Mémoires d'un cambrioleur retiré des affaires. Galopin Arnould. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Galopin Arnould
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
isbn:
Скачать книгу
même les deux cent cinquante francs que nous devions à la complaisance du marchand.

      – Vous êtes, dès maintenant, me dit-il, le caissier de notre association.

      – Et vous le principal actionnaire, n'est-ce pas?

      Un vilain sourire plissa sa face jaune et il me frappa sur l'épaule en s'extasiant sur mon esprit de repartie.

      Peut-être espérait-il par la flatterie se concilier mes bonnes grâces, mais la façon plutôt rude dont avaient commencé nos relations m'interdisait toute familiarité avec ce rasta colombien.

      Comme nous passions au coin de la rue d'Orchampt et de la rue Lepic, je lui dis à brûle-pourpoint:

      – Accompagnez-moi donc chez moi où j'ai besoin de prendre quelques papiers…

      – Vous habitez par ici? fit-il interloqué.

      – Oui, à deux pas… au 37 de la rue d'Orchampt.

      – Soit, allons-y, dit-il… il n'y a personne chez vous?

      – Pas que je sache, à moins qu'un cambrioleur n'ait eu l'idée de venir explorer mon appartement.

      Le concierge était sur le pas de la porte.

      – Tiens! monsieur Pipe! s'écria-t-il… alors, vous êtes revenu de voyage?

      – Oui, vous le voyez… mais je vais repartir pour quelques jours. S'il vient des lettres pour moi, vous les garderez…

      Nous montâmes. J'avais voulu faire passer Manzana devant, mais il s'y refusa obstinément.

      Une fois chez moi, je mis dans ma valise un complet, des bottines et quelques chemises, puis après avoir jeté un coup d'œil sur ce home assez misérable où j'avais cependant vécu avec ma maîtresse des heures délicieuses, j'entraînai Manzana.

      – Vous êtes un malin, vous, me dit-il. Vous me faites vendre les objets qui garnissaient mon appartement, mais vous conservez précieusement les vôtres.

      – Mon cher, répliquai-je assez sèchement, si vous aviez un peu de flair, vous auriez deviné tout de suite que je suis comme vous, en meublé!.. Vous supposez bien que si je m'étais arrangé un intérieur, je l'eusse fait avec un peu plus de goût…

      – En effet, accorda-t-il… ce n'est guère luxueux…

      Et il ajouta, narquois:

      – Vous viviez ici avec une petite femme, hein?.. J'ai vu sur le lit un gracieux kimono… Alors, vous la plaquez comme cela, sans remords… Pourquoi ne l'emmenez-vous pas?.. Une femme, c'est souvent utile… dans votre profession… Elle peut servir de rabatteuse et… dans les moments difficiles.

      Je lui décochai un tel regard qu'il n'osa pas achever.

      Décidément, ce gaillard-là était encore plus méprisable que je ne le supposais.

      – Voyons, lui dis-je… où allez-vous? rentrons-nous boulevard de Courcelles ou filons-nous directement à la gare.

      – J'ai besoin, répondit-il, de rentrer chez moi… mais ne croyez-vous pas que nous pourrions déjeuner?..

      – C'est une idée…

      Nous entrâmes dans un restaurant de la place Clichy et choisîmes une petite table placée tout au fond de la salle. Avant d'accrocher mon pardessus, je glissai sournoisement le revolver qui s'y trouvait dans la poche de derrière de ma jaquette. Manzana voulut évidemment faire comme moi, mais soudain je le vis pâlir et rouler des yeux en boules de loto…

      – Vous avez perdu quelque chose? demandai-je vivement.

      – Oui… répondit-il d'un ton bourru.

      – Serait-ce le diamant, grands dieux?

      Cette question éveillant en lui un nouveau soupçon, il porta aussitôt la main à son gilet.

