Mémoires d'un cambrioleur retiré des affaires. Galopin Arnould. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Galopin Arnould
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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vivre assez longtemps ensemble… Mais trêve de sots compliments, voici un marchand d'antiquités à qui nous pourrions, je crois, offrir quelques-uns de nos objets… La boutique est d'apparence modeste, l'homme que j'aperçois dans l'intérieur m'a l'air d'un brave type… entrons…

      – Non… non… répondit Manzana… pas ici…

      – Et pourquoi?

      – Je vous le dirai plus tard…

      – Si nous continuons, nous allons nous promener toute la journée avec nos paquets… Il est déjà midi et demi et je commence à avoir faim…

      – Nous ne tarderons pas à trouver un autre marchand.

      – Soit… vous ne direz pas que je ne suis point conciliant.

      Vingt minutes plus tard, nous entrions dans une boutique de bric-à-brac située en bordure d'un terrain vague. Le gros homme qui nous reçut nous décocha, dès l'entrée, un petit coup d'œil malicieux.

      – Ah! ah! dit-il, ces messieurs ont sans doute quelque chose de bien à me proposer… mais ces messieurs tombent mal, car l'argent est rare en ce moment… on ne vend rien, mais là, rien du tout… Après tout, il est possible que je me trompe, ces messieurs veulent peut-être m'acheter quelque meuble… j'ai justement un joli trumeau Louis XVI que je leur céderai presque pour rien…

      – Non, trancha Manzana, nous venons vous offrir quelques objets de prix…

      – Oh! alors, si ce sont des objets de prix… allez voir ailleurs, je ne suis pas assez riche pour vous payer… Les affaires vont si mal!.. Tenez, vous me croirez si vous voulez, mais je n'ai pas fait un sou, depuis deux jours… c'est à fermer sa porte… oui, là, positivement… Cependant… montrez toujours… je pourrai sans doute, à défaut d'argent, vous donner un petit conseil…

      Nous avions, mon compagnon et moi, déballé nos bibelots que le rusé marchand examinait attentivement, au fur et à mesure que nous les lui passions.

      – Messieurs, nous dit-il enfin, tout cela ne vaut pas grand'chose… à part la statuette et la coupe… je ne vois pas ce que vous pourrez tirer du reste…

      – Mais, insistai-je, ce sucrier et cette cafetière sont en argent.

      – Non… monsieur, non, détrompez-vous, ils sont en métal argenté… ce qui n'est pas la même chose…

      – Cependant… ils sont contrôlés…

      – Oh!.. cela ne prouve rien… on contrôle tout aujourd'hui… même le melchior… cependant, oui, je crois que vous avez raison… c'est de l'argent, en effet, mais de l'argent à bas titre… Hum!.. hum!.. Et combien voulez-vous de tout cela?.. Si vous me faites une offre raisonnable, je consentirai peut-être à vous en débarrasser, mais c'est bien pour vous obliger, je vous le jure, car voilà des objets que je ne vendrai peut-être jamais… c'est démodé… cela ne se demande plus… Enfin… parlez…

      – Cinq cents francs, dis-je sans sourciller…

      Le marchand eut un geste désespéré, suivi d'un petit rire qui ressemblait à un gloussement de poule.

      – Cinq cents francs! Cinq cents francs!.. Ah! vous ne doutez de rien… Pourquoi pas mille francs, pendant que vous y êtes?.. Allons, messieurs, je vois que nous sommes loin de compte… reprenez vos affaires et n'en parlons plus…

      Manzana, qui était d'une maladresse insigne, allait proposer un chiffre inférieur, mais je lui lançai un coup d'œil et il se tut… Je suis, de par ma profession, rompu aux marchés de ce genre, et m'entends mieux que quiconque à discuter avec les receleurs… pardon, avec les commerçants… Je sais par expérience que, lorsqu'on a donné un chiffre, il ne faut jamais le baisser immédiatement, sinon l'on s'expose à recevoir une offre ridicule… Je fis donc mine de remballer les objets.

