Pauline, ou la liberté de l'amour. Dumur Louis. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumur Louis
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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ah! fit Pauline.

      – Au reste, continua Facial, ce n'est qu'un bout de rôle insignifiant. Mais Chandivier jubile d'avoir réussi à pousser Rébecca jusque dans la Maison de Molière. Et il faut avouer qu'il a lieu d'être fier de son influence. Un accessit de comédie et deux fours noirs à l'Odéon étaient un peu durs à faire avaler comme antécédents! La petite n'a pas plus de talent qu'une borne.

      – Madame y sera?

      – Madame y sera, cela va sans dire.

      – C'est étrange.

      – Mais non.

      – Vous tenez beaucoup à cette soirée?

      – Oui. Pourquoi n'irions-nous pas?

      – Oh! je n'y vois aucun inconvénient.

      – Les Chandivier sont des gens très bien.

      – Des gens très bien.

      Pauline prononça ces derniers mots avec une ironie mal dissimulée. Il lui était difficile, malgré son habitude de la société, de rester impassible devant ces compromis incessants entre la morale et les mœurs.

      – Sapristi! s'écria Facial en tirant sa montre. Onze heures et demie! Et ce pauvre Derollin qu'on enterre! Il ne faut pas que je manque les obsèques. J'espère y rencontrer Sénéchal; je le tâterai au sujet de ma décoration.

      – Celui-là, dit Pauline, vous le rencontrerez comme vous voudrez chez les Chandivier.

      – Je sais: mais aux cérémonies funèbres les gens sont toujours beaucoup plus abordables.

      Et Facial partit, après avoir donné un baiser rapide à sa femme.

      II

      «Quel mari! songeait Pauline. Comme il est différent de moi! Il a des idées étroites que je n'ai pas et de larges tolérances dont je suis incapable. Il aime le bel ordre social; et je souffre de le savoir superficiel et menteur. Il s'applaudit de ce qui me navre, se lamente de ce qui me console. Nos âmes sont aux antipodes. Il a peut-être raison, mais je sens la vie avec une telle divergence, que je ne puis que lui donner tort. Jadis, j'essayais de le comprendre; maintenant, je fuis jusqu'aux discussions avec lui. Quelle âme banale! comme il se repaît avec plaisir de cette existence frelatée! Je l'ai bien jugé, lorsque je l'ai appelé un égoïste et un prudent. S'est-il rendu compte de ce que cela signifiait? Un égoïste: un homme qui non seulement n'aime et ne satisfait que lui, mais entend imposer ses goûts et ses doctrines, et n'admet pas qu'on puisse se mouvoir dans un autre ordre d'idées que le sien; un prudent: c'est-à-dire un médiocre, dont par conséquent ni les goûts, ni les doctrines ne sont originaux, mais qui ramasse dans le domaine public les formules les plus usées pour en confectionner sa personne morale. Un égoïste encore, dans la pratique de la vie, par le souci qu'il a de sauvegarder ses plus minces intérêts, fût-ce aux dépens de ses dogmes, lorsqu'ils se trouvent en opposition; et un prudent toujours, par sa pusillanimité devant ceux qui ont l'opinion pour eux. Comment se fait-il que j'aie supporté pendant dix ans un homme qui m'est si étranger? Je sais qu'autrefois je ne réfléchissais pas sur moi-même avec l'intensité d'aujourd'hui. Je n'ai cependant jamais été docile à me plier aux servitudes. Mais l'habitude nous maîtrise: on commence à céder par bienveillance, on continue par amour de la paix; jusqu'au moment où l'exaspération même de cette résignation déchaîne une tempête d'autant plus violente qu'elle a été plus longtemps retenue. Il y a des jours où je suis sur le point de haïr mon mari. Ce que je sais, en tout cas, c'est que je ne l'aime plus. L'ai-je jamais aimé?»

      Sur cette interrogation douloureuse, d'anciens souvenirs se firent jour.

