gorge k est brun rouge, le boudin l torsadé comme le boudin d. La gorge m possède des petits carrés gris ardoise sur fond ocre jaune, avec filet blanc inférieur. Le boudin extrême n est couvert de quatre-feuilles vermillon sur fond noir, avec filets blancs. Le filet extrême o est également blanc. En C, nous donnons l'une des bordures couchées sur les voûtes à côté des arêtes; ces bordures sont toutes à peu près semblables. Le fond du dessin est brun rouge vif; les quatre-feuilles vermillon, avec carrés noir-bleu; ils sont cernés d'un trait noir et d'un bord blanc; les carrés intermédiaires sont ocre jaune et le petit enroulement blanc. Un large filet blanc borde ces bandes; il est doublé d'un autre filet brun rouge clair, avec carrés gris ardoise et traits noirs. L'une des étoiles est figurée en p. Ces étoiles, qui sont rouges sur les fonds blancs des voûtes, sont blanches sur les fonds brun rouge. En D, nous donnons une des bandes de clefs des voûtes; leur coloration consiste en un ornement blanc quelque peu modelé de traits rouges, sur fond vermillon; un large filet brun rouge les divise par le milieu dans leur longueur; des filets blancs arrêtent les fonds vermillon et sont bordés extérieurement de filets noirs. Ces voûtes étant supportées par des faisceaux de fines colonnettes, celles-ci sont simplement colorées de tons alternativement jaunes et rouges, avec gorges noires ou rouges garnies de carrés noirs et filets blancs; les chapiteaux ont leurs feuillages peints en ocre jaune sur fond brun sombre. À l'entrée du choeur, des demi-colonnes G d'un assez fort diamètre, 0m,40, sont décorées de peintures dont nous donnons le détail développé en G'. Ce sont des carrés à quatre lobes alternativement vert bleu et ocre jaune, sur les fonds desquels se détachent des ornements jaune foncé sur le bleu verdâtre, blancs sur le jaune. Les intervalles t sont ocre jaune, avec ornements blancs dont nous traçons un fragment à une plus grande échelle en S. Les carrés lobés sont cernés d'un trait brun rouge et d'un champ blanc. Les filets externes de la demi-colonne sont blancs, brun rouge et ocre jaune. Sous les fenêtres il règne une arcature très-riche 81 peinte d'écus armoyés sur des fonds verts. Des mitres surmontent les écus. Les boudins sont ornés de torsades blanches, noires et rouges; les gorges, de tons verts, avec carrés semés noirs. Des filets blancs et rouges bordent les fonds. Malgré l'éclat des vitraux, cette coloration se soutient et s'harmonise parfaitement avec les tons translucides. Ces voûtes à triangles blancs et rouges alternés, avec leurs bandes de clefs d'un ton brillant, et leurs bordures riches, sont d'un effet très-chaud et très-solide. Les membres de l'architecture, vivement détachés par des détails très-fins où le noir joue un rôle important, se distinguent bien des remplissages, tout en paraissant légers. Ces peintures datent du commencement du XIVe siècle, comme la construction elle-même.
Il était nécessaire de prendre un parti franc lorsqu'on prétendait décorer de peintures l'architecture dite gothique. Il fallait que cette peinture laissât dominer entièrement l'éclat des vitraux colorés, ou qu'elle pût soutenir cet éclat et y participer; il était important surtout que les formes de la construction, qui ont une si grande importance à dater du XIIIe siècle dans les édifices, fussent accusées nettement par le système de peinture. Si l'on admettait les voûtes bleues étoilées d'or, par exemple, il fallait que les nervures des voûtes fussent assez brillamment colorées pour soutenir ces fonds puissants de ton et les renvoyer pour ainsi dire à un autre plan. L'or était d'un grand secours en ces occasions, ainsi que le noir cernant des tons vifs, comme le vermillon et le vert. La peinture des nerfs de voûtes ainsi