      Le marchand me regardait en souriant…

      – Voyons, dit-il enfin, raisonnez un peu, messieurs… comment voulez-vous que je paye cinq cents francs…

      – C'est bien!.. c'est bien, répliquai-je d'un ton maussade, n'en parlons plus… du moment que vous ne vouliez pas acheter, ce n'était pas la peine de nous laisser déballer nos bibelots… et installer une exposition dans votre boutique…

      Le gros homme demeura un instant silencieux, puis s'écria tout à coup…

      – Vraiment, cela m'ennuie de ne pouvoir faire affaire avec vous… vous êtes certainement de braves et dignes jeunes gens et je suis sûr qu'une autre fois, vous m'apporterez quelque chose de plus avantageux… Tenez… je vous aligne deux cent cinquante francs… vous voyez que je suis arrangeant… C'est tout juste le prix auquel je revendrai ces machines-là… si je les revends…

      J'allais opposer au marchand un refus catégorique, mais cet imbécile de Manzana répondit aussitôt:

      – Soit, deux cent cinquante.

      Je n'avais plus rien à dire.

      – Maintenant, reprit le bonhomme, vous connaissez la loi, je dois vous payer à domicile… cependant, comme m'avez l'air d'honnêtes garçons et que je tiens à vous prouver ma confiance, je consentirai à vous payer ici… à condition toutefois que vous me montriez vos papiers… carte d'électeur, quittance de loyer ou… une pièce quelconque…

      – Voici, dit Manzana en exhibant froidement la lettre recommandée qu'il avait reçue, le matin même, de sa propriétaire.

      Quant à moi, je tendis un vieux passeport, qui avait appartenu, je crois, à un neveu de M. Lloyd George.

      Le marchand se contenta de ces pièces d'identité, et nous versa deux cents cinquante francs en billets crasseux dont Manzana s'empara aussitôt.

      Je trouvai le procédé assez indélicat, mais avec un rustre comme mon «associé» il fallait s'attendre à tout.

      Lorsque nous fûmes seuls, je crus toutefois devoir lui faire remarquer qu'il aurait pu, au moins, me laisser ramasser l'argent. Il se fâcha, voulut le prendre de haut, la dispute s'envenima au point qu'il me saisit au collet.

      Cet accès de colère lui coûta cher, car pendant qu'il me secouait en menaçant de m'étrangler, adroitement, d'un geste rapide, je plongeai ma main dans la poche de son overcoat et lui enlevai son browning.

      A la fin, honteux de sa brusquerie, il me fit des excuses que j'acceptai d'autant plus volontiers qu'il était à présent à ma merci.

      Ah! nous allions bien rire, tout à l'heure, lorsqu'il voudrait replacer le diamant dans le coffre-fort.

      IX

      UNE EXPLICATION ORAGEUSE

      J'ai toujours eu pour habitude de ne jamais désespérer de la Fortune, même quand elle semble devoir m'abandonner tout à fait. Le lecteur a déjà dû s'en apercevoir, et j'ose espérer qu'il n'a pas suivi, sans éprouver à mon endroit quelque inquiétude, les diverses péripéties de ce récit ou plutôt de cette confession. Il a dû remarquer aussi que, jusqu'à présent, le personnage sympathique dans toute cette histoire, c'est moi… moi, Edgar Pipe… un cambrioleur!

      Puissé-je jusqu'au bout mériter cette sympathie!

      Mon seul crime a été de vouloir m'enrichir aux dépens d'autrui et j'attends que celui qui n'a pas eu cette intention, au moins une fois dans sa vie, me jette la première pierre. Certes, je ne me fais pas meilleur que je ne suis, mais quand je me compare à certaines gens, je ne me trouve guère plus méprisable qu'eux. Seulement, voilà, il y a la manière… Le vol a ses degrés… Celui qui prend carrément dans la poche ou le domicile d'autrui, au risque de se faire tuer d'un coup de revolver, celui-là est considéré comme un bandit. Par contre, l'homme qui vole avec élégance, en y mettant des formes et, sans exposer sa peau, se trouve, au bout d'un certain temps, absous par l'opinion.

      Drôle de société tout de même que celle où nous vivons! Enfin!

      Que l'on me pardonne cette digression… mais j'estime que, lorsqu'on écrit ses mémoires, il ne faut rien celer