Il était peu de châteaux des XIVe et XVe siècles qui possédassent des donjons aussi étendus, aussi beaux et aussi propres à loger un grand seigneur, que celui de Pierrefonds. La plupart des donjons de cette époque, bien que plus agréables à habiter que les donjons des XIIe et XIIIe siècles, ne se composent cependant que d'un corps de logis plus ou moins bien défendu. Nous trouvons un exemple de ces demeures seigneuriales, sur une échelle réduite, dans la même contrée.
Le château de Véz relevait du château de Pierrefonds; il est situé non loin de ce domaine, sur les limites de la forêt de Compiègne, près de Morienval, sur un plateau élevé qui domine les vallées de l'Automne et de Vandi. Sa situation militaire est excellente en ce qu'elle complète au sud la ligne de défense des abords de la forêt, protégée par les deux cours d'eau ci-dessus mentionnés, par le château même de Pierrefonds au nord-est, les défilés de la forêt de l'Aigle et de la rivière de l'Aisne au nord, par les plateaux de Champlieu et le bourg de Verberie à l'ouest, par le cours de l'Oise au nord-nord-ouest. Le château de Véz est un poste très-ancien, placé à l'extrémité d'un promontoire entre deux petites vallées. Louis d'Orléans dut le rebâtir presque entièrement lorsqu'il voulut prendre ses sûretés au nord de Paris, pour être en état de résister aux prétentions du duc de Bourgogne, qui, de son côté, se fortifiait au sud du domaine royal. Véz n'est, comparativement à Pierrefonds, qu'un poste défendu par une enceinte et un petit donjon merveilleusement planté, bâti avec le plus grand soin, probablement par l'architecte du château de Pierrefonds 35
Ce donjon (45) s'élève en A (voy. le plan d'ensemble), à l'angle formé par deux courtines, dont l'une, celle B, domine un escarpement B', et l'autre, C, flanquée extérieurement d'échauguettes, est séparée d'une basse-cour ou baille E par un large fossé. Du côté G, le plateau descend rapidement vers une vallée profonde; aussi les deux courtines HH' sont-elles plus basses que les deux autres BC, et leur chemin de ronde se trouve-t-il au niveau du plateau sur lequel s'élevait un logis K du XIIe siècle presque entièrement rebâti au commencement du XVe. Ce logis, en ruine aujourd'hui, était une charmante construction. La porte du château, défendue par deux tours de petite dimension, est en I. On voit encore quelques restes des défenses de la baille E, mais converties aujourd'hui en murs de terrasses 36. Le donjon est détaillé dans le plan du rez-de-chaussée X. Son entrée est en L, et consistait en une étroite poterne avec pont à bascule 37 donnant sur un large escalier à vis montant de fond. Chaque étage contenait deux pièces, l'une grande et l'autre plus petite, munies de cheminées et de réduits. En P est un puits. On voit en F le fossé et en M l'entrée du château avec ses tours et son pont détourné. La courtine C est défendue par des échauguettes extérieures flanquantes O, tandis que la courtine B, qui n'avait guère à craindre une attaque du dehors, à cause de l'escarpement, était protégée à l'intérieur par des échauguettes flanquantes R. Par les tourelles SS', bâties aux deux extrémités des courtines élevées, on montait sur les chemins de ronde de ces courtines au moyen d'escaliers. En V était une poterne descendant de la plate-forme sur l'escarpement. Quand on examine la situation du plateau, on s'explique parfaitement le plan du donjon d'angle dont les faces extérieures enfilent les abords du château les plus accessibles. Les tourelles d'angle montant de fond forment d'ailleurs un flanquement de second ordre, en prévision d'une attaque rapprochée.
