Pauline, ou la liberté de l'amour. Dumur Louis. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumur Louis
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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de courage pour tenter de nouvelles expériences et courir à d'autres désastres. Elle avait renoncé à l'amour. Ce qu'elle voyait autour d'elle, le triste spectacle de l'adultère contemporain contribuait à la maintenir dans la détermination qu'elle avait prise. Il semblait qu'on ne pût pas aimer autrement que de cette façon avilissante. Plutôt ne pas aimer! se disait-elle.

      Les années avaient passé.

      Cependant, Pauline avait beau se faire illusion sur sa tranquillité présente, elle sentait bien, au fond, qu'elle n'avait pas encore réellement pris congé de la vie. Elle était jeune, l'avenir s'ouvrait toujours devant elle. Partagée entre sa volonté bien arrêtée de ne plus tomber dans le piège de l'adultère et les aspirations de son cœur qui ne pouvait pas s'abstenir de battre, elle demeurait incertaine d'elle-même, inquiète d'être femme, irritable et sans fondement moral. Lorsque Facial l'avait par trop énervée, elle se laissait aller aux plus amères pensées de révolte. Il fallait que le souvenir de son fils, le visage aimé de son Marcelin s'interposât et l'exhortât à la patience. Pour lui, elle taisait ses griefs. Puis, d'autres fois, dans les périodes d'indifférence, elle s'estimait relativement heureuse. Son mari était bon, commode. Avec lui, elle jouissait d'une douce sécurité. A tout prendre, cela valait mieux, peut-être, que d'être livrée aux hasards du cœur.

      Des pas se firent entendre. Pauline tressaillit, arrachée aux souvenirs, qui, malgré tout, sont encore du rêve. C'était Facial qui rentrait.

      Il arrivait d'excellente humeur.

      – Quelle belle journée! fit-il. Il faut croire que ce pauvre Derollin avait invité le soleil à son enterrement. Cette promenade m'a fait du bien.

      – Y avait-il beaucoup de monde?

      – Oui, oui: Derollin avait des amis. J'ai vu Sénéchal. Nous avons causé pendant le trajet. Mon affaire va très bien. Je compte figurer à l'Officiel au nouvel an. Il y a déjà longtemps que j'en ai assez de cette petite fioriture, dit-il en envoyant une chiquenaude sur sa boutonnière, où était noué un ruban de chevalier: c'est le moment de remplacer ça par une rosette.

      Facial se mit à raconter par le menu sa journée. Il s'extasia sur le déjeuner qu'il avait fait, avec Sénéchal, à la sortie du cimetière, dans un cabaret du boulevard Montparnasse.

      – Il y a des coins ignorés dans Paris!

      Les huîtres, le perdreau, le fromage, tout s'était trouvé exquis. On avait servi un cassoulet provençal dont il se pourléchait encore les lèvres. Et quel Chambertin!

      – A propos, dit-il négligemment, une nouvelle qui vous intéressera peut-être: les journaux annoncent la mort de M. de Hartwald, décédé à Constantinople… Vous savez, ce M. de Hartwald qui a été ici secrétaire d'ambassade et qui, pendant quelque temps, venait assez souvent chez nous.

      – Pauline pâlit. Une violente émotion serra ses tempes. Un instant, tout tourna dans sa tête. Puis, brusquement, elle sentit que des larmes allaient jaillir.

      III

      Le rideau se levait, lorsque Facial et Pauline arrivèrent. Ils trouvèrent dans la loge M. et Mme Chandivier déjà installés. Pauline prit place à côté de Julienne, tandis que Chandivier, après un rapide serrement de main à Facial, lui soufflait dans l'oreille:

      – Attention, elle va faire son entrée.

      Facial regarda la scène. La comédienne qui jouait le rôle principal venait de donner un coup de timbre. Une femme de chambre parut: c'était Rébecca.

      – «Mademoiselle est auprès de M. le vicomte», eut-elle à dire.

      Puis elle sortit.

      Facial se tourna vers Chandivier qui rayonnait:

      – Mes félicitations, fit-il, elle a très bien dit ça.

      – Ces petits rôles n'ont l'air de rien, dit Chandivier; mais le difficile n'est pas tant de parler que de se tenir en scène, d'effectuer convenablement les entrées et les sorties. Du reste, attendez-la à sa grande scène du deuxième acte: vous verrez qu'elle n'est pas trop déplacée sur les planches du Théâtre-Français.