      Elle vivait alors chez une vieille tante, qui l'avait recueillie, elle et les rentes qu'elle tenait de son père. Elle était quasi orpheline. Son père mort, sa mère internée dans une maison de santé. A dix-huit ans, l'existence retirée qu'elle avait menée jusqu'ici changea. On lui fit voir du monde. La vieille tante rouvrit pour elle son salon. Parmi les hommes qui lui furent présentés se trouvait Facial. Elle l'avait aperçu jadis dans la maison de ses parents, alors qu'elle courait encore en robe courte. Facial, qui en était à sa première moustache, se mêlait déjà d'être sérieux. La fillette n'avait eu que peu de rapports avec lui. Lorsqu'elle le revit chez sa tante, elle le reçut cependant avec moins de froideur que les autres, pour la raison qu'il ne lui était pas complètement inconnu. Ils se dirent les choses d'usage:

      – Comme vous voilà transformée! Je ne faisais guère attention à vous, autrefois. Maintenant, vous êtes une demoiselle accomplie, d'une éducation parfaite. Vous devez avoir bien des admirateurs!

      – En vous comptant?

      – Le tout premier.

      Quelques soirées musicales, un ou deux bals, où il fut empressé. Ils jouèrent une fois la comédie.

      Un jour enfin:

      – Mademoiselle Pauline – permettez-moi de vous donner ce nom en une circonstance aussi solennelle – je voudrais vous faire une question, à laquelle je vous prie de répondre avec la gravité qu'elle comporte. Que pensez-vous du mariage?

      – Mais, ce que tout le monde en pense, répondit la jeune fille: le mariage est un lien sacré unissant deux personnes qui s'aiment.

      – Très bien, et c'est ainsi que je l'entends moi-même. Malheureusement, tout le monde ne pense pas comme nous. Trop de gens ne font du mariage qu'une affaire et engagent leur existence sans engager aussi leur cœur. Les hommes recherchent une dot, une alliance utile à leur carrière: les femmes un nom, l'indépendance, que sais-je? Je ne suis pas plus de ceux-là, que vous n'êtes, je l'espère, de celles-ci. Certes, un mariage doit toujours présenter quelque chose d'honorable pour les deux parties: mais la raison principale de cet acte important ne saurait être que l'amour. Est-ce bien là votre opinion?

      – Oui, Monsieur.

      – J'en suis heureux, car je ne vous cacherai pas, Pauline, que je vous aime; et si ce sentiment trouve quelque écho dans votre cœur, mon vœu le plus cher serait de vous épouser.

      A cette déclaration attendue, Pauline ne se troubla pas trop. De la meilleure foi du monde, elle mit sa main dans celle de Facial et lui avoua que, de tous les hommes qu'elle avait vus jusqu'ici, lui seul avait su lui plaire.

      – Vous m'aimez donc! s'écria celui-ci avec une douce joie.

      Et le «oui» fatal, aussi sincère qu'il pouvait l'être alors, sortit sans inquiétude des lèvres de la jeune fille.

      Le lendemain, Facial la demanda officiellement en mariage à la vieille tante et fut agréé.

      Deux mois après, ils étaient unis.

      «Extraordinaire illusion, pensait Pauline, que celle de la vierge qui se figure qu'elle aime, lorsqu'elle ne sait pas ce que c'est que l'amour! De gaieté de cœur, elle se lie pour la vie avec un homme pour lequel elle n'éprouve pas d'aversion, sans se demander ce qui arrivera, une fois liée, si elle en rencontre un autre qu'elle aime. A-t-on le droit d'exiger d'elle qu'elle connaisse son avenir et qu'elle discerne du premier coup celui qui doit être son véritable époux? Hélas! comme tant d'autres, j'ai cru faire un mariage d'amour! Je me serais révoltée contre qui aurait osé me dire que je n'aimais pas mon fiancé. Mais était-ce de l'amour, le sentiment que j'avais pour lui? Ce sentiment n'a fait depuis que décroître: et mon expérience actuelle de la vie me force à reconnaître que, même à cette époque, ce n'était pas de l'amour. Et c'en eût été, de l'amour, était-ce une raison pour me lier pareillement? L'âme demeure-t-elle tellement pétrifiée, qu'elle ne puisse se transformer, découvrir en elle d'autres besoins, être agitée de désirs nouveaux? Nous sommes si instables que c'est se moquer de la destinée que de se contraindre à la stabilité. Où en arrivons-nous alors? A l'indifférence, si nous ne sommes pas doués d'une trop vive impressionnabilité; à la rébellion, au crime, au martyre, si nous ne pouvons effacer en nous notre qualité d'êtres sensibles.»

      Les premiers mois du mariage passèrent sans peine. Pauline s'amusait de son changement de position plus encore qu'elle ne s'intéressait à la personne de son mari. Le choix