      – Non, grogna-t-il… j'ai toujours l'objet…

      – Ah! tant mieux!.. vous m'avez fait une de ces peurs…

      Durant tout le repas, Manzana ne dit pas un mot. Il était furieux, cela se voyait à sa figure, mais il était aussi fort inquiet. Il n'osa point me parler du revolver, bien qu'il fût à peu près sûr que c'était moi qui l'avais pris.

      Quand nous en fûmes au café, il alluma une cigarette et me dit d'un ton mi-plaisant, mi-sérieux:

      – Croyez-vous, Pipe, qu'il soit bien utile de retourner boulevard de Courcelles?

      – Ma foi, ce sera comme vous voudrez… Ne m'avez-vous pas dit tout à l'heure que vous aviez besoin de passer chez vous?

      – Oui, mais j'ai réfléchi… Il est préférable que nous ne remettions pas les pieds dans cet appartement…

      – Cependant, vous avez besoin de votre valise… Vous ne pouvez pas vous embarquer sans linge de rechange.

      – J'achèterai en route ce qui me sera nécessaire.

      – Acheter… acheter!.. et avec quoi?.. Vous semblez oublier que lorsque nous aurons payé notre déjeuner, il nous restera environ deux cent trente francs sur lesquels il faudra prélever nos frais de voyage. A notre arrivée à Londres, nous aurons à peine une vingtaine de francs… avec cela, nous n'irons pas loin.

      – Ne m'avez-vous pas dit que vous aviez des amis là-bas?

      – Oui, mais je ne puis aller comme cela, tout de go, leur emprunter de l'argent, le revolver sur la gorge.

      A ce mot de revolver, Manzana pâlit et une lueur mauvaise passa dans ses yeux.

      – Je croyais… balbutia-t-il.

      – Avouez, lui dis-je en riant, que dans notre association, je joue un rôle plutôt ridicule… Je vous «procure» un diamant qui doit vous assurer la fortune et je suis encore obligé de subvenir à tous les frais. Vous ne trouverez pas souvent, cher ami, un garçon aussi complaisant que moi…

      – N'était-ce pas convenu ainsi?

      – Oui, je ne dis pas, mais permettez-moi de m'étonner que vous ayez encore la prétention de renouveler votre garde-robe avec l'argent de notre voyage… Pourquoi ne voulez-vous pas rentrer chez vous pour y prendre ce qui vous est nécessaire?..

      – Je ne veux pas rentrer chez moi parce que je crains de me faire arrêter…

      – Mauvaise excuse, mon cher Manzana, mauvaise excuse!.. Si l'on doit vous arrêter, vous le serez plutôt à la gare que boulevard de Courcelles.

      – C'est possible… mais je vous le répète, je ne retournerai pas à mon appartement.

      – Libre à vous, mais, en ce cas, ne comptez point sur moi pour vous acheter même une chemise…

      – Tant pis! je m'arrangerai comme je pourrai.

      Je vis bien qu'il était inutile d'insister. Manzana refusait de remettre les pieds boulevard de Courcelles, parce qu'il voulait éviter un petit drame dans lequel, cette fois, il n'aurait pas le premier rôle. Il se doutait bien que c'était moi qui avais pris son browning et il craignait que je ne me fisse rendre le diamant, en usant de l'argument péremptoire qu'il avait employé avec moi.

      Je réglai la note qui se montait à dix-neuf francs cinquante et demandai au garçon l'indicateur des chemins de fer.

      A ce moment, Manzana voulut s'absenter.

      – Un instant, dit-il, et je reviens…

      – Pas du tout, lui dis-je… je vous accompagne…

      – Mais, puisque je laisse ici mon chapeau et mon pardessus…

      – Ils ne valent pas le Régent, mon cher… je serais refait…

      Il n'insista pas, mais je vis bien qu'il était de plus en plus furieux.

      Avait-il réellement l'intention de «filer à l'anglaise» comme Edith? Je ne le crois point, mais je n'étais pas fâché de lui donner une petite leçon.

      Pour l'instant,