      A la vue de Rébecca, Julienne n'avait pas sourcillé. Lorsqu'elle eut disparu, un fin sourire erra sur ses lèvres. Elle toucha du bout de son éventail le bras de Pauline et, tandis que les deux hommes chuchotaient derrière elle, lui demanda à voix basse.

      – Comment la trouvez-vous? Jolie fille, n'est-ce pas?

      La pièce se poursuivait.

      – «Je ne suis pas de celles qui se figurent qu'un autre homme peut faire oublier à une femme l'homme qu'elle aime et qui la trahit,» débitait la première actrice à une seconde qui servait à la fois de confidente et de mentor; «à ce compte-là, on ne s'arrêterait plus; car il n'y a aucune chance que le second vaille mieux que le premier et l'inévitable troisième que le second. Ou nous aimons notre mari, et alors celui qui prétend le supplanter nous apparaît comme un simple imbécile, ou nous n'aimons plus notre mari, et alors, si, ayant épousé librement, comme nous l'avons fait, toi et moi, un homme qui nous plaisait plus que les autres, nous arrivons à ne plus rien lui inspirer, à ne plus rien éprouver pour lui, c'est démence ou dévergondage de risquer une nouvelle épreuve avec un monsieur qui vient vous offrir secrètement, sans respect, sans sacrifice, sans amour, je ne sais quel passe-temps honteux, quelle compensation dégradante de fiacre et d'hôtel garni.»

      Julienne se mit à rire à cette tirade qu'elle était si peu faite pour goûter.

      – Ce personnage est un peu bête, glissa-t-elle à Pauline. Comme si l'on n'aimait qu'un seul homme dans la vie, et comme si ce seul homme devait nécessairement être le mari! On aime ou on n'aime pas son mari, c'est certain: mais, si on l'aime, rien n'empêche qu'on ne puisse en aimer d'autres aussi; et si on ne l'aime pas, c'est une raison majeure pour chercher ailleurs ce qu'on ne trouve pas chez lui. Avant tout l'amour!

      Pauline était mieux en situation de comprendre. Mais, dans sa pensée, elle rapportait ces paroles bien plus à Hartwald qu'à Facial, et le sens en était ainsi complètement dénaturé. D'ailleurs, elle n'admettait pas cet exclusivisme de l'amour. Et si, pratiquement, les «nouvelles épreuves» lui faisaient peur, c'était pour le peu de dignité que l'adultère lui semblait comporter dans la société actuelle, et non point par fidélité à quelque souvenir que ce soit. Qu'est-ce que le souvenir, une fois que l'amour est mort? Et qu'était-ce que le souvenir pour elle qui – elle s'en rendait bien compte maintenant – n'avait pas même connu le véritable amour?

      – «Et si Lucien est infidèle», continuait l'actrice, «je me vengerai, c'est certain, mais pas comme les autres… Il faudra bien que je sache la vérité. Si elle est ce que je crois, je te réponds que j'en aurai vite fait et que je ne resterai pas longtemps au partage. Tout ou rien!»

      C'était donc une femme jalouse de son mari, et qui, pour peu que ses soupçons fussent fondés, méditait de se venger de lui, non point par les procédés ordinaires, l'amant consolateur, mais par l'adultère brutal, sans plaisir, pour la seule satisfaction de lui crier après: Voilà, je t'ai rendu la monnaie de ta pièce.

      Un quart d'heure de dialogue entre divers personnages, et les soupçons se changeaient en certitude.

      Suivait alors la scène avec le mari:

      – «Tu sors?

      – «Oui.

      – «A cette heure-ci? Où vas-tu?

      – «Au cercle.

      – «Qu'est-ce que tu vas faire au cercle?»

      Lucien s'embrouillait et finissait par avouer qu'il allait au bal de l'Opéra. Là-dessus, l'ultimatum, sur lequel allait, sans doute, pivoter la pièce:

      – «Regarde-moi bien. Je t'aime passionnément; j'adore l'enfant né de cet amour, je suis une très honnête femme et je n'ai qu'une idée, c'est de continuer à l'être; mais, comme je tiens le mariage pour un engagement mutuel, comme nous nous sommes volontairement juré respect et fidélité, que je te suis fidèle et que tu n'as à me reprocher