Pauline, ou la liberté de l'amour. Dumur Louis. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumur Louis
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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pour la société, navrantes pour les individus…

      – Oh! pas de discours! interrompit Pauline. Qu'est-ce aussi que le mariage sans l'amour?

      – Pardon! répliqua Facial en s'excitant, le mariage est une institution si solide, qu'il subsiste par lui-même, même sans l'amour. Je soutiens d'ailleurs, comme corollaire à ce que je disais à l'instant et dont vous aviez le mauvais esprit de rire, que le mariage est encore la meilleure garantie de l'amour.

      – Ce mot est à double sens, prenez garde.

      – Qu'insinuez-vous?

      – Le mariage n'est-il pas souvent un couvert d'honnêteté à l'abri duquel hommes et femmes se livrent tranquillement aux amours les plus libres?

      – C'est que l'institution est abominablement faussée.

      – Sans doute, mais il faut compter avec l'hypocrisie des mœurs. Voyez ce que devient alors le mariage: un simple trompe-l'œil.

      – L'apparence de l'honnêteté est au moins sauvegardée. C'est déjà quelque chose; et ne fût-ce qu'à ce titre…

      – Où en arrivez-vous? Vous conserveriez encore le mariage, s'il vous était prouvé qu'il ne sert qu'à favoriser les liaisons irrégulières?

      – Oui. Mais ce n'est là qu'une dernière conséquence de principes fermement arrêtés chez moi. En réalité, le mariage maintient les mœurs.

      – Regardez autour de vous. Voyez-vous beaucoup d'époux dont on ne puisse dire: ils ont édifié le mariage légitime comme un mur entre le public et leur vie privée, et, derrière ce mur, il se passe des choses qui ne sont plus légitimes du tout?

      – Il y a nous d'abord, dit Facial.

      – Il y a nous, acquiesça Pauline, mais non sans un instant d'hésitation. Ensuite?

      Facial chercha, puis hasarda:

      – Les Chandivier.

      Pauline se pinça les lèvres.

      – Êtes-vous bien sûr de la loyauté de M. Chandivier? demanda-t-elle.

      – Chandivier! assura Facial, c'est un parfait honnête homme!

      – Ne protège-t-il pas avec une bienveillance… comment dirai-je?.. exagérée cette jeune comédienne… comment l'appelez-vous?.. Rébecca?

      – Vous savez cela!

      – Il ne le cache pas trop.

      Facial prit son parti de cette déconvenue.

      – Oui, dit-il, c'est vrai. Ou plutôt, ce doit être vrai: car je ne voudrais pas porter d'accusation qui risquât d'être calomnieuse contre un homme comme Chandivier, que je respecte infiniment. Mais a-t-il bien en sa femme l'épouse qu'il mérite?

      – Julienne? Elle est charmante.

      – Charmante, d'accord, mais peut-être pas irréprochable.

      – Que lui reprochez-vous? Quelques coquetteries!

      – L'euphémisme est joli. Voyons, vous qui la connaissez bien: elle a une intrigue avec Sénéchal, le sénateur?

      – Sénéchal? Dites que Sénéchal est très empressé auprès d'elle.

      – C'est ce que je pensais. Et Réderic? Quelles sont exactement les relations de Réderic avec Mme Chandivier?

      – Que voulez-vous que je vous dise? Je crois qu'entre les deux son cœur balance.

      – En somme, est-ce Réderic ou Sénéchal?

      – Ma foi, tantôt l'un, tantôt l'autre.

      Facial et sa femme se regardèrent, comprenant tout à coup ce que la conversation avait de ridicule.

      – Comme ce que je disais est pourtant vrai! s'écria Pauline, retrouvant alors le fil des idées. Comme le mariage n'est qu'un trompe-l'œil! Il en impose tellement, que nous-mêmes, dans un entretien intime, nous nous laissons abuser par la situation légale de deux personnes dont nous connaissons pertinemment les mœurs: vous défendez Monsieur pied à pied, je défends Madame avec non moins de discrétion, et nous savons fort bien l'un et l'autre que Monsieur a une maîtresse et que Madame a deux amants.

