Mémoires d'un cambrioleur retiré des affaires. Galopin Arnould. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Galopin Arnould
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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vide, les jambes molles, et je songeais déjà à vendre le revolver de Manzana, quand mon attention fut attirée soudain par un individu qui marchait devant nous… Il me semblait avoir déjà vu cette «charpente» – là quelque part…

      J'allais devancer l'homme afin d'apercevoir son visage quand une occasion s'offrit qui me permit de l'examiner à loisir. Il entra chez un bijoutier et, dès qu'il se présenta de profil, je le reconnus.

      C'était l'un des vieux messieurs de la veille.

      Ah! décidément, cette fois encore, le hasard faisait bien les choses!

      Le drôle était probablement venu dans cette boutique pour s'assurer, auprès du marchand, que le diamant n'était pas en toc.

      – Vite! dis-je à Manzana… faites comme moi, baissez votre chapeau sur vos yeux… s'il nous reconnaît tout est perdu.

      Postés tous deux au coin de la devanture, nous ne perdions pas un des gestes de notre voleur. Nous le vîmes tirer quelque chose de sa poche, le développer et le présenter au bijoutier qui eut une exclamation de surprise. Parbleu! il n'avait pas souvent vu des diamants comme le Régent. Il le regarda à la loupe, puis le posa sur une petite balance de cuivre, hocha longuement la tête et finalement le rendit au vieux monsieur.

      Celui-ci replaça le Régent dans le petit sac que l'on connaît, puis s'entretint un moment avec le bijoutier. Il cherchait évidemment à expliquer comment il se trouvait en possession d'une telle pierre précieuse…

      J'eus à ce moment l'idée de faire irruption dans la boutique, en compagnie de Manzana, de me donner comme inspecteur de la Sûreté, d'arrêter l'homme et de saisir le diamant, mais je compris tout de suite que cette façon de procéder n'amènerait pas le résultat que j'en attendais. Le marchand nous accompagnerait pour servir de témoin et, au commissariat, on confisquerait l'objet. Nous ne serions pas plus avancés que devant.

      – Attention! dis-je à Manzana… ouvrez l'œil… nous allons filer cet individu-là quand il va sortir, mais n'oubliez pas que si nous le laissons échapper, si nous perdons sa piste, nous perdons aussi notre diamant.

      – Soyez tranquille… il ne nous échappera pas…

      Et mon compagnon traversa rapidement la rue.

      L'homme était maintenant sur le pas de la porte. Il causait avec le bijoutier, et je remarquai que celui-ci semblait chercher quelqu'un, un agent probablement, afin de lui signaler le particulier, mais en province, comme à Paris, quand on a besoin d'eux, les agents ne sont jamais là.

      Je m'étais tourné à demi pour que le vieux monsieur ne pût me reconnaître. Quand enfin il quitta le bijoutier, je fis à Manzana un signe d'intelligence et me lançai sur les traces de notre voleur.

      Le filou marchait d'un bon pas et il me parut que, pour un vieillard, il avait le jarret joliment élastique. Il descendit la rue Grand-Pont, tourna à droite, s'arrêta un instant pour acheter des journaux, puis s'installa sur le quai de la Bourse, à la terrasse d'un café.

      Manzana et moi, nous nous dissimulâmes derrière un kiosque.

      – Je crois que nous le tenons, dis-je.

      – Oui, répondit mon associé, mais nous ne pouvons nous jeter sur lui, en plein jour. Si encore nous savions à quel hôtel il est descendu.

      – Nous le saurons bientôt, soyez tranquille.

      Un quart d'heure s'écoula. Notre gredin lisait toujours son journal, mais il devait certainement attendre quelqu'un, car, de temps à autre, il jetait un rapide coup d'œil dans la direction de la Bourse.

      Déjà, cela était visible, il commençait à s'impatienter, quand une femme s'approcha vivement de lui.

      – Voici votre senora, dis-je à Manzana.

      – Oui… oui, je l'ai bien reconnue… la garce!..

