Pauline, ou la liberté de l'amour. Dumur Louis. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumur Louis
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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un amant,» répondait sa partenaire. «Et je te promets, moi, que tu seras le premier à le savoir. Œil pour œil, dent pour dent!»

      – Quelle effrontée! murmura Facial, froissé dans ses principes.

      Julienne haussait les épaules. Elle trouvait cette femme de plus en plus bête.

      Chandivier n'écoutait pas.

      Pour Pauline, la pièce prenait décidément une tournure déplaisante. La jalousie était un sentiment si peu conforme à sa notion moderne de l'amour. Cet homme n'avait-il pas le droit d'avoir une maîtresse, si sa femme le laissait indifférent? Celle-ci, par contre, pouvait se détacher tranquillement de lui et se donner à un autre, pour peu que le cœur lui en dît. Mais cette menace de prendre un amant par dépit, cette vengeance mesquine, ridicule, folle, comme cela était peu digne, comme cela était bas! La tyrannie du mariage s'étalait là cruellement. Non, certes, jamais il ne fût venu à l'idée de Pauline d'imposer de la sorte son amour.

      Elle jeta un coup d'œil sur la salle.

      Ces hommes, ces femmes entrés ici au sortir de l'existence quotidienne, apportant avec eux leurs désirs, leurs souffrances, le secret de leurs passions et le trouble de leurs besoins inapaisés, que pouvaient-ils bien penser de ces théories étroites et rudes prêchées à leurs oreilles et mises en action sous leurs yeux? Écoutaient-ils sérieusement, ou ne se laissaient-ils pas plutôt distraire du fond par le prestige du style, l'ingéniosité de l'intrigue et le charme de l'interprétation? S'ils réfléchissaient, accepteraient-ils avec des applaudissements ces doctrines si contraires à celles qu'ils devaient pratiquer réellement? Mais la plupart ne cherchaient évidemment pas à discuter; ils étaient venus au théâtre pour se délasser: et, pourvu que la pièce fût bien faite et leur offrît un amusement suffisant, ils se déclaraient satisfaits.

      Elle aperçut, à l'orchestre, Sénéchal. Aux bons passages, il hochait la tête avec satisfaction. Il ne se faisait cependant pas faute de détourner à tout moment sa lorgnette de la scène pour la braquer sur Julienne. Non loin de lui se trouvait Réderic. Par quel hasard? Ou plutôt n'étaient-ils pas tous deux prévenus de la présence de leur maîtresse au théâtre? Julienne avait envoyé de leur côté un léger signe d'intelligence. Auquel s'adressait-il?

      A l'orchestre, plus personne de connaissance. Mais, en face d'elle, elle reconnut le vicomte et la vicomtesse de Béhutin qui occupaient une loge. Ils étaient, comme d'habitude, froids, corrects, silencieux: impossible de distinguer si le spectacle les intéressait.

      Vers la fin de l'acte, un monsieur entra dans leur loge et prit place derrière eux.

      Pauline se demanda en vain qui ce pouvait être. Ce n'était pourtant point, lui semblait-il, la première fois qu'elle le voyait. Où s'était-elle déjà sentie troublée sous cette prunelle douce et sombre?

      Un instant, elle eut l'idée d'interroger Julienne. Celle-ci saurait mettre un nom sur ce visage. Mais une pudeur retint la question. Soudain, Pauline rougit: l'inconnu venait de la lorgner.

      – «Célestin! Célestin!» disait sur la scène Rébecca qui avait reparu, «prends ton chapeau, vite, vite! dis au portier que tu accompagnes madame la comtesse et trouve le moyen de la suivre sans qu'elle te voie. Elle est à pied. Sache où elle va et ne dis rien à personne.»

      Elle poussa Célestin dehors. Elle sonna. Un domestique parut.

      – «On peut éteindre», fit-elle.

      Le rideau tomba lentement.

      Chandivier applaudit avec bruit. Puis, il se précipita hors de la loge pour aller dans les coulisses.

      Facial sortit aussi. Un moment après, Pauline le voyait apparaître dans la loge des Béhutin, présenter ses hommages à la vicomtesse et toucher la main aux deux hommes.

      «Mon Dieu! pensa-t-elle, ils vont venir ici me rendre cette politesse.»