      – Chut! chut! ménagez vos expressions.

      – Encore! Sentez-vous l'effet du mur, même quand nous perçons à travers?

      – Je vous en prie, Pauline, observez un peu plus les conventions. Il y a une manière d'exprimer les choses, des réticences que nous devons employer lorsque nous parlons de gens honorablement connus et qui de plus sont nos amis. Leur réputation est absolument intacte.

      – Oh! je le sais: le public ne se doute de rien, les précautions sont prises. Et quand même ce serait le secret de Polichinelle – et peut-être l'est-ce – tant qu'il n'y a pas de scandale, les époux adultères ont droit à tous les respects d'un monde qui n'exige que les formes et devant qui l'on peut à plaisir jouer des gobelets, pourvu qu'on fasse passer muscade.

      – Vous êtes sévère!

      – Tout à l'heure, c'est vous qui l'étiez.

      – Que disais-je? Que l'amour dans le mariage était le seul vraiment utile et vraiment sain. Je le maintiens. De toute ma conscience d'honnête homme, je flétris ceux qui contreviennent à cette loi fondamentale. Mais je ne puis, sous le prétexte que l'adultère se glisse malheureusement jusque dans les unions en apparence les plus correctes, prêter la main aux fauteurs de désordre, qui veulent saper par la base les institutions et bouleverser la société. Si le mariage est parfois mal compris, s'ensuit-il qu'il soit un mal? Et si ceux qui le comprennent mal comprennent cependant qu'ils doivent en respecter les usages, n'avons-nous pas à les estimer au moins pour leur savoir-vivre et leur bonne tenue?

      – Estimons, je le veux bien: quoique, pour ma part, l'estime n'aille qu'à la franchise.

      – Ma chère Pauline, vous êtes trop indisciplinée d'esprit. Dans ce monde tout ne va pas à notre fantaisie; les principes qui nous règlent nous-mêmes ne sont pas nécessairement ceux des autres. Il faut savoir s'accoutumer à ces contrariétés de la conscience. Qu'avons-nous à exiger, en somme? La décence: la décence de la vie extérieure, des paroles, des actes publics, des relations civiles. Ce qui se passe derrière ce mur dont vous parlez ne nous regarde pas. Surtout, défions-nous des personnalités. Libre à nous d'avoir des théories et de les appliquer à ce qui nous concerne; quant au voisin, il est maître chez lui, et tant qu'il ne heurte pas violemment et de parti pris notre religion, nous sommes tenus envers lui à la même déférence. Le juste milieu, ma chère, en tout le juste milieu! Vous manquez en général du calme et de la souplesse qui conviennent à l'existence. Vous êtes exaltée, Pauline, et rien n'est plus nuisible au bon équilibre des facultés morales et intellectuelles que cette perpétuelle excitation contre ce qui froisse tant soit peu les sentiments. Certes, votre âme est noble! Mais elle est d'une susceptibilité exagérée. Vous prenez parti pour ce que vous croyez généreux avec une ardeur qui vous honore: mais vous oubliez trop que la vie est faite de concessions. Souvenez-vous du juste milieu!

      Et heureux d'avoir infligé à sa femme cette leçon de juste milieu, Facial respira, prit son air gai des heures où il était content de lui, s'apaisa dans son triomphe.

      Pauline ne se donna pas le plaisir de jongler avec les contradictions et les lieux communs qui composaient, comme d'habitude, la conversation de son mari. Elle préféra garder pour elle ce qu'elle aurait pu répondre et qui n'aurait servi qu'à égarer Facial dans un nouveau discours. Elle le connaissait. Maintes fois déjà elle avait essuyé ses exhortations. Elle savait d'avance et par le menu ses propos. Pourquoi parler?

      Lorsqu'elle fut habillée:

      – Déjeunerez-vous avec moi, mon ami? demanda-t-elle.

      – Non, pas aujourd'hui, dit Facial. Nous enterrons ce pauvre Derollin, comme je vous l'ai appris. C'est à midi. Ne m'attendez pas… A propos, votre soirée est-elle libre, lundi?

      – Pourquoi?

      – Chandivier