Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7 - (P). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Техническая литература
Год издания: 0
isbn:
Скачать книгу
vermillon, parce que le brun rouge ne pourrait s'harmonier ni avec le vert ni avec le pourpre; l'adjonction des tons dérivés exige que les couleurs soient pures si on les emploie. Toutefois il est bon que la première valeur soit laissée à une couleur plutôt qu'à un ton; cette première valeur ne pouvant être donnée au jaune, ce sera le ton rouge (vermillon) ou le bleu qui la prendra (habituellement le bleu). Supposons que ce soit le bleu intense qui soit la première valeur: les peintres du moyen âge se sont gardés de donner la seconde valeur à une autre couleur, c'est-à-dire au rouge; ils l'ont accordée à un ton, le plus souvent au vert, parfois au pourpre. Vient alors la troisième valeur, qui sera le rouge (vermillon); puis entre cette couleur et le jaune, un autre ton, habituellement le pourpre, parfois le vert. Après le jaune viennent les valeurs inférieures, les pourpres très-clairs (roses), les bleus clairs, les verts turquoise, les jaune-paille, blanc laiteux et gris. Car au-dessous de la dernière valeur couleur, qui est forcément le jaune ocre, il faut des tons, jamais la gamme des valeurs ne finissant par une couleur, comme rarement elle ne commence par un ton 78. Ces principes connus, il reste encore une quantité de règles d'un ordre secondaire que ces artistes du moyen âge ont scrupuleusement observées. Nous en citerons quelques-unes. Le bleu intense étant dur et froid, les peintres l'ont souvent un peu verdi, et l'ont relevé par des semis d'or; puis ils y ont presque toujours accolé un rouge vif (vermillon), puis après le rouge un vert clair ou même un blanc bleui ou verdi, des traits noirs séparant d'ailleurs chaque ton et chaque couleur. Le bleu en contact direct avec le jaune produit un effet louche, le rouge ou le pourpre a été interposé. Le bleu gris ardoise peut seul se coucher sur une surface jaune. Le vert est souvent mis en contact direct avec le bleu, et c'est une dissonance dont on a tiré parti avec une adresse rare, mais alors le vert incline au jaune ou au bleu, il n'est pas franchement vert; si le vert est en contact avec le jaune, cette dernière couleur est orangée et le vert est clair, ou le jaune est limpide et le vert est sombre. Les pourpres qui, comme surface, ont la valeur 5, et qui par conséquent doivent occuper le moindre champ dans la décoration peinte, ne s'approchent jamais du violet; ce ton faux étant absolument exclu, il incline vers l'orangé ou la garance. Nous avons souvent observé combien la nature est ingénieuse dans la combinaison harmonique des tons des plantes: ainsi sur dix géraniums ou dix roses trémières qui auront des fleurs de rouges et de pourpres différents, nous verrons dix tons verts différents pour les feuilles, tons verts combinés chacun pour le rouge ou le pourpre qu'ils entourent. Les peintres du moyen âge avaient-ils étudié les secrets de l'harmonie des tons sur la nature? Nous ne savons; mais comment se fait-il que ces secrets soient perdus, ou que les femmes seules les possèdent encore lorsqu'il s'agit de leurs toilettes? Que s'il faut peindre une salle, nos artistes semblent appliquer au hasard des couleurs, des tons, produisant dans l'ensemble une harmonie presque toujours fausse? est-ce défaut de principes, de traditions, de pratique? Il est certain que dans l'art difficile de la décoration peinte, l'instinct ne suffit pas, comme plusieurs le pensent, et que dans cette partie importante de l'architecture, le raisonnement et le calcul interviennent comme dans toutes les autres, à défaut d'une longue suite de traditions.

      La peinture décorative la plus simple, celle qui demande le moins de combinaisons, est celle que l'on obtient avec l'ocre jaune, l'ocre rouge ou brun rouge, le noir, le blanc et le composé des deux, le gris. Cette peinture n'est, pour ainsi dire, qu'un dessin, une grisaille chaude de ton, cependant elle peut produire des effets très-variés déjà. L'ocre jaune et l'ocre rouge sont deux couleurs de la même famille, pour ainsi dire, qui s'harmonisent toujours sans difficultés. Que vous peigniez un ornement jaune sur brun rouge, ou brun rouge sur fond jaune, quelle que soit la forme ou la dimension de l'ornement, celui-ci ne fera jamais tache; mais si vous rehaussez l'ornement jaune ou brun rouge de filets noirs ou blancs, vous obtenez alors des effets d'une extrême finesse et riches de ton. Cette observation peut être faite dans les salles du donjon du château de Coucy. La décoration peinte de la salle du rez-de-chaussée ne consiste guère qu'en un appareil tracé en blanc avec filets brun rouge sur un fond d'ocre jaune.