      Sénéchal et Réderic étaient déjà accourus. Julienne, radieuse, causait beaucoup, les amorçait l'un et l'autre à tour de rôle. Elle se savait désirable jusqu'au moindre de ses gestes. Mais sa force principale était encore d'être amoureuse elle-même. Amoureuse superficielle, qui avait moins des passions que des caprices: amoureuse cependant, s'éprenant tantôt de celui-ci, tantôt de celui-là, mettant sa joie à satisfaire ces fantaisies de cœur et son charme à les provoquer.

      Pauline était à la fois plus sérieuse, plus sensible, plus sensuelle et plus retenue.

      Ce ne fut donc point sans un tressaillement, mais immédiatement enfoui sous une couche apparente d'indifférence, qu'elle vit entrer dans la loge le vicomte de Béhutin suivi de son compagnon.

      Le vicomte la salua ainsi que Julienne.

      – Permettez-moi de vous présenter mon beau-frère, M. Odon de Rocrange.

      Pauline se souvint tout à coup des circonstances où pareille présentation lui avait été faite. C'était deux ans auparavant, dans une vente de charité, où elle tenait une boutique. La vicomtesse de Béhutin, dont elle venait alors de faire la connaissance, s'était arrêtée quelques instants, au bras de son frère, devant son étalage. Odon de Rocrange lui avait payé cent francs un bouquet de violettes. Depuis lors, bien que ses relations avec les Béhutin se fussent poursuivies, elle ne l'avait jamais revu.

      «Quelle impression curieuse, se dit-elle, tandis qu'Odon s'inclinait, que de se trouver soudainement en présence d'un homme que l'on a rencontré une fois, il y a longtemps, dont on avait conservé le souvenir latent, mais auquel on ne pensait plus.»

      – Vous avez, sans doute, oublié, Madame, dit Odon, que j'ai eu une fois l'honneur de vous acheter des violettes. Il est vrai qu'elles ont eu le temps de se faner depuis.

      – Je me le rappelle, répondit Pauline.

      – Le temps passe à la fois bien lentement et bien vite. J'ai été absent de Paris; j'ai beaucoup voyagé: alors que j'habitais l'étranger, absorbé par de nouveaux spectacles, je croyais être loin depuis une éternité, et maintenant que me voici de retour, il me semble que je vous achetais hier ces fleurs, et j'en sens encore le parfum.

      – Vous connaissez mon mari? demanda à brûle-pourpoint Pauline, qui avait remarqué leur poignée de main dans la loge de la vicomtesse.

      – Nous nous sommes vus, M. Facial et moi, la semaine dernière, à l'occasion d'une triste cérémonie. C'était aux obsèques de Jacques Derollin. Quel charmant garçon, quel cœur d'or que Derollin! Je ressens vivement sa perte. J'étais arrivé depuis quelques jours à peine et j'ignorais sa maladie. Je n'aurai pas eu la joie de le revoir vivant. La mort est toujours une surprise, quoiqu'elle soit la fatalité.

      – Moi, je n'ai pas peur de la mort, dit Pauline.

      – Moi, beaucoup, dit Odon.

      – Qu'avez-vous à craindre? N'est-elle pas la même pour tous?

      – Qui sait? Peut-être pas plus que la vie.

      – En tout cas, nous devons la subir. Le mieux est de s'accoutumer à cette perspective, puisque les choses dont on a l'habitude ne sont plus capables d'effrayer.

      – Cette nécessité de la mort, dit Odon, est justement ce qui me blesse. En face de ce qui est nécessaire, l'homme perd toute dignité; il se sent ravalé au rang de la machine inerte. De quoi lui servent, là contre, son énergie, ses talents, sa science? Il lui faut en passer par là. La liberté, dont nous sommes si fiers, et qui est, en somme, notre seule prérogative, ne se trouve plus alors qu'un vain mot. Et je ne parle pas seulement de la mort, mais de tout ce qui, dans la vie, porte le sceau de la nécessité. Ne sommes-nous pas humiliés de traîner un corps invariable, qui a ses tares et ses maladies? Mais ce qui me paraît insupportable, c'est le joug des nécessités artificielles, dont l'homme, auquel ne suffisaient pas les nécessités physiques, s'est ingénié à se charger, pour avoir encore plus à courber la tête. Que nous n'ayons pas la liberté du corps, c'est triste, mais que nous n'ayons pas celle de l'âme, c'est irritant.

      – Vous voulez parler des conventions sociales?

      – En