Je me présentai au comptoir où trônait une grosse commère au visage couperosé et lui demandai combien je lui devais. Elle jeta un coup d'œil sur la table que nous venions de quitter, fit un rapide calcul et répondit:
– C'est six francs huit sous.
Je lui tendis le billet de cinquante francs. Elle le prit, le retourna un moment entre ses doigts, l'examina devant la fenêtre, puis s'écria soudain en me foudroyant du regard:
– Il est faux, votre billet!
Il ne nous manquait plus que cela. Que pouvions-nous faire? discuter? cela n'eût avancé à rien.
Je compris que le plus sage était de battre en retraite. Manzana était déjà dehors, moi, tout près de la porte. Avec la rapidité d'un zèbre poursuivi par un chasseur, je m'élançai dans la rue et pris ma course vers les quais, suivi de mon associé.
Avant que la grosse débitante fût revenue de sa surprise et eût pu lancer quelqu'un à notre poursuite, nous avions disparu parmi l'encombrement des barriques et des balles de coton arrimées sur le port. Néanmoins, comme nous ne nous sentions pas en sûreté au milieu des débardeurs et des calfats qui allaient et venaient, nous enfilâmes une rue, puis une autre, marchâmes pendant près d'une heure, et nous arrêtâmes enfin devant un jardin public.
– Entrons là, dis-je à Manzana.
XII
LA FACHEUSE NUIT
Une large allée sablée, bordée de plantes exotiques, s'ouvrait devant nous et aboutissait à un grand bâtiment blanc flanqué à droite et à gauche d'énormes caisses peintes en vert où s'obstinaient à pousser des arbustes rachitiques. Un parc avec des parterres de fleurs d'hiver s'étendait à perte de vue, bordé dans le fond par une ligne d'arbres géants. Un bassin parsemé de nénuphars miroitait au soleil; des enfants accompagnés de leurs nounous jouaient sur le sable devant une rotonde garnie de bancs et de chaises.
Un grand écriteau placé au coin d'une allée nous apprit que nous étions au Jardin des Plantes de Rouen.
– Je crois, murmura mon compagnon, que l'on ne viendra pas nous chercher ici…
– Je ne le pense pas… Asseyons-nous donc un peu au soleil pour nous reposer.
Un banc était libre: nous y prîmes place et, tout en laissant errer notre regard sur les pelouses et les massifs de fusains, nous envisageâmes froidement la situation.
– Nous ne pouvons retourner en ville, dis-je à Manzana.
– Bah! et pourquoi? Rouen est vaste et c'est encore là que nous serons le plus en sûreté. Que voulez-vous que nous fassions par ici? Nous sommes en pleine campagne et nous ne tarderons pas à être remarqués. D'ailleurs, vous avez assez d'expérience pour savoir que c'est dans les villes que les gens comme nous arrivent le mieux à se débrouiller…
– Vous oubliez que nous avons plusieurs ennemis à nos trousses; d'abord le cocher que nous avons si brusquement lâché, ensuite la débitante qui doit promener partout le faux billet de cinquante francs et enfin «nos victimes» de l'hôtel d'Albion… Vous supposez bien que cette dernière affaire a dû s'ébruiter…
– C'est vrai, mais personne ne nous a vus. Qui donc nous accusera? Nos voleurs?.. Ils ne peuvent donner de nous qu'un vague signalement… Nous n'avons à craindre que le cocher et la marchande de vins, mais il y a quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent pour que nous ne les rencontrions pas…
– La marchande de vins, possible, mais le cocher? Vous pensez bien qu'il doit traîner par toute la ville avec son affreuse guimbarde.
– Il est assez facile de l'éviter… D'ailleurs, s'il nous apercevait, nous aurions le temps de nous enfuir avant qu'il nous ait désignés à un agent…
– Vous devenez tout à fait optimiste, mon cher.
– Ma foi, cela ne vaut-il pas mieux que de voir tout en noir?
– Certes, répliquai-je, et il est probable que je serais dans le même état d'esprit que vous, si j'avais seulement deux petits billets de cent francs en poche, mais ce qui m'inquiète, ce qui me désespère, c'est cette maudite question d'argent!..
– Il est vrai que c'est assez inquiétant… mais pour résoudre cette question-là, vous êtes sans contredit bien plus habile que moi…
Je ne relevai pas l'allusion.
Il y eut un assez long silence entre nous. Ce fut Manzana qui le rompit.
– Tout cela, dit-il, ne doit pas nous faire oublier nos conventions.
– Quelles conventions?
– Comment!.. vous ne vous en souvenez déjà plus?
– Expliquez-vous.
– Eh bien, n'avait-il pas été entendu que si nous retrouvions le diamant nous en aurions la garde à tour de rôle… or, c'est vous qui l'avez en ce moment… Vous le garderez donc une semaine, mais moi, je dois avoir le revolver…
Конец ознакомительного фрагмента.
Текст предоставлен ООО «ЛитРес».
Прочитайте эту книгу целиком, купив полную легальную версию на ЛитРес.
Безопасно оплатить книгу можно банковской картой Visa, MasterCard, Maestro, со счета мобильного телефона, с платежного терминала, в салоне МТС или Связной, через PayPal, WebMoney, Яндекс.Деньги, QIWI Кошелек, бонусными картами или другим удобным Вам способом.