      Dès que la jeune femme se fut assise, notre individu se mit à lui expliquer quelque chose, en lui parlant à l'oreille. Il lui racontait évidemment la visite qu'il venait de faire au bijoutier et ce que celui-ci lui avait dit.

      Je m'étonnai cependant de ne pas voir arriver l'autre vieux monsieur, celui qui, la veille, avait entamé la conversation avec Manzana. Sans doute était-il parti en expédition, car ces gens que je considérais maintenant comme des bandits étaient des confrères… des cambrioleurs comme moi.

      Je devais même reconnaître qu'ils étaient très habiles et, en toute autre circonstance, j'aurais eu pour eux de l'admiration. Leur façon de travailler, quoique différant sensiblement de la mienne, n'en était pas moins très ingénieuse. Ils exerçaient probablement depuis longtemps, bien qu'ils ne fussent pas aussi vieux qu'ils s'efforçaient de le paraître. Ils avaient dû, pour inspirer plus de confiance, se coller une perruque et une barbe blanches, car rien n'impose le respect comme un vieillard à la chevelure de neige, décoré de la Légion d'honneur, même lorsqu'il s'est, de son propre chef, décerné cette haute distinction.

      La foule est gobeuse, elle aime ce qui est vénérable et ne se méfie presque jamais d'un vieux monsieur décoré.

      Quant à moi, ma façon de travailler est tout autre, je crois l'avoir déjà dit. Au lieu d'arborer des complets extravagants et des cravates multicolores, je préfère une mise simple et modeste qui permet de passer partout sans être remarqué.

      Ne pas être remarqué, c'est aussi une force, et je crois l'avoir suffisamment prouvé.

      Tout en me livrant à ces réflexions cambriolo-philosophiques, je ne quittais pas de l'œil mon voleur et la jeune femme qui était assise à côté de lui. Cet homme portait ma fortune sur lui et j'étais prêt à tout tenter pour la lui reprendre… à tout, même au crime… Il est vrai que je pourrais, pour ce qui était de cette dernière solution, avoir recours à Manzana qui ne devait pas être un novice en la matière, si je m'en référais à l'opinion de la dame au manteau de loutre, entrevue aux Champs-Elysées.

      XI

      OU JE ME DÉCIDE A BRUSQUER LES CHOSES

      Lorsque le vieux monsieur et la jeune dame se levèrent, je fis un signe à Manzana et nous leur emboitâmes le pas.

      Ils n'allèrent pas loin. A cinquante mètres du café se trouve l'hôtel d'Albion. Ils y entrèrent.

      La «filature» devenait difficile, car nous ne pouvions, Manzana et moi, sales comme nous l'étions, pénétrer dans le hall où l'on apercevait un domestique en culotte courte, raide et grave comme un bonhomme en cire.

      J'eus par bonheur une inspiration. Roulant à la hâte mon mouchoir dans un journal, je confectionnai un petit paquet que je tins ostensiblement à la main, et me précipitai vers le bureau de l'hôtel, en disant:

      – C'est bien le locataire du 21 qui vient de rentrer avec une jeune femme, n'est-ce pas?.. J'ai là quelque chose pour lui…

      – Non, répondit d'un ton maussade une vieille caissière aux cheveux acajou, ce n'est pas le no 21 qui vient de rentrer… C'est le 34… vous faites erreur… En tout cas, si vous avez un paquet à remettre au 21, laissez-le à la caisse.

      – Merci, dis-je, en esquissant un gracieux sourire, je reviendrai.

      Manzana m'attendait devant la porte.

      – Eh bien? demanda-t-il.

      – Eh bien… j'ai déjà une indication… Je sais quel est le numéro de la chambre de notre voleur… c'est le 34…

      – Et son nom?..

      – Je l'ignore… mais qu'importe? Du moment que je sais où trouver l'homme…

      – Vous avez l'intention de vous introduire chez lui?

      – Mais… oui… et avec vous, je suppose.

      – C'est grave cela…

      – Et la perte de notre diamant, croyez-vous que ce ne soit pas plus grave?

      – Certes… mais le coup est dangereux à tenter… encore plus dangereux à réussir.

      – Nous