La fig. 46, qui donne l'élévation perspective du donjon de Véz, prise de l'intérieur de l'enceinte, fait voir la disposition des échauguettes flanquantes R de la courtine B, la poterne avec son petit fossé et son pont à bascule, l'ouverture du puits, la disposition des mâchicoulis-latrines, le long de l'escalier, le sommet de l'escalier terminé par une tourelle servant de guette. Du premier étage du donjon, on communiquait aux chemins de ronde des deux courtines par de petites portes bien défendues. Ainsi la garnison du donjon pouvait, en cas d'attaque, se répandre promptement sur les deux courtines faisant face aux deux fronts qui seuls étaient attaquables. Si l'un de ces fronts, celui C, était pris (c'est le plus faible à cause de la nature du terrain et du percement de la porte), les défenseurs pouvaient encore conserver le second front B, rendu plus fort par les échauguettes intérieures R (voy. les plans); s'ils ne pouvaient garder ce second front, ils rentraient dans le donjon et de là reprenaient l'offensive ou capitulaient à loisir. Dans un poste si bien disposé, une garnison de cinquante hommes arrêtait facilement un corps d'armée pendant plusieurs jours; et il faut dire que l'assaillant, entouré de ravins, de petits cours d'eau et de forêts, arrêté sur un pareil terrain, avait grand'peine à se garder contre un corps de secours. Or le château de Véz n'était autre chose qu'un fort destiné à conserver un point d'une grande ligne de défenses très-bien choisie. Peut-être n'a-t-on pas encore assez observé la corrélation qui existe presque toujours, au moyen âge, entre les diverses forteresses d'un territoire; on les étudie isolément, mais on ne se rend pas compte généralement de leur importance et de leur utilité relative. À ce point de vue, il nous paraît que les fortifications du moyen âge ouvrent aux études un champ nouveau.
Telle est l'influence persistante des traditions, même aux époques où on a la prétention de s'y soustraire, que nous voyons les derniers vestiges du donjon féodal pénétrer jusque dans les châteaux bâtis pendant le XVIIe siècle, alors que l'on ne songeait plus aux demeures fortifiées des châtelains féodaux. La plupart de nos châteaux des XVIe et XVIIe siècles conservent encore, au centre des corps de logis, un gros pavillon, qui certes n'était pas une importation étrangère, mais bien plutôt un dernier souvenir du donjon du moyen âge. Nous retrouvons encore ce logis dominant à Chambord, à Saint-Germain-en-Laye, aux Tuileries, et plus tard aux châteaux de Richelieu en Poitou, de Maisons, de Vaux près Paris, de Coulommiers, etc.
DORMANT, s. m. (Bâtis-dormant). C'est le nom que l'on donne au châssis fixe, en menuiserie, sur lequel est ferrée une porte ou une croisée. Dans les premiers temps du moyen âge, les portes et fenêtres étaient ferrées dans les feuillures en pierre sans dormants; mais ce moyen primitif, tradition de l'antiquité, avait l'inconvénient de laisser passer l'air par ces feuillures et de rendre les intérieurs très-froids en hiver. Lorsque les habitudes de la vie ordinaire commencèrent à devenir plus molles, on prétendit avoir des pièces bien closes, et on ferra les portes et croisées sur des dormants ou bâtis-dormants en bois, scellés au fond des feuillures réservées dans la pierre. Les dormants n'apparaissent dans l'architecture privée que vers le XVe siècle.
DORTOIR, s. m. Dortouoir. Naturellement, les dortoirs occupent, dans les anciens établissements religieux, une place importante. Ils sont le plus souvent bâtis dans le prolongement de l'un des bras du transsept de l'église, de manière à mettre les religieux en communication facile avec le choeur, et sans sortir dans les cloîtres, pour les offices de nuit. Quand la saison était rude ou le temps mauvais, les religieux descendaient à couvert dans le transsept et de là se répandaient dans le choeur. Les dortoirs sont établis au premier étage, sur des celliers, ou des services du couvent qui ne peuvent donner ni odeur, ni humidité, ni trop de chaleur. Les dortoirs des monastères sont ordinairement divisés longitudinalement par une rangée de colonnes formant deux nefs voûtées ou tout au moins lambrissées; ils prennent du jour et de l'air