      Les formerets de la voûte se composent (voyez leur section en A, fig. 7) d'un retour d'équerre avec ornement courant de a en b et de b en c, puis d'un profil dont les membres sont alternativement peints en brun rouge et en ocre jaune. Nous donnons en B, B', B'', trois échantillons de ces ornements courants sur les deux faces en retour d'équerre. Celui B est brun rouge sur fond ocre, avec larges filets noirs sur les rives des feuilles, et trait blanc à une égale distance du bord, à cheval sur le filet noir. Celui B' est jaune foncé (ocre jaune mêlé d'ocre rouge) sur fond ocre jaune redessiné de filets brun rouge très-sombre et de traits blancs à l'intérieur; des pois blancs sont de plus marqués sur le fond jaune; celui B" est brun rouge redessiné d'un filet blanc sur fond jaune avec tiges G gris ardoise. L'effet de cette ornementation est des plus brillants. Il va sans dire que le même ornement se retrouve à chaque formeret sur les deux faces ab, bc, et se double. Quelques tons verts se voient sur les chapiteaux de cette salle et des tons vermillon sur les nervures des voûtes, mais il y a absence de bleu, le gris remplaçant parfois cette couleur. Le vert et le gris ardoise entrent sans difficultés dans cette harmonie simple, et il semble que les artistes du XIIe siècle et du commencement du XIIIe aient reculé devant l'emploi du bleu, qui, comme nous le disions tout à l'heure, exige immédiatement l'application de tons variés entre le bleu et le rouge, ou le bleu et le jaune. Il existe, dans l'édifice connu à Poitiers sous le nom de temple de Saint-Jean, des peintures du XIIe siècle qui présentent les combinaisons les plus riches de l'harmonie simple. L'une des faces de la salle principale présente avec des figures colorées en jaune, en brun rouge clair, en vert, en gris vert et gris ardoise, des litres dont nous donnons (fig. 8) deux échantillons.

      Celle A forme la frise supérieure sous la charpente, celle B tient lieu d'appui relevé sous les fenêtres. La litre A est composée d'un méandre obliqué, coloré en brun rouge, en ocre jaune et en vert sur fond blanc laiteux. Un filet blanc forme la rive antérieure du méandre. Chaque ton du méandre est modelé au moyen de hachures parallèles d'un ton plus sombre, et d'autant plus larges qu'elles s'approchent du bord postérieur de chaque face oblique. Les tons sont marqués ainsi: le brun rouge par la lettre R, le jaune J, le vert V, le gris ardoise BG. Les oiseaux sont brun rouge et jaune. Les points blancs sont piqués régulièrement sur les bandes horizontales supérieure et inférieure. À cette époque, au XIIe siècle, les points blancs (perlés) sont très-fréquemment employés sur les tons brun rouge et jaune, souvent à cheval entre les deux: c'était un moyen de donner une apparence précieuse à la peinture et d'enlever aux tons absolus leur crudité. Il est bon d'observer que les bruns rouges de ces peintures sont d'un éclat remarquable, transparents et vifs, sans avoir la dureté du rouge (vermillon). La seconde litre que nous donnons en B est sur fond gris ardoise clair; les palmes sont jaunes, les fleurons brun rouge clair avec milieu brun rouge foncé; ces ornements jaune et rouge sont bordés d'un filet blanc. L'harmonie des tons de cette litre est d'une extrême finesse et en même temps très-solide. On peignait à cette époque, c'est-à-dire pendant le XIIe siècle et le commencement du XIIIe, la plupart des édifices non-seulement à l'intérieur, mais à l'extérieur, et le système harmonique de ces peintures repose toujours, sauf de bien rares exceptions, sur cette donnée simple. Cependant on fabriquait alors une quantité de vitraux qui acquéraient d'autant plus de richesse comme couleur que les fenêtres devenaient plus grandes (voy. VITRAIL). Si avec des fenêtres d'une petite dimension, garnies de vitraux blancs ou très-clairs, sous une lumière diffuse et peu étendue, il était naturel et nécessaire même de donner à la peinture décorative un aspect brillant et doux à la fois, lorsque l'on prit l'habitude de placer des verrières très-colorées devant les baies destinées à éclairer les intérieurs, cette peinture claire, d'un ton transparent, était complétement éteinte par l'intensité des tons des nouveaux vitraux. Le bleu, le rouge, entrant pour une forte part dans la coloration translucide des vitraux, donnaient aux tons ocreux un aspect louche, les verts devenaient gris et ternes, les blancs disparaissaient ou s'irisaient. Avec les vitraux colorés il fallait nécessairement des tons brillants sur les murs et encore, ces tons, pour prendre leur valeur, devaient


<p>78</p>

La sainte Chapelle du palais présente le plus curieux exemple de cette échelle chromatique. Malgré de nombreuses et larges traces des tons anciens, lors de la restauration des peintures, les difficultés ont été nombreuses; il est des tons qu'il a fallu refaire bien des fois, et faute d'une expérience consommée. En couchant un ton dont la trace était certaine, il a fallu souvent changer la valeur des tons supérieurs ou inférieurs.